COCONUT HEAD GENERATION, une œuvre sur l’évidence de la conversation
Tous les jeudis, un groupe d'étudiants de l'université d'Ibadan au Nigéria, organise un ciné-club, transformant un petit amphithéâtre en une agora politique.
Des mouvements de caméra volontairement saccadés, lumière naturelle et absence d’identité, le film d’Alain Kassanda porte en lui un puissant message sur un protagoniste inattendu : l’espace de l’université d’Ibadan.
Peint de tension constante, d’un ras-le-bol ambiant et d’une jeunesse déterminée à être acteur de changement, le long-métrage est une œuvre d’évidence sur la place que peut occuper le cinéma, loin d’être un simple art, dans un espace public en perpétuel questionnement.
Transposer la réalité et brouiller les frontières entre documentaires et fiction, pendant près de deux heures, Coconut Head Generation maintient cette confusion. Par de longues séquences crues, qui s’infiltrent dans les espaces réduits, dans la promiscuité de chambres d’université et dans les discussions, parfois tendues, mais toujours revendicatrices des droits, le monde étudiant d’Ibadan offre un aperçu d’une décadence pour une institution créée pour former l’excellence et aujourd’hui vestige méconnaissable d’une gloire oubliée, toujours espérée et encore recherchée. Si le sujet du film est l’université, il en est loin d’être le thème.
Des thématiques du Sud global
Les étudiants qui se réunissent, depuis 2016, lors des Thursday Films Series « TFS » viennent surtout pour s’exprimer. Loin de la rue, des réseaux sociaux et des salles de cours, ils parlent des violences faites aux femmes, des élections au Congo ou au Nigéria, des inégalités, du rôle de la femme et du quotidien des jeunes à la quête d’un avenir qui sans cesse semble leur échapper. Cette chorale de thèmes ne nuit pourtant pas à la fluidité du récit et mène le spectateur au cœur des véritables préoccupations des personnages. Ces derniers, au fur et à mesure qu’ils font irruption sur l’estrade ou lorsqu’ils discutent à voix haute, dans le noir et éclairés par des torches sur leurs smartphones, deviennent des porte-voix de questions qui trouvent écho du Nord au Sud du Sahara.
« En plus de regarder les films, on parle. C’est une occasion pour apprendre », déclare un des personnages du groupe d’étudiants cinéphiles. Sans magnifier un rôle ou porter un acteur ou une actrice, Coconut Head Generation met en avant le collectif au détriment d’un individu, ce n’est pas un film solitaire, mais une chorale de voix usées de crier sans être entendu, des cordes de guitare sèches et tendues au point de n’attendre qu'un léger toucher pour rompre. Et cette rupture de quelle nature peut-elle être ? Jusqu'à la dernière demi-heure du film, le suspense demeure. On se prend à ce jeu de piste et on s’interroge sur ce qui parait familier dans cet univers qui semble lointain, mais portant si proche.
Une odeur de poudre
A un moment du film, qui ne mise pas sur l’intrigue, le réalisateur Alain Kassanda pousse le concept du cadre et de l’absence d’identité très loin. Alors que les voix jaillissent, que l’on sent monter inexorablement la tension, le noir domine l’écran, à l’image de la petite salle de projection où les étudiants suivent les films, la vue est obscurcie et seules l’oreille et l’attention nous gardent en une expérience qui fait appel à l’imagination du spectateur. Pour un étudiant d’une université moyenne en Afrique, l’idée que « tout ce qui se passe dans le noir, je le sais, le devine et je l’ai vécu » résonne dans la tête.
La grande audace de Kassanda reste celle de porter à nue une vérité qui allie le manque d’électricité à la ferme volonté de réussir, de montrer sans concession ce que c'est d’être jeune, mais pas fier de l’être dans un système qui étouffe et étrange ses meilleurs cerveaux. « Nous surestimons la résilience, elle a ses limites » avoue, avec rage, une des membres du club.
Ainsi, la place qui est accordée aux étudiantes, hyperactives et au premier rang, sort le film du piège souvent courant qui consiste à dénoncer l'absence de droits des femmes au cinéma, mais par des discours portés par des hommes. C’est la véritable réussite du film. Le besoin de conversation, qui court tout au long de l’œuvre, s’installe presque dans le siège d’à-côté avec une odeur de soufre, de poudre et d’une imminente explosion qui n’attend que son moment pour jaillir. Dans des espaces qui peuvent être Makerere, Lubumbashi, Cape Town, Tunis ou Bamako.
ZOOM
L'université d'Ibadan, la plus ancienne du Nigeria
L'Université d'Ibadan (UI) est une université publique de recherche à Ibadan, au Nigéria.
L'université a été fondée en 1948 sous le nom de University College Ibadan, l'un des nombreux collèges de l'Université de Londres. Elle est devenue une université indépendante en 1962 et est la plus ancienne institution délivrant des diplômes au Nigéria.
Grâce à son réseau de diplômés, l'Université d'Ibadan a contribué au développement politique, industriel, économique et culturel du Nigéria.
Elisha Iragi