Dans L'Aventure ambiguë, comme dans la plupart des romans africains en général, le problème identitaire est au centre de la réflexion. Ce problème identitaire est d'autant plus vrai que Samba Diallo, le héros, symbolise le trait de caractère de bon nombre d'Africains ayant séjourné en Occident. D'ailleurs, la formule de Jinjiri J. Achiriga le montre aisément : " Samba Diallo incarne le Nègre qui n'a pas réussi à surmonter la contradiction des deux cultures ". A travers cette formulation, nous comprenions combien le héros d'alors, en l'occurrence, le nôtre dans L'Aventure ambigüe, vit cette hybridité culturelle. Mais que recouvre ce concept ? Sommes-nous tous des hybrides culturels ? Le concept reste-t-il d'actualité ?

Samba Diallo est perçu comme un héros hybride dans la mesure où il constitue, comme l'appelle l'anthropologue brésilien Darcy Ribeiro, une espèce d'intermédiaire entre l'Africain, qu'il est et l'Européen qu'il veut être. Dès lors, il baigne dans une sorte de tension entre deux cultures qui cohabitent en lui, africaine et occidentale. Son séjour à Paris est vécu comme une période d'égarement car il met en doute sa foi et ses convictions religieuses fondamentales. Il vit un dilemme dû à ce changement culturel.

En réalité, il vient de découvrir que le monde africain, son monde, obéit à des codes précis, le tout encadré par une forte conviction religieuse où la remise en question n'est pas permise. Dans son monde, il réagit plus qu'il n'agit. Tout le contraire du monde occidental où le questionnement sur l'existence est de mise. L'individu est acteur. Il a le droit d'émettre ses opinions. Sauf que c'était trop pour Samba Diallo. Non seulement, il doit apprendre la philosophie mais avec la langue d'emprunt. Or, toute langue véhicule une culture. En délaissant sa langue maternelle, le peul, il s'acculture progressivement malgré sa volonté de s'adapter.

Ce conflit intérieur que vit notre héros, montre à bien des égards la difficulté de tout être en général, et de l'Africain en particulier, à engager l'avenir en toute sérénité. Pourtant, Cheikh Hamidou Kane considère que nous sommes tous des hybrides culturels. Il est convaincu que nous n'avons pas le même passé, nous aurons en revanche forcément le même avenir. Mais comment réussir cette cohabitation où l'une entraîne forcément la disparition de l'autre ?

L'auteur de L'Aventure ambigüe considère que même si le passé des uns et des autres est différent, l'avenir, lui, est commun à tous. N'est-ce pas la fameuse civilisation de l'Universel dont parlait Léopold Sédar Senghor.

Toutefois, il est conscient comme nous que ce n'est qu'un idéal. Le fait que son héros, Samba Diallo fasse des études de philosophie, en dit long. La philosophie est une discipline qui interroge plus l'existence que l'essence. Elle fait appel à l'esprit critique, à la construction d'un destin individuel coupé de tout déterminisme religieux. Intérieurement, Cheikh Hamidou Kane semble reconnaître la complexité de la tâche. Il voulait, il me semble, confronter la tradition des Diallobé au progrès occidental. Le résultat est accablant. De cette confrontation, il ressort toujours un vainqueur. Il est aisé de se rendre compte que nous sommes tous des hybrides culturels qui souhaitent dépasser ce conflit culturel qui sommeille en chacun d'entre nous. C'est dire combien ce concept d'hybridité est permanent d'autant plus que le monde d'aujourd'hui est un monde de plus en plus matériel. Preuve que « l'aventure ambigüe se passe dans un monde ambigu » pour reprendre l'expression du célèbre anthropologue Georges Balandier.

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Un grand défi culturel

Cheikh Hamidou Kane, né le 2 avril 1928 à Matam, dans le Nord du Sénégal, a fait date non par une production particulièrement prolifique mais en raison de la grande importance de ses œuvres.

En 1961, il publie "L'Aventure ambiguë". En 1995, "Les Gardiens du Temple". Ces œuvres lui ont valu le Grand Prix littéraire d'Afrique Noire (1962) et le Grand Prix des Mécènes (2019).

Loin de s'opposer, ces deux œuvres constituent une continuité. Elles traitent des conséquences du choc culturel. Si la première décrit les conséquences du choc culturel, la seconde, quant à elle, sonne comme une mise en garde sur les dangers qui guettent les traditions africaines, les Diallobé notamment, face aux progrès symbolisés par l'Occident.

La linéarité de sa réflexion peut être analysée comme une obsession chez lui. En effet, Cheikh Hamidou Kane, comme tant d'autres auteurs africains de la première génération, notamment Seydou Badian Kouyaté, Ousmane Socé Diop, Léopold Sédar Senghor, soutient que le plus grand défi auquel l'Afrique est confrontée reste culturel.

Moussa Senghor