Théâtre / république-démocratique-du-congo
JORDYCTIONNAIRE fait danser nos cerveaux
Une sorte de thérapie
Slameur et humoriste, Jordyctionnaire ne passe pas inaperçu déjà en raison de sa voix très grave et facilement identifiable ; et également en raison de la malice avec laquelle il jongle avec les mots.
Comment le slam est-il entré dans ta vie ?
Jordyctionnaire : Avant, je n'étais pas du tout à fond sur le slam ; je m'intéressais plus au rap, et je passais mon temps à écrire des raps pour les artistes de mon coin. En 2014, je perds mon père, et, deux ans après son décès, je frôle moi-même la mort. C'est après cet incident que je me suis vraiment mis au slam, et que je suis passé à des textes ayant plus de sens, et des textes vraiment aboutis. Faire du slam, c'était devenu comme une sorte de thérapie. Après un "Atelier d'écriture" en 2017, j'ai découvert le slam, et ce fut directement le mariage.
Qu'est-ce qui te plaît dans le slam ?
Jordyctionnaire : L'amour que je donne, les émotions transmises, la joie quand le public se lève, tous ces jeux de mots (calembours, mot-valise, cadavre exquis) dans les textes, bref ce qui me plaît dans le slam, c'est le fait que mon âme s'exprime directement.
De quels outils as-tu besoin pour tes slams ? D'un dictionnaire, d'un dictionnaire des synonymes ?
Jordyctionnaire : Je m'inspire un peu de tout, et justement, parfois, je fais recours au dictionnaire, pour placer les mots à la place qu'il faut.
De combien de temps as-tu généralement besoin pour écrire un slam ? Fais-tu beaucoup de réécritures, de versions différentes ?
Jordyctionnaire : Ca dépend de mes ressentis et de mon inspiration, et c'est aussi une question de motivation.
Quelles thématiques t'intéressent-elles tout particulièrement ?
Jordyctionnaire : J'exploite différentes thématiques, mais je fais plus de textes engagés qui dénoncent la situation précaire de ma société. Je chosis mes thèmes de manière à atteindre toutes les couches de la population. Je parle de mes anges et de mes démons, de mes amours, de ma famille, je touche aussi à l'histoire.
Quels ont été tes mentors ou tes figures d'inspiration pour le slam, au Congo, en Afrique, ou ailleurs ?
Jordyctionnaire : Je ne dirais pas que j'ai vraiment des figures d'inspiration en slam, car j'étais plus influencé par le mouvement hip-hop avec des rappeurs tels que Despo Rutti, Rohff, Disiz, Kerry James, Orelsan, Youssoupha... Mais s'il faut parler de slam, j'écoutais plus en audio des déclamations de poésies célèbres sur une application Microsoft, Encarta, et ça me mettait l'eau à la bouche.
Parlerais-tu d'un engouement pour le slam à Lubumbashi ?
Jordyctionnaire : Bien sûr que oui, au début, le slam c'était un style pour les ringards, le style n'accrochait personne auprès du public lushois. Nous étions des petits rêveurs à leurs yeux. En plus, c'est un public plus habitué à la rumba. Il fallait trouver un moyen de faire danser leurs cerveaux au lieu de leurs corps.
Pourrais-tu rappeler les différentes structures dans lesquelles les slameurs peuvent se produire à Lubumbashi ?
Jordyctionnaire : On trouve des collectifs de slam, ainsi que des ateliers d'écriture dans des écoles et des université. En termes de structures, on peut citer les centres d'art Waza et Picha, l'Institut français de Lubumbashi, le centre de recherche Arrupe, le bureau Wallonie-Bruxelles, les écoles et universités, le musée de Lubumbashi...
A ton avis, quels sont les critères pour devenir un bon slameur ? Quels conseils prodiguerais-tu à un jeune désireux de se lancer dans le slam ?
Jordyctionnaire : Il faut juste avoir une histoire à raconter, et des gens qui écoutent - peu importe leur nombre. Le conseil que je pourrais donner, c'est de se concentrer davantage sur les messages, et de moins se focaliser sur les rimes. Les belles histoires se racontent simplement.
Tu es aussi humoriste. Est-ce plus difficile d'être slameur ou humoriste, selon toi ?
Jordyctionnaire : Je crois que les deux sont durs, mais l'humour un peu plus, car avec l'humour, on sait quand on est en train de rater.
Est-il compliqué de faire rire les Lushois ?
Jordyctionnaire : Faire rire les Lushois, ce n'est effectivement pas une mince affaire. C'est un public vraiment exigeant qui recherche l'originalité et une certaine expérience. Ils ne rient pas de tout : voilà pourquoi il faut être méticuleux quant au choix de nos sketchs.
En tant qu'humoriste, quels thèmes abordes-tu surtout ?
Jordyctionnaire : Je parle de moi, du Congo, de l'Afrique, des relations entre l'Europe et l'Afrique, et parfois des thèmes satiriques et osés, comme le sexe.
Quels humoristes t'inspirent-ils tout particulièrement ?
Jordyctionnaire : Anthony Kavanagh, Patson, Roman Frayssinet, Lenny Mbunga, Rachid Badouri, Mamane, Nick Mukoko.
Tu étais récemment au Bénin. Dans quel cadre ?
Jordyctionnaire : Pour représenter la RDC, à la 3ème édition d'un concours ! Après un casting qui a réuni plus de 20 talents, j'ai été sélectionné pour les demi-finales.
Quels sont tes projets actuellement ?
Jordyctionnaire : Je compte lancer des projets audiovisuels, je prévois aussi de faire une tournée avec un concert-slam, et, sur le long terme, je pense écrire mon premier one man show.
ZOOM
Jordyctionnaire à l'oeuvre
Voici un extrait d'un de ses slams, pour le plaisir ! Merci à Jordyctionnaire de le partager avec vous, chers lecteurs !
"J'ai rencontré des poètes tellement alcooliques qui, au bout d'un moment n'arrivaient même plus à finir ne fût-ce qu'un verre. Des poètes qui, après six vers, n'étaient bons que pour la civière.
Au premier vers, je tire
Je laisse des traces comme des vergetures
Je m'incruste dans vos têtes comme une vermine
Je fais des vers mine de rien, tu kiffes
J'ai des vers en béton
T'as des vers tiges
Mes vers tuent
Mais renferment des vertus.
Mes vers cognent
Sans vergogne
J'aime la verdure de Gucci, Versace"
Matthias Turcaud