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LE COMMERCE DES ALLONGÉS, coup de gueule de Mabanckou contre les excès des sociétés africaines

Seuil

Un mort qui n'est pas mort du tout

Sorti au mois de septembre pour la rentrée littéraire de cette année, "Le Commerce des Allongés" emprunte les voies allongées d'un mort qui ne s'accepte pas comme mort.

Liwa Ekimakingaï a passé son enfance et continue d'habiter chez sa grand-mère, Mâ Lembé, car sa mère, Albertine, est morte en lui donnant la vie. Il est employé comme cuisinier à l'hôtel Victory Palace de Pointe-Noire. Et il attend de rencontrer l'amour. Un soir de 15 août où l'on fête l'indépendance du pays, il réunit ses plus beaux atours à peine achetés l'après-midi, et assez extravagants, pour aller en boîte. Au bord de la piste de danse, la belle Adeline semble inatteignable. Pourtant, elle accepte ses avances, sans toutefois se compromettre. Sacrifiée par son père, Adeline, veut venger son père. Elle utilisera l'amour de Liwa comme moyen de l'amener dans la maison de son père et de se faire empoisonner afin de venger son paternel à sa place. Liwa reusira à accomplir cette mission.

Mais avant d'arriver à cette décision finale, depuis sa tombe, Liwa Ekimangaî revoit les derniers moments de sa vie avant son décès. L'image de sa grand-mère ne le quitte pas, tous ses sentiments convergent vers elle. Mais Liwa ne peut plus retourner dans le monde des vivants pour retrouver sa grand-mère bien aimée. Désorienté dans ce nouveau monde, Liwa est accueilli par Prosper Milandou qui non seulement lui apprends le code de conduite, mais aussi l'aide à voir plus clair et à marcher droit.


Toujours sur un ton plaisant, Mabanckou plonge cette fois-ci le lecteur dans un univers fait de merveilleux. Il serait injuste de ne pas déclarer que ce congolais de Brazzaville a extraordinairement réussi sa rentrée littéraire de cette année. Le commerce des allongés, comme l'écrivain se plaît drôlement à intituler son récit, dessine une trajectoire étonnante de vies qui passent d'une dimension humaine à une dimension métaphysique. Dans cette métonymie des allongés, les morts découvrent la porte de ce nouveau monde dans un chambardement pareil à la gifle de Prosper Milandou sur Liwa Ekimangaî (choquant !). Le narrateur, lui, s'amuse à nous cadencer les deux mondes, comme s'il y trouvait du plaisir à faire mourir et à ressuscité le lecteur dans un jeu d'aller-retour entre le monde des vivants et l'univers des trépassés. Ce ballotement se manifeste par plusieurs enchâssements désopilants quelques fois.

Malgré cela, le champ lexical reste celui puisé dans l'amusant. Aucune référence au registre de la peur, on croirait que le narrateur s'interdit d'affoler son lecteur même dans des séquences les plus effroyables. Peut-être que notre conteur se révolte de ce qu'on attendrait sur la narration d'un registre fantastique. Ah ! que Mabanckou nous régale dans cette fusion de registres littéraires !

Dans ce rêve le plus long de la mort de Liwa Ekimangaî, l'ancestralité africaine construit, in fine, la trame du récit. La vision du monde que le roman se revendique est convoqué par cette particularité culturelle dont le discours sur la mort a élevé le défunt au niveau de génie et des protecteurs. Le narrateur s'en est saisi et a construit un lien particulier autour de cette façon de penser : Le monde des morts est devenu chez le narrateur le prolongement du monde de vivants et aucune rupture psychologique n'est observée chez les « allongés » qui continuent leur périple dans cet autre monde.


Mais dans cette histoire, où Liwa Ekimangaî retourne accomplir sa mission dans le monde des vivants, se distille les misères des femmes, leur impuissance face à la gente masculine qui s'autorise de les dicter sa loi et de se payer leur tête quit à les humilier au passage. À l'image des fidèles de l'église « Grâce à Dieu », la faiblesse de la femme se manifeste aussi dans son zèle religieux. Cette foi n'est en fait qu'une forme de naïveté utilisée par d'autres hommes comme moyen de manipulation. Du reste, on se rend compte que les tournures grammaticales empreintes d'ironies dans ce cas précis posent ce problème comme l'un des principaux maux de nos sociétés africaines. Ces ironies résonnent telles des moqueries aux mœurs et à la considération que les uns et les autres ont du spirituel. Que dire d'autre ? Mabanckou nous invite à évoluer dans notre façon de penser le monde.

Le roman a des allures théâtrales où Liwa Ekimangaî assis sous un arbre à côté de sa tombe voit les morts défiler devant lui. On croirait à une scène de théâtre où chaque personnage de la scène entre en jeu pour jouer son rôle. Les défunts qui défilent devant le héros relatent chacun les circonstances de leur mort. Cette technique épouse mieux l'esprit du récit qui se veut un conte narré par un griot. Mabanckou continue ainsi à se placer dans le sillage des éminents griots de notre siècle. 

ZOOM

Diagnostic de la société du Congo-Brazzaville

L'auteur de "Verre cassé" ne rate pas l'occasion de brosser le tableau sociopolitique de Pointe-Noire et du Congo en général : la structure de classes sociales où, d'un côté, se retrouvent des nantis favorisés et de l'autre les pauvres livrés à eux-mêmes. Les autorités politiques, elles, s'accaparent et se partagent le pouvoir, à l'image de Zarathoustra qui restreint le pays à son cercle familier, excluant de ce fait tous les autres membres de la société.

On retrouve sinon de nombreuses injustices au sein de l'élite ; la vanité de citoyens qui n'agissent qu'en fonction de leur intérêt propre au point de commettre le plus odieux de crimes ; la corruption ; la malhonnêteté, etc. Voilà différents maux auxquels l'auteur étale sous le regard des trépassés. Chaque partie du roman est un lieu particulier de mise en scène de ces états d'esprits qui tuent le pays.

Israël Nzila Mfumu