Films / sénégal

TIRAILLEURS, un devoir de mémoire nécessaire et touchant

Gaumont

Donner un nom aux sans nom

Projet de longue date pour lequel l'acteur-producteur Omar Sy s'est beaucoup investi, "Tirailleurs" revient sobrement sur une page de l'histoire injustement oubliée.

Chef opérateur sur "Sur mes lèvres" de Jacques Audiard ou "Samba Traoré" d'Idrissa Ouedraogo, Mathieu Vadepied avait d'abord réalisé "La Vie en grand" en 2015. Il s'agit à présent de son deuxième long-métrage. Avec son co-scénariste Olivier Demangel, il a choisi d'évoquer la trajectoire des tirailleurs dits "sénégalais" à travers un point de vue intimiste, et la trajectoire d'un père qui s'engage pour veiller sur son fils, qui s'est fait enrôler de force. 

 

Le film rend hommage à ces tirailleurs "sénégalais", mais qui en fait venaient de plusieurs pays d'Afrique (Guinée, Tchad...), qui se sont battus voire ont donné leur vie pour un pays dont ils ne savaient souvent rien, et dont ils ne parlaient même pas la langue, comme on le voit avec le personnage de Bakary Diallo, interprété par Omar Sy.

C'est d'ailleurs le premier film dans lequel on voit Omar Sy jouer dans sa langue maternelle, le peul, ce qui octroie une authenticité et une justesse supplémentaire au film, et met bien l'accent sur le fossé séparant de nombreux tirailleurs sénégalais du pays pour lequel on les a forcés à se battre. L'acteur se montre d'ailleurs particulièrement convaincant et impliqué. Grave et taiseux, il en dit long par ses silences et ses regards. Son neveu dans la vie, Alassane Diong, qui joue son fils, n'en fait pas trop.

A l'image du film entier, Sy et Diong optent pour la sobriété. Le réalisateur, lui aussi, ne verse jamais dans le pathos ou le spectaculaire. On n'est pas dans "Il faut sauver le soldat Ryan". Des batailles menées, on ne verra pratiquement rien, ou alors une très grande confusion, incompréhensible. Justement, ce parti-pris s'avère très pertinent, puisqu'il épouse le point de vue des soldats qui n'y comprenaient souvent rien eux-mêmes. Plutôt qu'à un air d'opéra tonitruant et wagnérien, on pourrait ainsi comparer le film "Tirailleurs" à une musique discrète, presque en sourdine, mais qui vous hante tout de même, de manière lancinante et têtue.

 

Il faut également souligner la magnifique lumière que l'on doit au chef opérateur vénézuélien Luis Armando Arteaga, qui avait auparavant travaillé sur "Une mère incroyable" de Franco Lolli ou sur "Tremblements" de Jayro Bustamante, et qui sublime ici les visages et constitue aussi à elle seule un bien bel hommage.

Beaucoup d'aspects sont laissés hors-champ, beaucoup de questions demeurent. C'est là aussi la volonté du film : faire naître un débat, libérer la parole autour de ce sujet trop longtemps tu et trop longtemps effacé des manuels scolaires, des livres scolaires et des discours de commémoration.

Le film n'est pas dépourvu de maladresses ou de défauts, mais il a en tout cas cet important mérite-là : réparer une injustice majuscule, et rendre hommage à tous ces soldats oubliés ou inconnus. Sans la dévoiler, on aimerait souligner à quel point la fin, aussi implacable qu'inspirée, nous a émus.

ZOOM

"Un film qui vient de loin"

Dans une interview accordée à Patrick Simonin, Mathieu Vadepied dit à quel point le film "Tirailleurs" venait de loin, et que son grand-père qui avait vécu en Côte d'Ivoire lui parlait déjà d'Afrique.

Très tôt, il avait été impregné par des histoires venues d'Afrique. Jeune encore, il s'était rendu au Sénégal.  Ensuite, lorsqu'il était chef opérateur sur "Intouchables" d'Olivier Nakache et d'Eric Toledano, il y a dix ans maintenant, il a parlé à Omar Sy de cette volonté de consacrer un film aux tirailleurs sénégalais, et de montrer qu'il s'agit d'une "histoire commune", qu'il nous faut "regarder, transmettre, assumer".  

Matthias Turcaud