Essais / côte-d’ivoire

MICHEL GOHOU, une inspirante leçon de vie

Editions Vallesse

Faire mentir tous les pronostics

Dans "Gohou, destin d'un miraculé", le journaliste tchadien Pierre Teubeu s'entretient avec Michel Gohou dans ce livre instructif qui permet à l'iconique humoriste de se livrer à cœur ouvert sur son parcours, les difficultés qu'il a pu rencontrer et surmonter.

C'est peu dire que l'humoriste et comédien Michel Gohou a bercé plusieurs générations. En Afrique francophone, c'est un emblème. Il fédère - au-delà des différences de classe sociale, de croyance ou d'appartenance : "Quand un humoriste par exemple va faire un spectacle au palais de la culture Bernard Dadié à Treichville, dans une salle de quatre mille places archi-comble, dites-moi, combien y a-t-il de partis politiques là-bas ? Combien d'ethnies, de religions unies ?" Le temps d'un spectacle, tout le monde rit à l'unisson.

Si on le connaît surtout grâce à l'émission satirique "Le Parlement du Rire" créée par Mamane en 2010 et à la série "Ma Famille" - totalement culte en Côte d'Ivoire et en Afrique centrale et de l'Ouest -, ce livre nous rappelle que Gohou fut d'abord comédien de théâtre avant de se faire connaître comme humoriste.

Alors qu'il a commencé le théâtre à reculons à l'initiative d'un instituteur de primaire, l'enfant Michel - victime de nombreuses railleries à cause de son handicap physique et de ses problèmes de santé - a pu enfin rayonner grâce à cette nouvelle activité. Ce fut pour lui comme une révélation. Il rend d'ailleurs compte de manière émouvante du changement de comportement de ses camarades à la suite de ses prestations : "J'ai pu vaincre cette timidité avec cette scène. Nombreux ont été ceux qui me maltraitaient qui, après ce spectacle, m'ont offert des présents et de l'argent. Leurs regards sur moi avaient changé. J'avais réussi ainsi à reprendre la main sur ma vie."

Le théâtre fut pour lui comme une évidence et a représenté une autre école - Gohou ayant dû arrêter son parcours scolaire prématurément à cause d'une tuberculose extra-pulmonaire. Jouer lui a permis de s'évader. Il découvre les planches dans le village de Gagnoa avec la troupe "Le Fromager de Gagnoa" ; avant de rejoindre Abidjan avec la ferme ambition d'apprendre le métier. Dans la capitale, il intègre "Le Fétiche Éburnéen. Soucieux de s'améliorer et d'accumuler les expériences, il travaille avec des metteurs en scène aussi différents que Laye Fadiga, Alexis Don Zigré, Wêrê-Wêrê Liking ou encore Fargass Assandé . L'on peut alors le voir dans des productions aussi variées que "La Queue du Diable", "La Visite de la Vieille Dame", "Paradis infernal", ou "Montserrat". Malheureusement, l'on ne peut pas retrouver de traces sur YouTube de ces différentes pièces de théâtre - même sous forme d'extraits.
La soif d'apprendre de Gohou se révèle en tout cas assez inextinguible. Toutes ces expériences de scène ont évidemment fait de lui le comédien que l'on connaît aujourd'hui et qui fait rire à gorge déployée toute l'Afrique francophone. Il est cependant intéressant de rappeler qu'il a commencé par jouer dans de nombreuses pièces sérieuses et dénuées d'humour. Fargass Assandé par exemple, auquel Gohou voue une vive admiration et qu'il qualifie même de "génie du théâtre", est un metteur en scène et comédien accompli et tout sauf comique, identifiable à son jeu extrêmement intense. On a notamment pu le voir en tant que criminel de guerre dans le poignant "L'Oeil du Cyclone" de Sékou Traoré, ou comme père d'Omar Sy alias Assane Diop dans la série "Lupin" sur Netflix.

Vient ensuite la télévision - et notamment "Les Guignols d'Abidjan" produits par Daniel Cuxac et la série "Ma Famille" d'Akissi Delta, dans lequel il forme un fameux couple avec Clémentine Papouet. Ce sont notamment ces deux séries qui le font connaître et aimer d'un très large public en Côte d'Ivoire et en Afrique francophone plus largement, grâce à moult rediffusions. Le comédien n'a pas peur de l'autodérision et nous fait rire à propos de nos petits défauts du quotidien, en les amplifiant plus ou moins beaucoup. En même temps, il y a toujours beaucoup de vérité dans son jeu - peut-être grâce à toutes ses expériences théâtrales aussi, en grande partie. Il verse aussi volontiers dans la caricature et la satire - se moque des brouteurs, des arnaqueurs, des charlatans, des fanfarons grimés qui font croire à des chimères et des mirages éhontés, à l'image de l'inénarrable Cauphy Gombo. Cet imposteur professionnel toutes catégories confondues a au départ été créé par Ilary Simplace et Lassane Zohoré, directeur de la revue satirique "Gbich". Au cinéma aussi, il a également pu rencontrer des succès notables grâce à ses rôles dans "Bienvenue au Gondwana" de Mamane, "Le Gendarme d'Abobo" d'Anton Vassil ou encore "Black Snake" de Thomas Ngijol - souvent dans une veine burlesque et déjantée.

Le livre a le mérite de nous éclairer sur et de mettre en avant l'admirable pugnacité et résilience d'un Gohou souvent discret et modeste en interviews. Dire que son ascension n'a pas été facile est clairement une litote. Bien qu'ayant grandi à Gagnoa, Gohou n'avait rien de gagné d'avance - mais il a gagné. Travailleur acharné doté d'une détermination peu commune et animé d'une foi inchangée, il a pu vivre d'un art souvent dédaigné ou peu nourrissant pourtant en Côte d'Ivoire ; et faire mentir tous les pronostics. C'est autrement dit un livre grisant et formateur à mettre en de nombreuses mains - pour montrer que tout est possible, et qu'il ne faut pas se laisser "abattre" - et, au contraire "se battre, combattre et abattre toutes ses cartes" pour reprendre le polyptote inspiré qui a servi de titre à la conférence ci-dessous.

Ce qui fait la valeur du livre aussi, c'est la grande sincérité avec laquelle Gohou s'y livre, en n'hésitant pas à revenir sur ses différents insuccès, ne cherchant pas à s'y faire valoir ou à passer sous silence ses aléas ou les écueils auxquels il a été confronté. Il ne cache pas, ainsi, qu'un projet signé avec le producteur Assoumou N'Gourou n'a pas vu le jour parce qu'il a, "dans la foulée", paraphé "sans son consentement un contrat publicitaire avec un opérateur de téléphonie fixe". Le comédien revient aussi sur le scepticisme de Sony Music lorsque le rappeur Stomy Bugsy, qui l'admirait beaucoup, voulait l'imposer mordicus, dans son clip "Black Pimp Fada" et a finalement réussi malgré les réticences prononcées du studio. La vedette indique aussi que pour "Ma famille", il n'a pas tout de suite fait l'unanimité, mais l'initiatrice du projet Akissi Delta l'a imposé contre vents et marées. Des informations mensongères ont aussi circulé sur lui sur Internet, des internautes se sont fait passer pour lui et ont propagé des messages avec lesquels il est en totale contraction. Gohou ne dissimule rien non plus des conditions très difficiles dans lesquelles il a joué dans "La Maison morte" au Burkina Faso aux côtés de Fargass Assandé, alors que sa sœur meurt en Côte d'Ivoire et qu'à son retour il n'a rien pour lui payer des funérailles décentes. Il montre qu'une médaille a aussi son revers, mais toutes ces pénibles déconvenues l'ont poussé à revenir plus fort.

Ce qu'on peut avant tout retenir aussi de son carrière peu commune, c'est ce formidable éclectisme. Qui d'autre peut se targuer d'avoir à la fois joué dans une pièce de Dürrenmatt et un clip de rap Stomy Bugsy ? d'avoir travaillé avec Fargass Assandé et Daouda le Sentimental ? Touche-à-tout, Gohou a de plus sorti deux albums, drôles et sans prétention certes, "Les 13 commandements de Cauphy Gombo" d'après son fameux personnage satirique, et "Le Bobabaraba de réconciliation". Il a, en plus de cela, créé sa propre maison de production, "Gohou Productions". Très humble pourtant, le fameux humoriste - aussi apprécié des villageois que des chefs d'état - ne se dit pas vraiment content de ce qu'il a accompli : "Je ne suis pas totalement satisfait de ma carrière parce que j'ai encore beaucoup de choses à faire. Peut-être que la satisfaction viendra plus tard. Pour le moment, ce n'est pas le cas."

Aujourd'hui, Gohou compte former la jeune génération, et pousser d'autres "petits frères" à embrasser la carrière du théâtre comme lui. Il constate avec satisfaction le succès des humoristes ivoiriens, mais déplore le lent déclin du théâtre - espérant grandement un renouveau. Il milite aussi pour la solidarité dans le métier : "Étant donné que nous ne sommes pas vraiment nombreux, on gagnerait à s'entendre, à former une famille, à se serrer les coudes pour aller dans la même direction que de se tirailler et de se glisser des peaux de banane."

Nota Bene : Pierre Teubeu, l'auteur de ce précieux livre d'entretiens, a fait ses études à l'Institut des Sciences et Techniques de la Communication (ISTC) à Abidjan. Il a été ancien directeur de la Radio Catholique Effata de Laï et présentateur du journal télévisé à Electron TV. Il est actuellement rédacteur en chef de la rédaction de Source Africa TV à Abidjan. On peut trouver ce livre facilement dans toutes les librairies de Côte d'Ivoire, notamment dans le réseau des Librairies de France : https://www.librairiedefrance.net/552424-librairie-552424-michel-gohou-destin-dun-miracule-9782902594184.html

ZOOM

Le Louis de Funès de l'Afrique francophone

Anton Vassil, qui l'a dirigé à la fois dans "Le Gendarme d'Abobo" et "Laurent Safi", le qualifie même de "Louis de Funès de l'Afrique francophone", précisant que dans "n'importe quel village d'Afrique francophone, les gens le connaissent".

C'est un autodidacte qui a pu imposer sa propre forme de comique et d'humour, à la manière de Louis de Funès. Il propose ses propres onomatopées, ses propres improvisations et sa propre partition. Il a aussi sa manière de se déplacer, de bouger, ses grimaces. Son mode de communication ne s'arrête pas aux mots, loin de là. D'ailleurs, même au niveau de leurs personnalités, les deux trublions se rejoignent - totalement extravertis dans leurs films, mais beaucoup moins tonitruants dans leurs vies. Et tous deux sont des autodidactes aux trajectoires singulières, qui ont connu un succès relativement tardif mais foudroyant.

Matthias Turcaud