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THE GHOSTS ARE RETURNING, redonner leur voix aux Mbuti

Une plaidoirie humaine et écologique

La pièce de théâtre musicale du Group50:50, présentée à Berlin, Kinshasa et Lubumbashi remet au centre de la lutte pour la restitution de biens culturels africains les voix de la population autochtone, les Mbuti, oubliée malgré des blessures qui datent du milieu du 20e siècle. Reportage.

« La salle doit être pleine. Il faut que les gens découvrent cette œuvre » s'inquiétait, lors de la distribution des invitations, Patrick Mudekereza, cofondateur du Group50:50 et directeur du Centre d'art Waza à Lubumbashi, coorganisateur du spectacle avec Podium Esslingen (Allemagne). Prince Kasengeneke, étudiant à l'Unilu s'attendait « à ce que le spectacle atténue le traumatisme et le drame » et permette de « ne pas oublier ces personnes ». Ces personnes sont Ngowe, Abelua, Iksati, Aneka, Basaga, Mavuo et Ngala, sept pygmées dont les restes déterrés, ont été transportés en Suisse par Borisse Adé, un médecin ayant vécu dans le Haut-Uelé dans les années 1950. Près de 1000 personnes ont assisté à la première vendredi 10 février.


La scène devait être grandiose. À l'image de la première présentation du spectacle dans les salles berlinoises, celle de Lubumbashi a été bluffante. Portée par les guitaristes Christain Kossakamvwe, alias Kodjack, Merveille Mukadi, la voix d'opéra d'Elia Rediger et le violon de Ruth Kemna, The Ghosts are Returning a offert un mélange de genre entre les sonorités de la rumba congolaise, la musique classique et les rythmes traditionnels de la musique Mbuti. La pièce, portée par la voix de Christiana Tabaro à la narration et la géniale Huguette Tolinga, percussionniste autodidacte débordante d'énergie, s'inscrit dans une création qui brouille les codes.

Le spectacle est entrecoupé des confessions intimes de chaque artiste, comme sur la manière souhaitable d'être enterré. « Sous un arbre fruitier dans un jardin », confie Ruth Kemna, « dans la mer » pour Kodjack ou encore « sur scène avec mes tambours » pour Huguette Tolinga. Non sans humour, chacun et chacune devaient également indiquer s'il préférait la fondue ou le fufu.

De manière générale, les moments chantés se sont révélés très convaincants et réussis. Visuellement, le spectacle retenait l'attention avec une installation lumineuse de trois écrans, des rideaux rouges enflammés par une dizaine de projecteurs, une fumée artificielle entre deux solides œuvres d'art, un piano, des micros, les tambours de Huguette et un podium garni d'une table de consultation médicale. « J'y ai amené ma fille d'un an pour qu'elle découvre ses premières sonorités de musiques congolaises », se réjouissait Betty, une enseignante.

La parole offerte aux peuples Mbuti et l'incessant danger écologique que représente l'accélération de la déforestation du bassin du Congo occupent le spectacle. La recherche, presque une enquête, retrace le parcours de Boris Adé, sa vie au Congo et sa mission d'exploitation des cadavres des peuples Mbuti. « Est-ce une histoire présente dans la mémoire collective ? J'avais peur et une incessante interrogation m'a accompagné tout au long de la recherche à Wamba », témoignait Christiana Tabaro à propos des blessures que la préparation du spectacle ouvrait.


Les membres du collectif ont pénétré la moins en moins dense forêt équatoriale pour rencontrer les Mbuti à Wamba, dans l'ancienne Province orientale. Sur place, « les gens se souviennent », a déclaré Christiana dans sa narration. Dans la brochure « Le Retour des fantômes » (publiée par Podium Esslingen), Eva-Maria Bertchy, metteuse en scène et dramaturge du projet, avoue avoir vécu un moment « très compliqué parce que j'y suis allée en tant qu'européenne, blanche, et que, des deux côtés, la perception était empreinte de clichés ».

Lors de la projection, on découvre ainsi le lieu où habitait Borisse Adé, les souvenirs des descendants des Mbuti et le besoin local de retrouver les restes des ancêtres jadis emportés. « Chaque fois que l'on prononçait les noms Ngowe, Abelua, Iksati, Anekan Ngala, Basaga et Mavuo, les gens savaient que ces noms avaient existé à Wamba », se souvient la narratrice.

Jean de Dieu Bongama et Jean Baptiste Ekaka sont parmi les nombreux Mbuti qui prennent la parole pour exprimer la nécessité d'être entendu par les autorités, d'enterrer leurs ancêtres morts ou de vivre en harmonie avec les Bantu. Souriant, blagueur et décontracté, les souvenirs d'un septuagénaire décrivent avec précision les opérations de M. Adé pour déterrer les corps avant que des crânes et autres ossements ne soient amenés en Europe. À Wamba, les femmes préparent un rituel de deuil dans l'espoir que leurs morts leur reviendront. À Lubumbashi, une délégation sous le chef Alexandre Medjedje de Wamba a assisté au spectacle et a ouvert « la perspective de communautés locales » sur la question de la restitution des restes humains.

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Photo : Joseph Kasau

L'Université de Lubumbashi a organisé un colloque sur la « fin du temps de déni ». Son recteur, Gilbert Kishiba se félicitait que la pièce de théâtre musical « ait rendu une humanité aux communautés locales.» « Nous constatons qu'il est urgent de procéder aux justes compensations et contreparties auprès des populations autochtones », premières victimes de la déforestation en RDC.

Lors du spectacle à Lubumbashi, salué par un standing ovation de près d'une minute, le Groupe a rendu hommage à Dorine Mokha, cofondateur du collectif décédé en janvier 2021. The Ghosts are Returning n'est pas seulement une « expérience stimulante et enrichissante » de collaboration entre artistes, mais aussi « une manière de contribuer à un travail critique sur notre passé colonialiste » résume Joosten Ellée, directeur artistique responsable de publication de Podium Esslinger.

Remerciements chaleureux à Joseph Kasau pour les photos

ZOOM

Un lieu plus que symbolique

Dans les travées du Bâtiment du 30 juin où siège le parlement provincial, Gloria Mpanga, critique d'art et journaliste estimait que le sujet de la pièce permettait de « sortir la question de la restitution d'un environnement politique », croyant que « c'est vital de repenser à ce peuple via le regard des artistes ».

M. Ekaka se désole de la déforestation constante effectuée par les Chinois, les Bantu et d'autres personnes qui viennent de loin pour emporter le bois.

« Que cette pièce de théâtre soit jouée dans un bâtiment construit pour la culture, mais qui aujourd'hui se trouve entre les mains de politiques me touche. Pour la restitution, il n'y a pas que les restes humains qu'on attend » évoquait Costa Tshinzam, critique d'art, à la sortie de deux heures et demie de spectacle.

Rita Mukebo, artiste plasticienne qui a travaillé sur le sujet similaire, se réjouissait que The Ghosts are Returning parle « des restes humains comme objets. Avec ce spectacle, on comprend que même les autochtones ont besoin de recevoir ces restes et enterrer leurs ancêtres avec dignité. » Émue, elle avoue avoir appris sur une question qui « n'est pas enseignée à l'école ni vue dans un documentaire. »

Iragi Elisha