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PROCÈS DE LUMUMBA, un héros en question
Contre l'idolâtrie et pour la pensée critique
Ben Kalamo, co-président du club d'éloquence de Lubumbashi et président de l'association Tapis Rouge, qui organise procès fictifs, concours d'éloquence et débats, nous retrace le faux procès de Lumumuba qui a eu lieu le 30 juin 2022 à la salle Maadini au centre-ville de Lubumbashi...
Ces mots de Gérard de Nerval ne sont assurément pas creux : « Tout meurt, tout passe, mais la gloire ne meurt pas tout entière... Je veux un nom de gloire sur ma tombe... ». C'est bien d'hommes glorieux et populaires que l'humanité se souvient. Il faut pour mériter l'attention des hommes, leur léguer un patrimoine idéologique ou politique, des traces heureuses comme malheureuses. Enfin... quelque chose ! Quelque chose qui n'échappe pas à la mémoire du temps, qui ne se fasse pas broyer par lui.
L'on ne le saurait nier, Patrice Emery Lumumba a bien trouvé sa place dans la mémoire du temps. Cependant, ce personnage à tout le moins d'une popularité populaire, ne fait pas l'unanimité dans la pléiade des penseurs dans le monde. Certains voient en lui le sauveur, le messie noir du Congo, alors que d'autres perçoivent en ce personnage, le téméraire, le pyromane qui a demandé l'indépendance trop tôt, en somme d'avoir sauvé le Congo du choléra colonial pour le jeter dans la peste postcoloniale. C'est pourquoi, il fallait un procès. Un procès pour dire toutes les vérités vraies, pour dissiper les malentendus autour du premier Premier Ministre du Congo, ce bonheur géologique.
Disons-le, le procès de Lumumba est tout autant impressionnant que l'idée même de l'intenter, car le but est de partir, de faire partir dans une dialectique thétique et antithétique, permettant par des mots d'une grande éloquence, l'évasion de l'esprit, l'ensorcellement de l'âme, et l'abandon du corps. Il s'agit donc avant tout, de plaisir littéraire.
Toutefois, s'il s'agit d'abord de plaisir, il ne s'agit pas que de cela pourtant. Il s'agit raisonnablement d'une chose doublement plus importante : la construction d'une idée objective et réfléchie sur Lumumba. Congo Culture A.s.b.l l'a compris, et a entrepris d'organiser ce débat processuel en date du 30 juin 2022, mettant aux prises des juristes avocats, hommes et femmes de Droit, de Littérature et de Culture, noyés dans l'amour pour et dans les mots, devant un Tribunal de l'histoire composé d'hommes et de femmes incarnant gravité et solennité, traduisant tout le sérieux de le l'histoire du Congo, de l'Afrique et du Monde.
Les gens affluent progressivement vers l'intérieur de la salle Maadini, cadre abritant la cinquième édition de la Soirée d'éloquence, Procès de Lumumba... C'est bientôt l'heure du début, l'on remarque que la salle est déjà pleine. Tous les billets vendus, alors que les gens n'ont pas fini d'affluer. Une vraie victoire pour la Culture et les mots dans notre ville, Lubumbashi !
Voici peu de temps après, c'est le début de l'évènement. Le maître de cérémonie prend la parole. Et puisqu'en toutes choses il faut respecter les préliminaires, il en annonce quelques-uns, avant le procès proprement-dit.
Le brillant Maître Jacques Mukonga Sefu pour l'accusation de Lumumba.
Puis, place aux choses sérieuses : le Tribunal de l'histoire fait son entrée, tandis que tous se tiennent debout, dans la gravité totale. Le Président de la chambre prend la parole : « Le tribunal de l'histoire siégeant en matière répressive au second degré déclare ouverte son audience publique de ce jeudi 30 juin 2022. Vous pouvez vous rasseoir. »
Après lecture de l'extrait de rôle par le greffier du Tribunal, le Juge Président ordonne aux huissiers de faire entrer l'accusé. Contre toute attente, le voilà qui fait son entrée, saluant des mains le public qui l'applaudit et le célèbre. Après tout, il est héros national ! Le Tribunal lui demande de cesser son théâtre, et il s'exécute.
Le prévenu enfin assis, Maître Grâce Tshoma Numbe, Juge rapporteur, dresse son portrait et son parcours. C'est à ce moment précis que tous comprennent qu'il y a au-delà de la connaissance collective, beaucoup à dire sur Lumumba ! L'audience se poursuit, le Tribunal rappelle aux parties que l'affaire revenait par devers lui pour recevoir plaidoiries. Mais pour éclairer sa religion, estime qu'il importe d'entendre certains experts et témoins. Il appelle ainsi Monsieur Jano Bakasanda, expert et responsable des bibliothèques katangaises, qui va éclairer le Tribunal sur la problématique même du procès, tout en mentionnant son importance, quant à la controverse caractérisant le personnage en cause.
Puis, c'est le tour du Professeur Jean-Paul Biruru, spécialiste de Histoire du Congo, qui comme expert scientifique, éclairera les Juges et l'assistance sur le système colonial contre lequel Lumumba a voulu se dresser.
Alors et ensuite, le Tribunal passa la parole au sulfureux Passou Lundula, témoin et « chercheur émérite » qui fit ses dépositions autour du site de Shilatembo, où Lumumba et ses compagnons avaient été assassinés. Lundula, témoin à décharge, eut l'étonnant courage de demander au Tribunal de rebaptiser la capitale Kinshasa en la capitale Lumumba.
Après la série des dépositions et expertises, le Tribunal se sent suffisamment éclairé et décide de procéder à l'étape des plaidoiries. Naturellement, la parole est accordée en premier à l'accusation pour ses réquisitions. Maîtres Jacques Mukonga Sefu et Flora Mbuyu Angelani à la tâche. Leur accusation contre Lumumba repose sur deux chefs d'accusation principaux à savoir : « l'amateurisme politique au sommet de l'Etat » et « le manque de stratégie dans son action politique. »
A dire vrai, et comme peuvent en témoigner ces mots, l'accusation se montra sans pitié : « Lumumba était avant tout un grand naïf... Il pensait que vouloir une chose équivalait déjà à l'avoir... Lumumba faisait la politique comme un enfant dans les bras de sa mère... En voulant gagner toutes les batailles lui tout seul, ce pyromane a aggravé le problème ! Il doit être condamné à demeurer un héros critiquable, afin que la jeunesse ne puisse contracter ses travers et ses excès ! »
Après la brillante parole de l'accusation, place à la défense. Lumumba doit-on le dire, a assez de sous pour se payer les services de deux brillants avocats, à savoir Maître Passy Mbayo et Maître Rémy Kashama. Leur plaidoirie ne peut être fondée que sur les chefs d'accusation soutenus par Monsieur et Madame de l'accusation.
La défense commence ainsi d'abord par remettre en cause les chefs accusation en vertu de leur non-fondement en Droit, soutenant ainsi la maxime : nullum crimen nulla poena sine lege, principe de Droit à la suite duquel tout crime, toute peine doit être du fait de la loi.
La défense s'est accessoirement et comme par loisir, lancée dans ce qu'elle nomme : « la sociologie de l'accusation. » Elle affirme que le contexte d'alors n'était pas celui que nous connaissons aujourd'hui. « Il ne faut donc pas commettre l'erreur de juger Lumumba avec le politiquement correct d'aujourd'hui... L'on ne peut pas être congolais, et condamner Lumumba, à moins d'aimer la dépendance. C'est un manque clair de reconnaissance, une incohérence pure et simple. Lumumba doit donc faire l'objet d'acquittement ! »
On n'y pouvait peut-être s'attendre, mais le Tribunal jugea opportun d'entendre l'accusé ! Après le dernier mot du prévenu Lumumba dont un bout disait : « j'ai été battu et abattu, torturé et retorturé, enterré et déterré, jeté dans de l'acide, afin que de mon passage sur cette terre, l'on ne retrouve aucune trace. A l'exception d'une dent peut-être. Je remercie mes avocats de m'avoir si bien défendu, je plains l'accusation, qui n'a pas de reconnaissance. Quoi qu'il en soit, j'aurai ma revanche... », il importait d'enfin prononcer le verdict...
ZOOM
Conclusion du débat
Maître Jean-Pierre Kuboya, Président de la chambre, jugea qu'au regard des éléments apportés, il était utile de laisser le débat ouvert. Subséquemment, a condamné la jeunesse congolaise en particulier, à lire l'histoire de son Pays, à être ainsi mieux éclairée sur les tenants et les aboutissants de l'histoire politique de son Pays, de son destin.
Nous ne saurions pas le camoufler : à notre sens, le fait pour le Juge Président du Tribunal de l'histoire d'avoir laissé ouvert le débat sur Lumumba, est la chose la plus belle qui put arriver à l'issue d'un tel évènement. En le faisant, il a pu nous priver du chaos de la satisfaction et a davantage excité la fertilité de nos esprits. Commençons à nous en réjouir !
Cela étant, c'est par un cocktail que les uns et les autres se séparèrent ce soir-là.
Mention spéciale sinon à Lexus Mutu Wa Zamani, très convaincant et troublant de ressemblance dans le rôle de Lumumba.
Ben Kalamo