UN SI BEAU DIPLÔME, l'obstination vainc
Gallimard
La même ténacité qu'Edmond Dantès
Célèbre pour son magnifique Notre-Dame-du-Nil - lauréat du Prix Renaudot -, Scholastique Mukasonga a également signé cette touchante autobiographie dans laquelle obtenir un diplôme valable équivaut à un véritable parcours du combattant - ou plutôt de la combattante.
"J'ai passé la moitié de ma vie à courir après un diplôme. Ce n'était pourtant pas une thèse de doctorat, de celles qui restent en chantier toute une vie et couronnent enfin une brillante carrière universitaire : non, ce n'était qu'un modeste diplôme d'assistante sociale."
Tels sont les premiers mots qui ouvrent cet écrit autobiographique déchirant, dans lequel la romancière rwandaise se livre à cœur ouvert, avec simplicité, pudeur et sincérité. Pour elle, l'écriture constitue clairement une thérapie. Comme elle le dit elle-même, elle veut aboutir à des "tombeaux de papier". L'écriture doit servir, peut-être, à cautériser certaines plaies encore fort vives, et certaines cicatrices toujours bien présentes.
L'écrivaine revient sur son parcours en prenant du recul. Le "diplôme" du titre constituait au départ un précieux sésame avant de se réduire en fin de compte qu'à un risible bout de papier sans utilité. Pour arriver à travailler, alors que diplômée pourtant, Scholastique Mukasonga devra faire des pieds et des mains. Ce sera assez kafkaïen et ubuesque. On peut aussi penser au mythe de Sisyphe. Grâce à l'écriture, sans doute, et les années écoulées, aussi, Scholastique Mukasonga arrive à relativiser.
Cette poignante introspection est aussi pudique. Mukasonga ne s'étend pas, par exemple, sur tous ceux qu'elle a perdus durant le génocide. Sur ce sujet très douloureux, elle se montre laconique. Les silences sont parfois les plus bouleversants.
Ce témoignage a, en tout cas, une valeur - osons le mot - universelle, et l'on peut facilement s'y retrouver. Il s'agit bien sûr également d'une leçon de résilience. L'obstination de l'autrice pour faire valoir son diplôme peut en inspirer plus d'un et plus d'une. Elle ne s'enorgueillit pas, toutefois.
Malgré de (très) nombreux écueils, elle arrivera au bout de ses études. Malgré l'exil, la discrimination et le manque de moyens, malgré le dédain, l'incompréhension à Djibouti et les multiples tracasseries administratives auxquelles elle sera confrontée dans l'hexagone. C'est le récit d'une jeune fille extrêmement déterminée, et fermement résolue à atteindre ses objectifs. C'est là d'ailleurs son point commun avec Edmond Dantès, le protagoniste du Comte de Monte-Cristo, le seul livre qu'elle aura pendant longtemps à sa disposition, son livre de chevet pour ainsi dire, qui va l'accompagner et lui servir de compagnon de route : "Les malheurs du pauvre Edmond Dantès me fascinaient. Reviendrais-je comme lui au pays ? Mais faudrait-il comme lui, devenu comte de Monte-Cristo, exercer vengeance ? Ces questions me dépassaient, mais, en attendant, l’école d’assistantes sociales devenait mon château d’If et il ne me restait plus qu’à trouver un abbé Faria et son trésor. Comment aurais-je pu deviner que mon trésor serait de pouvoir écrire ?"
ZOOM
La mue du Rwanda
Le livre permet aussi de voir, en filigrane, à quelle vitesse le Rwanda a changé. Il se sera rapidement relevé de l'horreur.
En cela, le livre est porteur d'espoir. Un passage en témoigne clairement vers la fin du livre. En écoutant l'anecdote d'un certain Faustin, la narratrice se rend compte à quel point les mentalités ont changé avec célérité : "Et tu connais l'histoire de la statue sur le grand rond-point à Kigali ? On avait mis une femme avec son bébé dans le dos. Ca partait d'une bonne intention : c'était la Mère rwandaise, c'était bien pour nous. Les femmes n'en ont pas voulu : elles ont dit qu'elles n'étaient pas seulement pour fabriquer des enfants, que l'urugori, la couronne qu'on leur donnait au septième enfant, c'était d'un autre temps, trois, quatre enfants, c'est déjà bien. Alors tu sais ce qu'on a fait ? Il y a bien un enfant avec la statue, mais il n'est plus dans le dos de sa mère, c'est une petite fille, sa mère la tient par la main. On a dit qu'elle la conduit à l'école. Tu vois bien, mama, les femmes à présent au Rwanda, ce ne sont pas que des femmes au champ."
Matthias Turcaud