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LA BELLE DE CASA, Kin à Casa

Actes Sud

"Abolir cette frontière imaginaire qu'on appelle le Sahara"

Ce vrai faux polar est le troisième roman de Bofane, et vaut assurément le coup d'oeil, pour son personnage plus que mémorable, son intrigue puissante et sociale, ainsi que sa langue forte et chatoyante.

Sese, personnage principal de ce roman, est un "brouteur". Ce jeune congolais qu'un passeur malhonnête a débarqué à Casablanca, trouve dans la cybercriminalité un moyen de survie dans ce nouvel environnement, où il faut se débrouiller pour maintenir le cap. Il rencontrera sur son chemin Ichrak, très jeune fille d'une grande beauté, qu'il convaincra après multiples insistances à l'accompagner dans l'escroquerie en ligne en utilisant sa beauté comme appât. La mort mystérieuse de Ichrak va conduire à plusieurs révélations...


Le roman s'appelle La Belle de Casa, raccourci de Casablanca qui montre que Bofane puise dans le langage courant. La "casa", cependant, signifie aussi "maison", une maison à la manière d'une Farida "mère ya palais" qui cherche non seulement à tout contrôler par son charme, mais aussi à attirer l'attention d'un mari quasi indifférent envers elle. La "casa" c'est enfin cette "maison" dans laquelle tout a commencé pour Ichrak, celle dans laquelle une mère devenue malade est l'unique compagne de chambre.

Cette "casa" représente en fait beaucoup de choses en même temps : une femme, une société, une maison, un étouffement, une réclusion, bref cette sorte de malaise que connaît la femme marocaine en tant qu'actrice sociale à la poursuite d'une reconnaissance. On le voit clairement à travers les nombreuses petites rebellions, les manigances, et les incessantes luttes contre le viol physique et le harcèlement. La Belle de Casa c'est en plus le résumé d'un monde de la débrouillardise, où le peuple s'occupe de lui-même à sa façon, chacun individuellement, comme il peut.

Le roman rend également compte en premier lieu de vies insatisfaites et d'états psychiques troublés, d'une société changeante également, dans laquelle l'indifférence et les antivaleurs prennent bien fréquemment le dessus sur tous les idéaux moraux. Dans cette société à la fois vénéneuse et perverse, certains personnages détonent, à la manière d'une veuve au grand coeur ou d'un Sese certes escroc mais aussi très attentif aux misères de ses proches.

On assiste à une lutte âpre et palpitante entre deux mondes. Cette lutte se retrouve dans l'affrontement des "pouvoirs" qui tiennent ces deux mondes : d'un côté le pouvoir bienfaisant d'un Mobutu Sese Seko attentif et concerné par l'unité d'un peuple, et, de l'autre côté, le pouvoir sadique d'un riche saoudien disposé à expulser et à diviser les communautés à cause de ses intérêts matériels vaniteux. Ces forces, représentées dans le roman par les différents faits sociaux relatés, sont portés par une langue très subtile.

Il vaut d'ailleurs la peine de s'attarder un peu sur le style de In Koli Jean Bofane. Celui-ci, sans conteste, maîtrise son art. On le voit notamment avec les nombreux retours en arrière qui ponctuent le récit, et le plaisir contenu entretenu par un suspense toujours prolongé stimulant sans cesse la curiosité d'un lecteur facilement conquis !

Outre sa beauté stylistique, l'originalité de La Belle de Casa se retrouve également dans l'usage des codes du langage kinois et casaoui, qui révèlent, chacun, toute une société, toute une manière de penser et de parler. En addition à cela, on trouve également des références à des chansons, des extraits de livres ou de discours, ou encore hommages à des figures illustres, Jean Bofane faisant feu de tout bois, créant, in fine, son propre langage.

ZOOM

"J'étais sûr que Zola était congolais"

Dans cette passionnante interview, Jean Bofane revient sur la manière dont son goût pour la littérature est né, un peu au hasard, mais grâce surtout à l'imposante bibliothèque de son père, dans lequel un jour il a opté pour Zola, mais tout en étant persuadé que ce dernier est... congolais, "Zola" voulant dire "amour" en lingala !


La filiation avec Zola se retrouve d'ailleurs dans les différents romans de Bofane, tous trois très marqués par des préoccupations sociales, une envie de montrer la réalité telle qu'elle est, et une envie aussi, très forte, de vouloir contribuer à la corriger un tant soit peu.

Israël Nzila Mfumu