J'aurais un royaume en bois flottés
Nimrod est un écrivain, essayiste, poète d'origine tchadienne, dont le nom même est une épure : de Nimrod Bena Djangrang ne subsiste, sur la couverture de ses livres, qu'un prénom aux consonances bibliques.
Celui que lui a donné son père, pasteur luthérien du pays de Kim, sur les rives du fleuve Logone.
L'œuvre poétique et romanesque de Nimrod évoque la guerre et ses avatars, mais ne la montre que fort peu.
Il s'en est expliqué : «J'ai toujours mal toléré le catalogue d'horreurs que certains romanciers africains font de la guerre. De mon point de vue, la création littéraire sera toujours tenue de faire montre de pudeur. L'excès qui lui est propre ne vient pas de sa capacité à faire complaisamment la peinture du mal, mais de la forme efficace qui lui permet de tout suggérer et de tout faire sentir.»
Élégance donc, et force de la suggestion... En vérité, Nimrod se méfie du rôle que l'Histoire impose, au prix de mille falsifications, à l'écrivain africain, condamné à adopter le comportement littéraire que l'on attend de lui.
Reste que la poésie de Nimrod va et vient entre deux mondes et que l'exil a fait de lui un apatride à vie.
Les premières pages de Babel, Babylone, recueil dont le poète a souhaité la reproduction intégrale dans cette anthologie personnelle, sont à cet égard des plus significatives.
Le retour à la terre natale, où vit encore sa famille, s'apparente à un deuil tant l'exilé se sent étranger en son propre pays.
Et l'on comprend que le titre de la première section du recueil – Peine capitale – est à prendre au pied de la lettre : l'exilé qui revient sur la terre de son enfance est en danger de mort; sa peine est incommensurable ; l'air qu'il respire est un suaire.
Dans ces conditions, la question est moins de savoir où vivre que de savoir quelle place offrir en soi au passé. On ne peut échapper aux aspirations passéistes de la nostalgie qu'en la déportant sur l'axe du temps à venir.
Pour l'écrivain, la mémoire n'est pas derrière nous, mais devant. Elle se réinvente chaque jour, comme se réinvente le paysage.
(Extraits de la préface de Bruno Doucey.)