BANEL & ADAMA, pas de place aux ardeurs
La Chauve Souris / Take Shelter / Astou Films / Arte France Cinéma / DS Productions
Un "Roméo et Juliette" à l'africaine
Pour son premier film, Ramata Toula-Sy nous raconte une histoire assez simple et classique, mais aussi belle et émouvante, qui nous touche droit au coeur sans détour. Décryptage.
Banel & Adama conte l'histoire d'amour de deux jeunes, vivant dans un village sénégalais éloigné de la civilisation. Le "destin" leur a donné une deuxième chance. Leur village, profondément imprégné par la tradition et la religion, et où l'individu se trouve absorbé par la collectivité, ne laisse pas de place aux ardeurs. Banel & Adama s'aiment pourtant d'un amour fou et passionnel. Les conventions de la communauté vont alors tout doucement déchirer le couple.
Banel et Adama voient leur village comme un frein pour leur relation. Ils souhaitent tous deux vivre loin de la communauté, rien que tous les deux, dans les maisons ensablées. Le film se centre sur le personnage de Banel. Banel ne vit que pour Adama, que par Adama.
Banel a une mentalité qui diffère de celle des siens. Elle ne veut pas de cette vie de "villageoise", elle ne veut pas limiter sa vie à s'occuper du village et faire des enfants, comme les autres femmes. Elle ne peut concevoir de faire uniquement des enfants, la lessive et de préparer des repas. Elle rêve d'amour, d'indépendance et souhaite s'émanciper. Le village l'étouffe. C'est ainsi qu'elle a fait un énorme sacrifice pour pouvoir être marié avec Adama.
Le personnage d'Adama est lui partagé entre ses devoirs et ses désirs. Il aime Banel d'un amour absolu mais la survie du village repose sur lui. Il se doit de respecter la lignée de sang.
La réalisatrice souligne subtilement le mépris de la femme dans cette société. La voie/voix de la femme n'est pas aussi importante que celle de l'homme, elle ne jouit pas des mêmes droits.
« Tu as bien fait de leur dire. Au moins, toi, ils ne t'obligeront à rien parce que tu es un homme. » dit ainsi Banel à Adama. Racine fait lui remarquer à Banel : « On t'a déjà dit de ne pas t'asseoir comme ça. Ce n'est pas convenable pour une femme. » ; tandis que Binta rappelle à Banel : « Tu es une femme. (...) Ton devoir c'est de donner des enfants à ton mari.»
On remarque un fort attachement à la religion et à la tradition dans le village. L'islam y occupe une grande place. Les villageois perçoivent ainsi le malheur qui frappent leur village comme une épreuve de Dieu, un message. Binta dit de cette manière à Adama : « Si tu y étais allé comme je te l'avais demandé, Dieu aurait accepté nos prières et la pluie serait arrivée. »
Le couple de Banel & Adama se distingue de ceux qui les entourent. Ils s'aiment, non pas par obligation ni par devoir, ils s'aiment d'un amour sincère. Dans cette société, les couples se forment-ils par devoir, par tradition ou par amour ?
En termes de mise en scène, le film se constitue principalement de gros plans, même si ceux-ci alternent aussi de temps en temps avec des plans d'ensemble mettant en valeur le superbe écrin dans lequel évolue les personnages, dans un village un peu perdu au nord du Sénégal.
Les gros plans qui cadrent principalement les visages nous permettent d'entrer dans la tête des personnages. En cadrant uniquement les visages des personnages, il est facile d'y lire leurs sentiments ou de deviner leurs pensées. Le film a été tourné dans un dialecte sénégalais, ce qui rend la lecture des émotions et des sentiments des personnages plus agréable. Par exemple, sur le visage de Banel, on lit souvent de la tristesse, de la colère, ou encore de la révolte mais également de l'amour lorsqu'elle pense à Adama.
J'ai sinon beaucoup apprécié le jeu des acteurs. Les acteurs principaux, Khady Mane et Mamadou Diallo jouent très bien leurs rôles respectifs. On sent une vraie connexion entre eux. C'est comme s'ils lisaient dans les yeux de chacun. Aussi, ils se parlent souvent avec les yeux, qu'ils soient tristes, en colère ou transportés par la joie. Ils sont si fusionnels qu'on peut penser que leurs âmes sont liées.
J'ai aimé ce film. L'amour que Banel et Adama se portent m'a beaucoup touché. Ils s'aiment au-delà du physique. C'est leurs âmes qui s'aiment. A mes yeux, ce couple mémorable recrée le classique de Roméo et Juliette, à l'africaine.
Remerciements chaleureux à l'équipe de Tandem Films, en particulier Carla Sy, Benjamin Chenou et Aurélien Lemaître.
ZOOM
De l'écriture au cinéma
Ayant intégré la Femis en section "Scénario", Ramata Toulaye-Sy a beaucoup été inspirée par la littérature, et cite souvent des livres comme ses modèles.
Parmi ses écrivains préférés figurent notamment Toni Morrison, Chimamanda Ngozi Adichie et Maya Angelou.
Eclectique, elle a cela dit aussi été beaucoup marquée par "Harry Potter", ou encore les contes des griots africains que lui transmettait sa mère quand elle était petite. Elle affirme en tout cas souvent son goût pour le "réalisme magique", et préfère éviter le naturalisme.
Avant de passer à la réalisation avec "Banel & Adama", elle a notamment travaillé à l'adaptation de "Notre-Dame-du-Nil" d'Atiq Rahimi d'après la romancière rwandaise Scholastique Mukasonga.
Wendy-Michelle N'Gbende