Dans leur volonté de rétablir la vérité historique, des auteurs africains ont essayé, à travers le théâtre, de donner une autre version de l'histoire, celle-là véridique. C'est le cas de Cheik Aliou Ndao. Dans L'Exil d'Albouri, il nous présente la figure héroïque du Bourba Djolof.
Mais qui est l'auteur de cette pièce ?
De son vrai nom, Sidy Ahmed Alioune Cheik Ndao est né en 1933 à Karthiak, près de Bignona. Il affirme être formé à la bonne école, celle des vieillards avec leur sagesse populaire. Il connaît très bien les traditions de son peuple, et surtout l'histoire de son peuple.
Prenant prétexte de l'histoire du Djolof avec le Bourba Djolof (le roi), Cheik Aliou Ndao, à l'image d'autres auteurs africains comme Seydou Badian avec La mort de Chaka, Aimé Césaire avec La Tragédie du Roi Christophe, Bernard Dadié avec Monsieur Thôgô Gnini ou encore Guillaume Oyono Mbia avec Trois prétendants, un mari. Dans L'Exil d'Albouri, Cheik Aliou Ndao essaie de réhabiliter nos héros africains avec une dose de nationalisme. Commence alors une vaste entreprise de réécriture de l'histoire. En effet, l'histoire telle que présentée par les colons, nous donne une facette peu honorable de nos rois. Ils étaient le plus souvent considérés comme des roitelets sanguinaires et peu éclairés. C'est le cas de Lat Dior du Cayor, qui est présenté de dos, face à l'ennemie. Comme pour dire qu'il était en position de fuite.
Soucieux de rétablir la vérité, Cheik Aliou Ndao se sert de l'histoire pour corriger cette image négative. « Mon but est d'aider à la création de mythes qui galvanisent le peuple et le portent en avant » affirme-t-il dans le prologue. A travers ce procédé historique, il arrive à immortaliser le roi Alboury. Il le présente comme un roi pétri de sagesse qui met en avant les intérêts de son peuple. Conscient de la supériorité militaire des colons, il donne une véritable leçon de repli tactique et stratégique à travers l'Exil. Comme Hugo qui, dans « Ultima verba » (Les Châtiments, 1853) déclare : « Je resterai proscrit, voulant rester debout », Alboury conçoit l'exil comme une insoumission, une sauvegarde de la liberté et de la dignité. Par ce biais, il nous donne aussi une véritable leçon de panafricanisme et d'intégration africaine.
Plusieurs passages marquants du livre nous donnent de bons exemples de la sagesse d'Alboury. Déjà, au Tableau I, à la place publique, alors qu'il s'entretenait avec son peuple, le roi apprend à travers un espion la mort de Lat Dior et surtout l'invasion progressive du royaume par les hommes de couleur de terre cuite « les blancs envahisseurs » aidés par des spahis (soldats noirs sous leurs ordres). Contrairement à son demi-frère, le prince Laobé Penda qui recommande de prendre les armes, Albouri, lui, impose de la retenue et invite ses « Djarafs » à la réflexion.
De même, au Tableau II, devant l'insistance du Prince qui milite pour le combat « Jetons-nous devant l'ennemi », peste-t-il, Albouri opte pour l'exil. « Nos ennemis ont des machines que nous n'avons pas », rétorque le roi craignant un génocide. La meilleure décision pour lui, c'est de se rendre à l'Est, au Niger, à Ségou, plus précisément pour gonfler les rangs de l'armée d'Ahmadou Cheikhou, fils d'Omar et riposter en plus grand nombre. Il explique aussi devant l'entêtement du Prince qui considère l'exil comme une fuite, un déshonneur que « mourir sur les champs de bataille n'est pas la seule forme de bravoure ».
La sagesse du roi et son sens de l'écoute, sa capacité à fédérer et à associer les femmes dans la prise de décision font d'Alboury un roi moderne et nous montre que nos rois, loin d'être des roitelets, étaient de dignes rois et des figures exemplaires.
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Quelques mots sur Cheik Aliou Ndao
Professeur d'anglais comme Guillaume Oyono-Mbia, Cheikh Aliou Ndao est l'auteur d'une oeuvre aussi intéressante que diversifiée.
Très polyvalent, il a touché à la poésie, à la nouvelle et également au théâtre. C'est une figure très respectée au Sénégal, il a la particularité d'être un écrivain bilingue. Il écrit plus volontiers encore en wolof qu'en français, même si les circonstances l'ont également obligé de choisir la langue de Molière.
En 1967, Ndao écrit "Buur Tilleen" en wolof, mais ne trouve pas d'éditeur pendant presque dix ans, et se résout ainsi à adapter son livre en français, choisissant alors comme titre "Le Roi de la Médina". On lui doit également, entre autres, les romans "Excellence, vos épouses !", "Un bouquet d'épines pour elle !" et "Mbaam dictateur", ainsi que le recueil de nouvelles "Le Marabout de la sécheresse". Son oeuvre aborde souvent sans ambages des enjeux politiques et sociaux sujets à polémique.
Moussa Senghor