Films / burkina-faso

SIRA, une héritière de la Reine Yennenga

Araucania Films / Les Films Selmon

Un beau symbole d'une lutte acharnée

"Tu viens d'où ? - De pas loin d'ici. - Pas loin ? Mais il n'y a rien autour !"

Après "Frontières" et "Desrances", Apolline Traoré revient avec un nouveau film ambitieux et réussi, légitimement distingué par l'Etalon de bronze au Fespaco et un prix du public à la Berlinale. Une fois de plus, la réalisatrice met au premier plan une figure de femme forte et inspirante.

Le personnage éponyme, Sira, une jeune fille peule s'apprête à épouser Jean-Sidi, un homme qu'elle aime et dont elle est aimée en retour. Son père se montre compréhensif et prévenant. Sur le chemin, les familles font halte. Les femmes sont d'humeur badine et plaisantent, insouciantes. Aucun nuage n'est à déplorer. Hélas, sans crier gare, des djihadistes surviennent et massacrent (presque) tous les hommes présents. Au comble du désespoir, loin de la caricature de la femme résignée et abattue, Sira maudit le chef des terroristes, le redoutable Yéré, et toute sa descendance. Ce dernier décide ainsi de la prendre, de l'humilier, de la violer et de l'abandonner en plein désert, en lui crachant au visage et en prétendant qu'elle ne mériterait pas qu'il la tue. Alors qu'on aurait pu penser que c'est là le début d'une interminable descente aux Enfers, Sira se relèvera et trouvera des ressources insoupçonnées.

Sans conteste, la réalisatrice aguerrie signe sans doute son film le plus abouti et le plus percutant. "Sira" est un "survival" et un "revenge movie" haletant et immersif ; magnifiquement filmé dans des paysages mauritaniens et des plans d'ensemble particulièrement esthétiques. Un net contraste advient d'ailleurs, entre la saisissante beauté de cette nature inouïe et l'insupportable atrocité des méfaits qui s'y déroulent (presque) toujours impunément. Il faut saluer, aussi, le travail du chef opérateur Nicolas Berteyac. À la musique et au montage, Apolline Traoré retrouve ses fidèles complices Cyril Morin et Sylvie Gadmer. Leur apport est précieux, tant ils contribuent à la qualité du film et à son intensité croissante. En termes de mise en scène, la réalisatrice met en valeur son récit, son personnage et les paysages. Elle choisit la bonne distance, et fait recours au hors-champ quand il le faut. Certaines scènes s'avèrent difficiles à regarder, mais se révèlent indispensables à l'intrigue et au message. Traoré filme la violence sans aucune complaisance, comme dans "Desrances" - qui dénonçait également le terrorisme et ses désolantes conséquences.

Le glaçant Lazare Minoungou dans le rôle du chef terroriste Yéré participe évidemment fortement, aussi, à la force et à la crédibilité de l'ensemble.

Le film impose en outre un visage, celui de Nafissatou Cissé, impressionnante et évidente révélation dans le rôle-titre. L'actrice rend bien justice à son personnage si valeureux, ce vrai parangon de pugnacité et de dignité. On éprouve à la fois beaucoup d'empathie et beaucoup d'admiration pour elle. Jean-Sidi aussi, son âme sœur masculine, interprété avec justesse par Abdramane Barry, montre qu'une autre voie est possible. Ces magnifiques portraits constituent un très bel hommage à celles et ceux qui résistent face à l'oppression ; en permettant d'entrevoir un grisant espoir. Les spectateurs burkinabè l'ont bien compris ainsi, laissant plusieurs fois éclater leur joie comme le rapporte la réalisatrice au journal www.ledevoir.com : "Les spectateurs pleuraient et, à chaque tir de l’armée, à chaque victoire de Sira, la salle criait, se levait. C’était extraordinaire, de voir ça." 

Apolline Traoré continue donc à creuser son sillon, elle s'inspire encore une fois de la brûlante actualité et célèbre une vaillante combattante des temps modernes. En même temps, elle se renouvelle, tout d'abord en tournant dans le désert, mais aussi en se frottant à d'autres genres - reprenant les codes du thriller, du film d'action, voire du western pour le travail sur les grands espaces, les confrontations plus que tendues et la solitude du personnage éponyme. Le film tout entier est empreint d'un souffle épique qui octroie de l'ampleur et de l'universalité à cette histoire circonstanciée. Bien que tiré du réel, "Sira" accède au mythe et à la fable - ce qui augmente encore son intérêt et sa force, et trouve son apogée dans un véritable final d'opéra, aussi déchirant que mémorable. 

En définitive, beaucoup de maîtrise émane de ce film dur, nécessaire et intense, suivant avec cohérence une ligne claire et bien définie, où rien ne semble en trop, et où les dialogues s'avèrent aussi justes que peu nombreux, où tout concourt à une œuvre réussie.

Ce cinquième long-métrage confirme assurément - bien que cela ne fût pas vraiment la peine - le grand talent de son autrice, sans conteste une des voix majeures du cinéma d'Afrique francophone d'aujourd'hui.

ZOOM

Un tournage plus qu'éprouvant

La réalisatrice l'a dit elle-même : "Ce film a été le plus compliqué de ma carrière".

Inspiré par le massacre de Yirgou en 2019, l'équipe a dû changer de lieu suite à un nouveau massacre au nord du Burkina Faso, à Solhan, en juin 2021, faisant au moins 160 victimes. C'est ainsi que l'équipe a décidé de tourner en Mauritanie, bien qu'Apolline Traoré avait, au départ, la ferme intention de rester au Burkina Faso et d'impliquer la population burkinabè dans le tournage. 

En Mauritanie, c'est peu dire que le tournage n'a pas été de tout repos. Apolline Traoré le raconte bien : "Là-bas, il y a eu de la pluie toutes les deux semaines. Tout le décor était détruit, il fallait le reconstruire à chaque fois. Après, avec la chaleur, la caméra s’arrêtait, l’actrice principale faisait des malaises…"

Pourtant, malgré de nombreuses déconvenues, le tournage a bien pu arriver à son terme, grâce à une équipe plus que déterminée dont il faut saluer l'incroyable ténacité.

Matthias Turcaud