LES CONTES POPULAIRES D'ANGOLA collectés par Héli Chatelain
Des histoires composant la culture quimbundo, collectées par le Père Héli Chatelain
La littérature traditionnelle d’Afrique lusophone demeure méconnue des lecteurs de langue française à cause de l’absence de traductions intégrales des contes, proverbes, chants, devinettes ou tous autres récits recueillis par les chercheurs au sein d’une aire culturelle relativement bien délimitée.
L’une des plus anciennes publications dans ce domaine remonte à 1894. Il s’agit de l’édition d’histoires composant la culture quimbundo, collectées par le Père Héli Chatelain, parues simultanément à Boston et à New-York sous le titre Folk-Tales of Angola. Soixante-dix ans seront nécessaires pour que les lecteurs portugais puissent acquérir l’ouvrage en langue portugaise sous l’intitulé Contos populares de Angola. Le texte paraît alors sous l’égide de l’ex Agence Général d’Outremer car il fallait alors donner au public intéressé « une leçon de portugalité » c’est-à-dire montrer que les valeurs qui ont forgé l’identité de la nation dont Camoens était l’emblème avaient été assimilées par les peuples d’Afrique lusophone. L’oeuvre, n'a pas été traduite en français (2).
L’ouvrage dont on s’occupe ici (1) n’est pas la traduction complète de l’oeuvre parue initialement aux Etats-Unis mais une sélection de certains textes. Comment les a-t-on choisis ? Qui s’en est chargé ? Autant de questions sans réponses. Situation très dommageable car il y aurait eu sans doute beaucoup à dire sur les raisons qui ont incité le responsable éditorial a écarter tel texte et à élire tel autre. Il s’agit donc d’une anthologie.
Mais ce n’est pas tout. Une « note biographique » conclut le recueil et précise que « afin de rendre leur lecture plus facile, les textes inclus dans cette édition ont bénéficié d’adaptations qui n’entament pas la fidélité des histoires narrées » (p 133). Là encore, un commentaire plus étoffé précisant quels types d’« adaptations » (troncations de certains passages, réécriture etc) avaient été pratiqués aurait été le bienvenu. Une confrontation avec l’original aurait, à coup sûr, fourni des informations de première main ; il aurait été ainsi possible d’expliquer pourquoi tel conte a été retenu plutôt que tel autre, pourquoi tel passage a été supprimé. Pareil programme aurait permis de mettre à jour l’idéologie sous-jacente à cette révision des textes publiés par Héli Chatelain.
Cependant les choses étant ce qu’elles sont, il est tout de même envisageable de faire saillir un certain nombre d’éléments qui devraient montrer - ce sera, du moins, notre hypothèse de travail - que les contes (ou histoires) qui composent ce livre obéissent à des constantes qui sont autant de marques définitoires du genre. Précisons : du genre tel qu’il est traité par les autochtones angolais car rien ne dit a priori que le conte qu’ils pratiquent soit régi par la même dynamique que celle observable dans d’autres récits conçus dans des zones culturelles différentes.
1 - On a dit et répété que les contes africains avaient pour finalité ultime la transmission des règles sociales, ceux ici rassemblés ne font pas exception. Quelquefois, la morale de l’histoire conclut explicitement l’histoire narrée ; c’est le cas de celle intitulée O senhor Nao-me-leves e o senhor No-me-digas qui raconte la relation difficile entre deux commerçants appelés « Ne m’emmène pas » et « Ne me dis pas », le premier refusant obstinément de faire le trajet entre Luanda et Kifuangondo, se fait porter sur le dis par son collègue, lequel meurt d’épuisement. Moralité : « Sur terre, on doit s’écouter les uns les autres. Sinon tu trouveras seulement celui qui fait le mal et personne pour te protéger. On devient alors un animal sauvage ». (p 121). Toutes les histoires expriment l’idée que la bonne entente entre individus est préférable à une dispute sévère car toute société est construite sur l’idée du lien communautaire et qu’il est périlleux de ne pas le reconnaître.
2 - Le rôle des vieillards s’avère capital comme on le voit dans un autre conte O sogro e o genro. Le beau-père se rit de l’infirmité de son gendre qui ne voit que d’un œil ; celui-ci rend la pareille à celui-là en lui faisant remarquer sa calvitie. Chacun dénonce l’insulte qu’il a subie. On convoque les vieux du village pour connaître leur jugement qui fera autorité. Ils estiment que le plus jeune a simplement rendu l’offense qu’il a reçue et qu’il convient pour l’un et l’autre d’oublier le ressentiment ». On boit à la santé des deux, lesquels « redeviennent amis ». (p 24).
Toutes les situations conflictuelles ne se solutionnent pas grâce à l’assemblée des plus vieux. C’est le cas lorsqu’un individu refuse un état de fait, dicté par notre humaine condition. Kimalauezu kia Tum’a Ndala est jeune femme enceinte qui dédaigne la viande et ne veut que du poisson. Son mari en pêche un, énorme. Le poisson, une fois ingurgité, demande par quel orifice il va sortir du corps de la femme. En fin de compte, il retrouve la liberté mais « en laissant la femme coupée en son milieu » (p 35). On peut penser que si elle perd la vie en accouchant, c’est qu’elle refusait sa grossesse. En effet, le poisson représente le fœtus par métaphore ; la nonchalance de la femme vis-à-vis de sa délivrance prochaine laisse penser qu’elle ne se sent pas concernée par la maternité. Ce qui revient à nier la destinée naturelle de la femme. Péché capital aux yeux de quiconque dans n’importe quelle société traditionnelle africaine.
On observe la même configuration dans Os dois construtores où deux hommes sont des artisans bâtisseurs. L’un est habile, l’autre rapide. Une tempête survient alors qu’ils se rendent au travail. Chacun construit sa tente pour s’abriter. Le second échappe à l’ouragan par sa dextérité tandis que le premier qui avait le souci du détail et du travail bien fait trouve la mort (p 61). Les divergences entre les deux travailleurs ne peuvent se régler par une loi spécifique mais plutôt par l’intelligence des circonstances, lesquelles exigent de la promptitude et non un savoir-faire exceptionnel. On reconnaît ici l’une des idées maîtresses de la philosophie de la connaissance africaine selon Hampâté Bâ : « tout conte a toujours quelque chose à nous apprendre sur nous-mêmes ».
Ce dernier ajoute : « c’est une vraie pédagogie orale ». On le vérifie aisément dans O leopardo, o antilope e o macaco : le jeune Antilope s’adresse à des femmes en train de planter des arachides pour leur demander de quoi manger mais sur le conseil de son grand-père Leopard, il les interpelle en leur disant « Vioko, vioko, ide comer estrume ! » (p 65) ; le premier mot, intraduisible, est une insulte grossière ; quant à la suite, cela signifie : « allez manger du fumier ! ». Les femmes se sentent naturellement offensées ; elles le laissent avec sa faim et le rossent copieusement. Car en aucun cas, un enfant ne doit manquer de respect à ses aînés. De même, le mensonge n’est jamais toléré et quand il est mis à jour, s’ensuit un châtiment exemplaire comme on le constate dans Nagna Fenda Maria : Kamasoxi, rivale de Fenda Maria, est prise en flagrant délit de tromperie. On la plonge dans un baril de goudron brûlant ; « elle est réduite en cendres » (p 58).
3 - On fera observer que la ruse est une figure de la menterie et qu’elle est au centre de la thématique d’un grand nombre de contes de l’Ouest africain (3), lesquels mettent en scène la rouerie (et l’intelligence) du lièvre et de l’araignée pour déjouer la force brutale et tant d’autres vices de nos semblables. Dans le recueil qui retient notre attention, la ruse est présente et peut aussi déboucher sur une contre-façon de la vérité. Cela se lit aisément avec Léopard qui induit son petit fils en erreur à la seule fin de satisfaire son intérêt (il mange toute la ration de nourriture à plusieurs reprises). Il connaîtra une fin tragique car il sera tué (p 77). Mais il est des situations où la ruse est au service des bons sentiments. Dans un autre texte la grenouille déploie des trésors d’intelligence pour satisfaire le vœu d’un jeune homme qui s’est mis en tête d’épouser la fille du Soleil et de la Lune et parvient à obtenir le consentement des parents de la fille (pp 107-118). Elle sera récompensée par le mariage des amoureux qui, naturellement, vivront dans un bonheur immuable.
4 - Une autre constante qui apparaît nettement dans plusieurs de ces histoires, c'est l’intervention du merveilleux comme vecteur dynamique du récit. Dans O Kianda e a rapariga, la boite magique (kalunbungu) concrétise la dote présentée par Kianda, elle contient de riches parures féminines, des bijoux voire des esclaves et les maisons qu’ils habitent (p 25). Ce petit coffre aux pouvoirs extraordinaires (au sens étymologique du terme) est également offert par Dieu en personne à Fenda Maria dans le conte qui porte son nom (cf p 48). Une fois posé sur le sol, « Quand tu veux quelque chose, jette-le à terre, il s’ouvrira et alors « il en sortira tout ce que tu désires » (p 48) lui dit le Très-Haut. L’élément magique peut se présenter sous la forme d’une formule. Ainsi le héros de l’histoire qui porte le titre de Na Nzua dia Kimanaueze use du terme intentionnellement inintelligible teleji quand il est devant un problème insurmontable, il se transforme en un animal adapté à la situation, ce qui lui permet de dépasser l’obstacle, quand la faim apparaît, il se mue en léopard ou en loup, il trouve immédiatement la nourriture qu’il lui faut ; quand il dérobe deux cochons dans une ferme et qu’il est identifié comme le voleur, il est face aux villageois armés qui veulent le tuer. Nzua se tire d’affaire en criant teleji et tout le monde s’enfuit.
5 - L’appel à des données extra-rationnelles qui ressortent tantôt du merveilleux, tantôt du fantastique comme c’est le cas avec la tête de mort qui veut épouser la fille la plus jeune (p 25) ou avec les Di-Kishi, monstres anthropophages à deux têtes d’une cruauté indescriptible (p 123), prouve que dans les cultures de l’Angola actuelles, il n’y avait pas de frontières opérantes entre réel et surnaturel. L’un des pôles d’intérêt des contes africains (ceci nous semble être une donnée générale) est justement ce chevauchement permanent d’une observation très fine du monde ambiant (du vivant dans son ensemble) et d’un imaginaire porteur des peurs, des attentes qui sont celles de tout un chacun quand il s’agit de penser l’au-delà ou l’amour conjugal.
6 - Le second pôle d’intérêt est d’ordre affectif et mémoriel. Il faut citer ici Birago Diop évoquant le souvenir des histoires racontées par sa grand-mère quand il était un jeune enfant, « (il) écoutait de toutes (ses) oreilles et de tous (ses) yeux fermés, les contes terrifiants où intervenaient les Génies et les Lutins, les Kouss aux longs cheveux, ou que, plein de joie comme les grands qui écoutaient aussi, je suis Leuk-le-Lièvre, madré et gambadant dans ses interminables aventures au cours desquelles il bernait bêtes et gens du village comme en brousse et jusque dans la demeure du roi » (4).
7 - Une lecture d’une seule traite des histoires rassemblées par Héli Chatelain ne peut manquer de faire saillir l’idée qu’elles obéissent à une organisation rigoureuse de la matière fictionnelle. Par exemple, la boite magique ou l’interjection teleji joue le rôle d’adjuvant ; de manière plus générale, on identifie aisément les notions clés de l’analyse structurale du récit (agent, patient, épreuve etc...). La possibilité d’une telle approche n’est pas la moindre qualité de ces récits.
ZOOM
Notes
(1) Contos populares de Angola - Folclore quimbundo - Editora Nova Critica - Porto - 1978 - 133 pages.
(2) Curieusement le livre de Chatelain ne fait pas partie des œuvres basiques exploitées ou commentées par les spécialistes de ce genre. Denise Peaulme en fait mention dans une note dans son article Littérature orale et comportements sociaux en Afrique noire Revue L’Homme - 1961 - Tome 1 - n ° 1 - p 48.
(3) Voir l’étude de Marcelle Colardelle - Diarrassouba : Le lièvre et l’araignée dans les contes de l’Ouest africain - Préface de Bernard Binlin Dadié - Union Générale d’Edition - Coll 10 x 18 - 1975 - 308 pages.
(4) Birago Diop : Les contes d’Amadou Koumba - Présence Africaine - 1961- Réédition 1969 - p 9
Pierrette et Gérard Chalendar