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LA DANSE DU VILAIN, le match disputé entre le chaos et l'espoir

Editions Métailié

La danse comme seul salut ?

Après "Tram 83", Fiston Mwanza Mujila nous replonge dans une ambiance festive où la bière et la rumba obsèdent les personnages.

L'histoire se passe à la fois en Angola, à Lunda Norte, et à Lubumbashi, au milieu des années 90. Dans les mines de Camfufu, où le jeune Molakisi se décide de partir, la vie est un vrai sport de combat, adouci tant soit peu par les soins d'une Tshiamuena admirée, aimée, haïe mais surtout respectée par tous les artisans zaïrois. Le restaurant de Tshiamuena est la référence de tout Zaïrois qui débarque à Lunda Norte, ce territoire en guerre où la morale n'a plus sa place. D'un autre côté, à Lubumbashi, Sanza, un jeune adolescent se retrouve dans la rue en dépit de son destin prometteur. Devant la Place de la Poste où, désormais, il est obligé de nicher, le jeune adolescent apprend un nouveau code de vie où le vol, l'arnaque, les mensonges, les bagarres quotidiennes sont les seules lois de survie.


À côté d'un Ngungi plus âgé que lui, il apprend tout ce qu'il faut pour vivre dans cet étrange univers. Son nouvel ami l'intègre dans sa bande. À la longue, il naîtra entre les deux une affection mutuelle jusqu'à ce que Ngungi déserte les rues pour retourner en famille.

C'est là que commencent les multiples péripéties de Sanza : d'abord trahi par ses compagnons de la bande, Sanza sera livré aux mains des gendarmes de la rue par une autre bande ennemie. Battu jusqu'à demi-mort, il est, ensuite, recueilli par M. Guillaume, qui l'entraîne avec lui dans les renseignements. Là-bas, Sanza est utilisé comme mouchard. Cette fonction l'oblige à fréquenter plusieurs fois le Mambo de la danse, un bar des débauchés où le plaisir et la bière fusent au rythme d'une "Danse du Vilain", chanson fétiche des clients. Enfin, fatigué de dénoncer à plusieurs reprises ses amis, Sanza se lasse de M. Guillaume et participe au complot de son assassinat manqué. Les temps changent et les mœurs aussi, l'entrée de l'AFDL va bouleverser la vie de tous les enfants de la rue, y compris Sanza, qui va, alors, se réfugier dans le fossoyage des tombes au cimetière de l'Union Minière du Haut-Katanga, jusqu'au jour où il se décide à retrouver son ancien ami Molakisi. Ils se lancent à ce moment-là dans la contrebande des monnaies.

Pour les amoureux de Fiston Mwanza, un sentiment de déjà-vu s'installe au cours de la lecture. On retrouve le motif d'un écrivain anxieux qui fréquente lieux d'ambiance et serveuses de bar, on retrouve aussi les clients surexcités qu'on pouvait déjà rencontrer dans "Tram 83". À l'image du récit, le style y est d'une subtilité accomplie. C'est dans les jeux des personnages qu'on construit peu à peu la psychologie de ces derniers. Le roman met en avant les actions des personnages sans s'atteler sur une profusion des descriptions.

Cependant, parfois, lorsque le narrateur se consacre à une description, il la réduit non pas aux traits physiques, mais l'étend aux moindres détails de la vie du protagoniste, comme s'il nous invitait à le connaître à travers ce qu'il fait, ce qu'il a vécu et son attitude envers ce même vécu. De manière générale, dans ce roman, ce sont les actions qui sont au centre. Les actions des personnages en disent plus long sur eux que les paroles qu'ils prononcent. La maestria de ce roman, c'est aussi cette manière de nous rapprocher des personnages, on a le sentiment de les connaître à fond et de nous familiariser avec eux, ce qui s'avère fort réjouissant pour nous lecteurs.

Comme le laissait promettre son titre, La Danse du Vilain nous convie à une danse sur la piste de ses pages, on cadence dans des énumérations hautement travaillées, on bouge aux rythmes des tons variés, on chaloupe au gré des mots bien choisis, par exemple dans cet extrait : " Ils m'invitaient à dîner avec eux, m'offraient des fruits et des légumes, couraient me chercher de l'eau à la moindre quinte de toux, décriaient ouvertement leur chef, Ngungi, qu'ils traitaient de satrape, crétin, faux bourdon, mauvais coucheur, despote, lèche-cul, cannibale, néandertalien, marchand d'illusions, tartuffe, vendu, narcissique, fils à papa, pervers, mégalomane, plouc, clown, jaloux, pithécanthrope, vendu, mouchard, proxénète en devenir, bandit de grand chemin, vantard qui pisse dans son froc, marabout, catastrophe naturelle, cinglé, tête de navet, méchant garçon, macho, profiteur. " Oh là ! Des passages de ce genre ne sont pas à chercher dans ce roman mouvementé. Ces milles nuances qui emportent... c'est ça La Danse du Vilain !

Les narrateurs se relaient tour à tour pour constituer une même et unique histoire. On a l'impression de lire une histoire recousue avec la technique narrative comme seule matrice. Les voix changeantes des narrateurs vont du « je » intra diégétique au « il » extra diégétique, en passant de temps en temps par le « tu » vocatif. Quitte à faire baver Gérard Genette...

Chacun des personnages du roman a une façon particulière de voir le monde, laquelle est sous-tendue par un désir fougueux de vivre une vie libre. Une liberté plus large. Chaque personnage se lie à ce qui lui procure cette liberté : pour les uns il s'agit de l'argent, pour les autres c'est la puissance à travers un pouvoir imposé, pour d'autres encore c'est la reconnaissance. D'ailleurs, la danse dont on parle n'est-elle pas, chez nos narrateurs, l'expression la plus poussée d'une certaine philosophie ? Ce roman, à travers la musique et la danse, nous permet en fait aussi de réfléchir sur l'homme.


Fiston Mwanza Mujila réalise également des performances

La Danse du Vilain. Mais de quel vilain s'agit-il ? Le vilain, c'est cet hommes vide qui, par son argent, court derrière des louanges banales et éphémères. Le vilain, c'est aussi cet homme hypocrite qui ne remarque chez autrui que leurs avoirs matériels et ne recherche en amitié que les personnes dont on peut tirer un intérêt. Le vilain, c'est également cet homme qui fait semblant d'aimer. Le vilain, c'est le mouchard. C'est le traître, le porteur de coups bas. Il nous renvoie directement à un monde fondé sur des intérêts fugaces et vils. Mais le vilain, c'est aussi le danseur qui fait des grimaces bizarres sur son visage. La Danse du Vilain se résume ainsi à l'exposition sur la piste de danse des hommes, qui font et défont les évènements à l'image de leur façon de penser. Quitte à détruire la société si cela sert leurs intérêts.

Dans ce roman, on passe de l'avidité aux prophéties trompeuses des pseudos Hommes de Dieu motivés par la gloire et le pouvoir. Le livre évoque de même la propension au gaspillage devenue virale dans une génération, qui oublie rapidement le sacrifice et l'effort consenti pour gagner de l'argent. Le roman se plaint de l'omniscience dans nos sociétés, dans lesquelles l'orgueil de tout connaître gèle l'accès au progrès. Le ritualisme religieux et l'excès de piété à travers un Singa Bombu et sa secte font aussi l'objet de ce roman. Le roman critique enfin, toujours par le biais des personnages, les cultes de la personnalité, l'abandon des patrimoines - à travers une Place de la Poste abandonnée où l'on retrouve d'anciennes gloires du foot laissées à elles-mêmes -, et la désinvolture. 

ZOOM

Enfants abandonnés de la RDC

Les enfants de la rue communément appelés « shegués » en République Démocratique du Congo sont des mineurs de tout âge qui ont pris résidence dans la rue.

Ces jeunes enfants jonchent les rues, surtout les centres-villes et les marchés, pour se trouver à manger. N'ayant aucun encadrement social de la part du gouvernement et ne possédant aucun pouvoir d'achat, les shegués se livrent à toutes pratiques capables de leur permettre une survie dans les rues, leurs demeures. Et ils sont traités comme des microbes de la société.

La Danse du Vilain trouve ses héros dans l'image de ces enfants de la rue, un phénomène sensible dans nos sociétés. À l'image de Sanza, de Molakisi ou de Ngungi, les enfants de la rue représentent ici un peuple en quête de son identité propre, une société perdue, recherchant sa survie et son devenir au-delà d'un passé encombrant dont il essaie de se débarrasser pour se créer une autre voie : celle de sa liberté, celle d'une nouvelle danse.

Israël Nzila Mfumu