Théâtre /
JACKSON BUKASA et son comedy club made in Lubum
"J'aime toujours passer un message"
Après quelques mois d'absence sur la scène humoristique, l'artiste congolais, Jackson Bukasa fait son grand retour avec le lancement du "Kiekiekie Comedy Club", un rendez-vous mensuel du public et des humoristes engendrant une très grande hilarité !
Bonjour, Jackson Bukasa. Vous avez initié le Kiekeke Comedy Club. Pourriez-vous nous en parler ?
Jackson Bukasa : Comme déjà le nom l'indique, Kiekeke Comedy Club, c'est un club, un groupe qui réunit les humoristes. Comedy club c'est un terme qui est tiré du côté anglophone. Mais "comedy" veut ici dire "comique", et non "théâtre" dans le sens de comique. C'est un club, un groupe qui réunit des humoristes, et qui a pour objectif la formation en humour et la promotion des humoristes. En même temps aussi des évènements à caractère humoristique.
Comment en êtes-vous arrivé à jouer la comédie ?
Jackson Bukasa : J'avais besoin d'une organisation, parce que j'avais cette capacité de jouer au théâtre, d'écrire des poèmes, d'écrire et de jouer de la musique, mais il fallait m'orienter. Malheureusement ou heureusement j'ai eu des parents qui me répétaient « il faut étudier ! » et c'est comme ça que j'avais tout abandonné.
C'est quand je m'inscris à la fac de médecine vétérinaire que je rencontre des gens, des amis qui ont lu ce que j'avais écrit, parce qu'à la fac j'avais repris l'écriture. Et lorsqu'ils se sont mis à lire mes textes, ils m'ont dit « mais toi, ta place n'est pas ici. Toi, il faut que tu ailles faire le cinéma ou le théâtre à la fac des lettres ». C'est ainsi que j'ai quitté la fac de médecine vétérinaire pour aller m'inscrire en lettres, la fac des Lettres. J'ai fini en arts du spectacle.
Mais c'est quand j'étais... je ne me rappelle plus exactement... je crois que c'est lorsque j'étais en troisième graduat qu'il y a eu un appel à casting à la fac. C'est sont les professeurs de la fac qui avaient lancé cet appel pour recruter des étudiants qui devraient faire partie de la compagnie des théâtres universitaires. Et donc, à la bibliothèque de la fac des Lettres, je suis entré. Ils y avaient deux professeurs qui étaient là. Ils m'ont remis un roman dont je devrais lire un extrait, et c'est au cours de ma lecture qu'un des profs a dit « voilà le profil qu'on cherche » (rire) j'ai été retenu. Là c'était en 2012. Et on a eu joué notre premier spectacle à l'institut Français. C'est par là que tout est parti.
Comment les choses se sont-elles enchaînées ensuite ?
Jackson Bukasa : Après j'ai joué avec la compagnie Seringu'art. J'ai aussi joué avec la compagnie Synergie Salée, où il n'y avait que des mariés, j'étais le seul célibataire (rire), c'est ainsi que j'ai joué dans beaucoup des spectacles. Et le cinéma, c'était en 2011 où, lors des travaux pratiques du cours d'Initiation au cinéma, on devait réaliser des courts métrages. Avec mes amis, on a constitué un groupe de 30 personnes, mais le professeur, lui, voulait des groupes de 10 personnes. Alors on a scindé le groupe à trois, mais, tout en travaillant ensemble. C'est ainsi que je me suis retrouvé réalisateur de trois court-métrages alors que j'avais jamais réalisé un film avant. C'est ainsi que j'ai été retenu parmi les premiers réalisateurs et j'ai participé au festival Cinétoile... et j'ai commencé à réaliser des films. C'est comme ça que j'ai commencé dans le cinéma.
Vous avez d'abord fait partie du Lubum Comedy Club...
Jackson Bukasa : En 2018, Benjamin Kayitari lance le Lubum Comedy Club. Il faut dire qu'en 2017 lorsque je travaillais à la compagnie Seringu'art avec Jo Ngeleka, le responsable du Seringu'art, Solange, l'épouse de Jo et Willy Ilumbu, qui est musicien, on s'était réuni une fois dans la salle du spectacle de l'Institut Français de Lubumbashi, on s'était dit « est-ce que c'est pas possible qu'on puisse créer un groupe des gens qui font de l'humour ? » on était partant, on cherchait déjà le nom, on a commencé à répéter. Il y a même une chanson qu'on a interprété au lancement du "Kiekeke Comedy Club honorable una rudiya teena (chante) qui a été inspiré au cours de cette réunion avec les Jo.
Alors avec Benjamin Kayitari, en 2018, lorsque je rentre de Kinshasa, il me fait cette proposition du comedy club. Alors je me dis, quoi de plus normal que d'intégrer quelque chose qui existe déjà, parce que moi mon envie ce n'était pas de créer un comedy club pour être responsable d'un comedy club. Mon envie c'était d'avoir un espace où je m'exprime aussi en tant qu'humoriste parce que j'aime faire rire. C'est ainsi qu'a été créé le Lubum Comedy Club. En évoluant, Benjamin Kayitari, le responsable du Lubum Comedy Club, a préféré prendre la position de producteur c'est-à-dire tu as ton texte, tu viens lorsque l'évènement est organisé et tu prestes. Les répétitions ça ne l'intéressait plus. Et, comme je viens du théâtre, ça ne passait pas, parce que pour moi un spectacle requiert du travail, et une préparation du début à la fin. Et voilà c'est ce qui a fait que plusieurs artistes sont partis du Lubum Comedy Club, notamment Herman, Marcus Joe, Bébé Rico et pleins d'autres. Non pas parce qu'ils étaient contre le Lubum Comedy Club, mais parce que le Lubum Comedy Club était devenu une maison de production, et moi qui, dans le Lubum Comedy Club, avais le rôle de coach des humoristes sur leurs jeux et leurs postures je les avais perdu. Et je me suis dit que les artistes avec qui j'ai travaillé au Lubum me devaient quelque chose dans leur carrière. C'est ainsi que je les ai rappelés pour leur dire « venez, on va répéter et prester pour présenter des textes quand même assez vivants, non pas des textes travaillés seuls »...
Un humoriste que j'aime bien qui s'appelle Dieudonné Mbala Mbala a dit « faites de l'humour et non des blagues ». Il faut qu'on se dise qu'on fait de l'art et quand on parle de l'art il y a des exigences, il y a des thématiques et il y a des choses qu'il faut respecter. Il ne faut pas que celui qui fait sa blague et qui la lance sur Tiktok se mesure à celui qui monte sur une scène. Et donc, il faut qu'il y ait une démarche artistique. Et c'est ça que j'ai voulu faire avec le Kiekiekie Comedy Club.
Vous portez différentes casquettes. Vous êtes humoriste, vous êtes acteur de cinéma, vous êtes scénariste, et vous avez réalisé « interview », un court métrage. Comment êtes-vous devenu cet artiste multiforme ?
Jackson Bukasa : Voyez, on a toujours tendance à vouloir qu'une personne se concentre à une seule chose. Qu'on dise par exemple tel il est écrivain, et le reste que cette personne puisse l'abandonner. Et moi je réfléchis différemment et je me dis si le Seigneur m'a doté de différentes capacités pourquoi je dois me limiter à une seule et mettre de côté les restes.
Je vois mes capacités et ce que j'ai comme talent et je vois aussi comment je peux m'organiser par rapport à tout ça pour ne pas m'embrouiller. Et donc moi, dès l'école maternelle, je peux encore me rappeler, je jouais déjà au théâtre. Je jouais, et je me rappelle qu'à Kolwezi, j'ai jouais dans un spectacle où j'avais le rôle du méchant. Je n'ai jamais oublié une des chansons de la pièce, la chanson c'était "la sainte Catherine ayi ayi aya la sainte Catherine ayi ayi aya la sainte Catherine était fille du roi" (rire) et moi j'étais le roi, le père de Catherine (rire). Donc c'était comme ça depuis la maternelle que je jouais au théâtre. Au primaire j'ai poursuivi ça et puis je déclamais des poèmes. Et aux humanités, j'ai commencé à composer. Je me rappelle encore, je partais à l'école à pieds et c'est en route que j'avaisde l'inspiration...
Qu'avez-vous composé ?
Jackson Bukasa : Oui, de la musique. J'avais des inspirations comme ça, et j'avais écrit beaucoup de textes. Une vingtaine de textes, je crois. Voilà ! Et en cinquième des humanités j'ai commencé à chanter.
À voir vos spectacles, on vous sent engagé. Vous fustigez les abus et vous parlez des problèmes sociaux de la RDC. Pourquoi pensez-vous que porter un tel message dans l'humour apportera le changement alors que depuis des dizaines d'années au Congo d'autres artistes musiciens, peintres ou cinéastes ont longtemps parlé de la misère de ce pays sans en apporter le changement.
Jackson Bukasa : Je vais très bien me rappeler l'expression peut-être, il y a quelqu'un qui a dit : « il faut châtier les mœurs de la société par la voie du rire ». On peut faire rire en disant des vérités. Tu sais, ce que moi je fais je m'adresse directement à la conscience et je dis « nous n'avons pas à lutter contre les occidentaux, mais la lutte doit d'abord commencer par nous-même. Nous devons être respectueux avant même que les autres nous respectent » Moi je pense que dans ma façon de faire je m'adresse directement à mes compatriotes, les congolais.
Si nous n'arrivons pas à atteindre tout le monde, nous devons savoir qu'une âme convertie peut
influencer une autre âme. Au spectacle il y a eu plus de 200 spectateurs. Si même une seule
personne avait été touchée par le message, sûrement elle en a parlé à d'autres. Et le thème qu'on a évoqué c'est « l'unité dans la diversité ».
On dit « seul on ira vite, mais ensemble on ira loin » et je pense qu'il faut parler. Chaque personne vit toujours un moment où il arrive à s'asseoir et les choses qu'il a vécu au courant de la journée peuvent lui revenir. Alors ceux qui ont assisté au spectacle, c'est pas seulement le même jour, même après un mois, même plus tard, il y aura un mot du spectacle qui va lui revenir. Donc le changement, il pourrait peut-être pas être total, mais juste un moindre changement, c'est déjà quelque chose. Et c'est sera une réussite.
J'ai regardé l'un de vos courts-métrages « Interview » que vous avez réalisé, et dans lequel vous avez aussi joué en tant qu'acteur. Et si je le lie avec le spectacle du "Kiekiekie Comedy Club", on sent clairement votre engagement. Est-ce que vous serez d'accord qu'on vous appelle un artiste engagé ?
Jackson Bukasa : Ça dépend de vous. Moi j'ai toujours voulu que ça soit le nom qui vienne se coller à ce que je fais, à la pratique. Que je ne dise pas que je suis cinéaste directement, mais que je fasse quelque chose qu'à partir de ça on dise que je suis cinéaste.
Et je n'aime pas cette position de créer des ministères avant les responsabilités ministérielles. Si vous, vous pensez que ce que je fais ça entre dans le cadre de ce qu'on appelle un artiste engagé, oui ! Je n'aime pas créer pour créer, j'aime toujours passer un message. Ma position à moi c'est de passer un message pour les maux de la société.
C'est comme ça que moi je réfléchis. Et c'est de cette façon que j'ai réfléchi avec «Iinterview »
c'était quelque chose que l'on vivait avec les coupures d'internet. Les politiciens pouvaient se lever comme ça et couper l'internet.
Nous sentons dans vos dires que vous avez une définition particulière de l'humour. Comment définissez-vous l'humour ?
Jackson Bukasa : Pour moi l'humour c'est pas seulement faire rire. Je sais que c'est bien de faire rire, il faut rire ; mais moi je pense qu'au-delà du rire il faut dire quelque chose. J'aime provoquer. Par moments, il y a des sketchs où vous avez seulement envie de détendre, ça arrive. Mais quand je dois prester dans un sketch de 5 minutes, il faut que dans ces 5 minutes que je dise quelque chose. Je me rappelle, j'ai fait un sketch où je parlais des femmes en plastique du fait qu'en Chine et dans d'autres pays en Asie ils sont en train de les fabriquer, et ils louent ces femmes en plastique-là, comme quoi ce serait disponible 24 heures sur 24 ou qu'avec elles il n'y aurait pas de caprices.
Mais là-dedans on peut lancer des messages pour dire non il faut se marier à une femme. Comme ils ne peuvent pas s'occuper d'une femme, des hommes se fabriquent des femmes en plastique, mais non !
Qu'est-ce qui précède votre inspiration. C'est la passion de présenter votre art, faire de l'humourou c'est le besoin de parler, dire quelque chose. Qu'est-ce qui vient avant ?
Jackson Bukasa : C'est l'envie de dire quelque chose. Généralement j'ai toujours dit, que ça soit dans l'humour que ça soit dans le cinéma, ce ne sont pas les choses vers lesquelles je suis parti mais ce sont les choses qui sont venues vers moi, parce que j'ai découvert qu'elles se retrouvaient en moi. J'aime ces définitions qui viennent après le travail, j'aime cette liberté. Voilà quoi ! Dans un contexte culturel de moins en moins subventionné par la politique nationale.
Vous faites vos œuvres, notamment vos sketchs, sont sans « mabanga » (dédicaces). C'est si rare. Pourquoi avoir fait ce choix ?
Jackson Bukasa : On fait un effort de rester professionnel. On ne condamne pas non plus ceux qui les font. On ne les condamne pas dans le sens où s'il y avait une politique culturelle bien assise, je dis assise parce qu'il en existe quand même, on n'aurait pas recours aux mabanga. Mais que veux-tu ? Celui qui a produit une œuvre il a besoin de manger. Et qu'est-ce qu'il fera s'il n'y a pas de soutien par rapport à son œuvre, quoi de plus normal que de citer quelqu'un qui pourrait lui donner quelque chose de sorte qu'il arrive à survivre.
Maintenant, dans le Kiekiekie Comedy Club, ça dépend de la vision, vous voyez ? Le monde
artistique n'a pas pas seulement de soutiens de notre environnement local ou national. Il y a des soutiens extérieurs. Et, avec internet c'est facile d'atteindre des gens qui sont à Kigali, à
Ouagadougou, ou en Suisse. Et avec les humoristes, quand on travaille, je leur dis qu'il
faut qu'on travaille sur des choses professionnelles ou que nous soyons professionnels à deux
niveaux. Premièrement, professionnel, c'est-à-dire que ça soit une profession, que ça soit un travail.
En second lieu, professionnel par rapport à la qualité des œuvres que nous produisons. Alors quand on fait un spectacle où il y a des noms de gens comment vous pensez exporter ça ? Ce n'est pas la musique, la musique, le rythme, il te fait bouger (rire) !
Mais il y a un autre moyen de parler des gens, c'est quand on peut donner du sens à ce nom-là que l'on cite pour que celui qui est au loin, même s'il voit le spectacle, comprenne que le truc il est assis. Il ne faut pas de mabangas uniquement destinés à obtenir de l'argent et sans aucun sens. Donc pour moi, quand on doit citer le nom de quelqu'un, cela doit être cela doit être nécessaire et non parce qu'il doit vous donner de l'argent.
Une figure vous inspire-t-elle particulièrement ?
Jackson Bukasa : Il y a quelqu'un que j'aime lire le portrait, Thomas Edison. C'est un inventeur, il a eu beaucoup de brevets par rapport à ses inventions... je pense à l'ampoule notamment. Mais c'est quelqu'un qui n'était pas allé à l'université, mais il a créé beaucoup de choses. Il est mon modèle, parce qu'il avait beaucoup de talents. Il a développé ses talents sans s'être dit au départ « moi, Edison, il faut que j'aille d'abord à l'université puis je reviendrai exploiter mes talents » mais il a exploité ce qu'il avait en lui. Dans le domaine de l'humour, je citerais Dieudonné Mbala Mbala, c'est un révolté (rire).
Un dernier mot aux fans et à tous ceux qui aiment votre art ?
Jackson Bukasa : Il y a quelqu'un qui m'a dit un jour : « si tu arrives quelque part, et que tu trouves les gens danser sur un pied. Danse aussi sur un pied ». Je lui ai dit : « moi je n'ai pas été éduqué comme ça, je ne me moque pas des handicapés »
ZOOM
Des souhaits pour l'art à Lubumbashi
Vos souhaits pour l'art de Lubumbashi ?
Jackson Bukasa : Tout d'abord sur le plan même de la gestion de l'humour il faut qu'on ait des gens qui ont la profonde connaissance de la vie de la culture. Qui comprenne le sens de la culture. Que les artistes aussi arrivent à comprendre que l'art et la culture ne se limitent pas au niveau local, provincial ou national. Qu'ils s'ouvrent aussi au monde, et que nous puissions créer dessynergies avec des artistes d'ailleurs. On peut se retrouver à un niveau où même si on n'a pas le soutien de notre gouvernement, quand bien même on en a besoin, on évoluera parce qu'on aura créé des synergies avec l'extérieur. Je souhaite un bon vent à notre culture pour que nous, artistes, nous puissions rester debout.
Israël Nzila Mfumu