Romans / gabon

LA VIE EST UN SALE BOULOT, adieu aux illusions

Editions Jigal

Sous le signe de Mesrine

Auteur de neuf polars, dont La Bouche qui mange ne parle pas (2010), African Tabloid (2013) ou Tu ne perds rien pour attendre (2017), Janis Otsiemi a construit une œuvre cohérente, engagée et singulière, dont la noirceur n'a rien à envier à celle de James Ellroy.

C'est peu dire, en effet, que les romans d'Otsiemi sont sombres, poisseux et crus - et La Vie est un sale boulot ne déroge pas à la règle. La violence s'y révèle omniprésente, et le romancier nous la dépeint sans fard, ne nous épargnant rien concernant les morts atroces des personnages ou de leur agonie insoutenable : "Son corps pissait du sang de partout." (...). L'écrivain veut nous faire voir les bas-fonds sans tabou, dans le sillage d'ailleurs du naturalisme et des descriptions détaillées d'un Zola qui compte d'ailleurs parmi ses influences notables. Il n'entend pas nous bercer plus longtemps d'illusions, ou nous faire croire à un quelconque conte de fées. Il nous montre ainsi comment tout un chacun trouve son intérêt, même ceux censés garantir la "Loi" et la "vertu" avec de grands guillemets. Dieu ne répond pas à l'appel non plus, et l'espoir est mort.

Ceux qui cherchent une édifiante histoire de rédemption doivent passer leur chemin. Ils ne la trouveront pas. Ici, la femme que Chicano n'a jamais oubliée n'est pas la Pénélope d'Ulysse. Alors que Chicano a croupi quatre ans en "cabane", un autre homme est entré dans la vie de Mira, son amour de jeunesse. À quoi s'attendait-il d'ailleurs, le bougre ? Qu'est-il, sans situation ? Comment peut-il espérer rebondir dans cette société-là - et alors même que son acquittement semble relever d'une erreur ? Peut-il vraiment espérer faire table rase du passé, et travailler comme paisible garagiste ou mécanicien auprès de son frère Gabi ? Otsiemi s'interdit formellement toute forme de naïveté, et nous force à nous confronter au réel - bien qu'il soit peu agréable à regarder, bien qu'il fasse mal et sente mauvais. On le voit dès le tout début déjà : le personnage tout juste sorti de prison a cependant encore cette odeur de "sueur, de pissat et de chiures qui lui collait encore à la peau et lui asphyxiait le nez" ; il fume trente cigarettes en une demi-heure, et la liberté n'est plus qu'un leurre et non un idéal épanouissant. Même le soleil "vomit" une "goulée de rayons incandescents". Rien n'est beau ; et la laideur des quartiers négligés déteint sur tout le reste.

Il fallait s'y attendre, déjà, avec l'épigraphe choisie. De manière originale, Otsiemi ne s'est pas placé sous l'égide d'une éminente autorité littéraire, mais sous celle du fameux hors-la-loi Jacques Mesrine qui, dans son autobiographie L'Instinct de Mort écrit : " ... L'homme qui franchit les portes d'une prison en reste marqué à vie quoi qu'il fasse sur le chemin de la réinsertion sociale, la société est vindicative... Un ex-condamné ne sera jamais quitte de sa dette, même après l'avoir payée." Cette épigraphe inattendue s'avère signifiante à plus d'un titre ; et, si on la lit attentivement, on s'apercevra que, d'ores et déjà, tout est dit. La citation prend peut-être encore plus son sens dans le contexte gabonais, où toute réinsertion d'un ancien détenu ne pourra se solder que par un cuisant échec.

Le genre du roman policier constitue pour Otsiemi l'occasion de mettre les projecteurs sur ce qui gangrène profondément la société gabonaise - entre corruption, détournements de fonds à foison, appât du gain maladif, libido effrénée des puissants, et des valeurs morales qui brillent par leur absence. Le tableau s'avère, pour le moins, peu valorisant. Otsiemi s'en prend aussi au délabrement et l'absence de responsabilisation des autorités en charge, comme en atteste cet exemple : " Les épaves des bagnoles dans la ville étaient devenues un problème écolo que la mairie et la société de ramassage des ordures n'arrivaient pas à résoudre, la première rejetant la responsabilité sur la seconde qui arguait que le ramassage des déchets industriels n'apparaissait pas dans son contrat."

L'intrigue, en tant que telle, ne révolutionne pas le genre, et l'on retrouve plusieurs motifs bien connus du genre - comme la trahison de soi-disant "amis", ou l'engrenage infernal. L'on peut tout de même, cela dit, relever quelques partis-pris intéressants, qui participent - n'oublions pas de le préciser - à la grande noirceur de l'ensemble et au pessimisme sans appel qui en émane. Sans vouloir trop en révéler, nous nous contenterons de dire que la priorité des enquêteurs du roman n'est pas vraiment le rétablissement de la Justice avec un grand J. La trajectoire du personnage principal pourra aussi étonner, ou être ressentie comme frustrante.

L'on peut certes avoir quelques réserves sur ce roman-ci - et légitimement considérer qu'il ne s'agit pas du plus abouti de son auteur. L'on peut entre autres déplorer sa trop grande brièveté (138 pages), bien qu'elle puisse aussi constituer un avantage pour d'autres, et créer un effet d'uppercut dont on se relèverait pas. Cependant, et comme pour tous les autres ouvrages de Janis Otsiemi, ce qui fait le sel de celui-là, c'est son style - sa langue chatoyante, créative et surprenante.

En effet, et on le voit ici aussi, Otsiemi a une appétence marquée pour les mots rares ou peu employés - tels que "virguler" ou "arriérer" pour dire "reculer". Il semble éprouver un malin plaisir à jouer avec les mots. Dans cette atmosphère si pesante, désespérée, voire glauque, cette inventivité verbale prononcée constitue clairement une bouffée d'air frais bienvenue. Otsiemi a le sens des formules qui font mouche, comme lorsqu'il dit que les nombreuses personnes voulant monter dans un taxi-bus à Libreville semblent se trouver "dans l'antichambre du paradis" - où il y aurait pareillement "beaucoup d'appelés" et "peu d'élus". Il parle également d'une "machine à écrire qui devait dater des années d'indépendance".

ZOOM

Un clair engagement politique

On connaît - rappelons-le - les engagements et positionnements de l'auteur, à qui on doit aussi de virulents essais politiques à l'instar de "Guerre de succession au Gabon : les prétendants" (2007) ou "Les Hommes et les Femmes d'Ali Bongo Ondimba" (2011), et ce roman-là ne nous permet aucunement de nuancer cette assertion.

L'année dernière, il a même directement interpellé le président Ali Bongo en lui demandant de ne pas se représenter.

Matthias Turcaud