TOUT LE MONDE M'APPELLE MIKE, angoissant huis clos en pleine mer
Spectre Productions / The Dark
Peut-on vraiment s'échapper du monde ?
Sorti en salle le 5 juillet de cette année, Tout le monde m'appelle Mike est la surprise de cet été. Premier long-métrage de Guillaume Bonnier, lauréat 2018 de la fondation Gan pour le Cinéma, cette pépite ramène au goût du jour le cinéma en mer longtemps absent des écrans.
Les amarres larguées à Toulon, Jean, Isabelle et son fils Damien prennent le large pour aller au gré du vent, là-bas, derrière l'horizon. Le grand départ. Ils veulent s'évader du monde qui ne leur correspond plus, d'un système où ils n'arrivent pas à trouver leur place.
Le film s'ouvre sur une carte où l'on voit le parcours du petit voilier amorcer sa course de la France, en passant par la Méditerrané avant d'interrompre sa traversée à Djibouti, en même temps qu'une voix-off détimbrée annonçe la rencontre avec Mike. A cause d'une avarie de moteur, les voilà obligés d'accoster sur cette terre lointaine où ils vont croiser la route d'un taximan sympathique qui leur proposera son aide. Au moment de larguer à nouveau les amarres, il faut prendre une décision : partir ou pas avec Mike pour la traversée du périlleux Golfe d'Aden afin de rejoindre Les Seychelles. Apres une certaine hésitation, ils l'embarquent avec eux.
Tout le monde m'appelle Mike nous happe dès la première minute. Sans préambule, on se retrouve précipité dans cette aventure où l'embarcation de l'inconnu sur le voilier scelle le non-retour. L'angoisse s'étage en cercle concentrique jusqu'à en devenir insoutenable. La lenteur assumée de chaque scène participe à l'étirement de cette tension progressive et oppressante. L'absence permanente de musique transforme ce silence paisible au début du film en silence angoissant. Le paradoxe qui s'en suit est un malaise, une sensation d'exiguïté et d'étouffement sur ce pont et dans cette cale qui contraste avec ces étendues d'eau sans fin qui ne laissent passer aucun rivage. Huis clos en mer.
Drame, film d'aventure, thriller, le film d'une grande beauté formelle porte un regard objectif sur ses différents personnages sans prendre parti et sans inhiber l'émotion du spectateur. La confrontation entre ces cultures qui s'opposent et ces trajectoires de vie antagoniques poussent lentement mais irrémédiablement les personnages vers le conflit. D'un côté des occidentaux en quête de liberté et de l'autre un somalien usé par les drames économiques et politiques de son pays qui rêve de l'Europe.
Pierre Lottin, Jean, offre une performance remarquable de protecteur impuissant dépassé par les évènements. Daphné Patakia, Isabelle (dont on se rappellera du regard cerné d'un halo qui semble en étendre l'ouverture pour laisser passer tout le trouble qui remue son cœur et toutes les nuances de peur et d'angoisse que recèle cette âme torturée) offre aussi une belle performance oscillant avec brio entre vulnérabilité et force de caractère. La grande surprise du film c'est Abdirisak Mohamed, Mike, qui, ayant une histoire personnelle très proche de celle qu'il interprète, fait littéralement corps avec son personnage et le porte à l'écran avec une grande justesse.
ZOOM
Un premier long-métrage
Passionné depuis son enfance par la mer, Guillaume Bonnier a toujours rêvé de faire un film sur l'eau.
Pour son premier long-métrage donc, après une carrière d'assistant-réalisateur, il s'est attaqué à ce projet tant rêvé, faisant d'un bateau le théâtre d'un affrontement entre deux réalités du monde : « Je voulais montrer un couple avec un très grand désir de liberté, de pacifisme, se prendre le monde en pleine gueule. Ils veulent échapper au monde, mais on ne peut plus échapper au monde, faire semblant qu'il n'existe pas, s'exiler loin des spasmes qui le secouent. »
Avec une équipe réduite, ils ont tourné en Guadeloupe et à Djibouti et ont éprouvé les affres du tournage en mer (même pour les scènes d'intérieur). Le casting de l'acteur qui devait incarner Mike n'a pas été facile parce que la plupart des Somaliens fraichement arrivés en France sont traumatisés. Il n'était donc pas facile de leur demander de faire vivre par leur jeu un personnage qui exprime de la violence. Abdirisak Mohamed d'origine somalienne, qui a comme son personnage vécu des drames très douloureux, les a convaincus dès ses premiers essais. « Abdirisak est un très grand acteur. Ensuite, on a travaillé sur le scénario ensemble, il a énormément apporté, il avait des idées en permanence. Je n'ai jamais eu à le diriger, il pensait à tout, il me surprenait à chaque prise. »
"Le couteau dans l'eau" et "Plein soleil" constituent des références majeures pour ce film.
Patrick Kasongo