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JOSEPH KASAU repense notre relation aux réseaux sociaux

Nidje Connexion

"Il est temps de reboot nos habitudes"

Artiste photographe et vidéaste congolais, Joseph Kasau, a décidé d'ajouter les arts visuels à son arc et nous questionne sur notre rapport aux réseaux sociaux. 

Quelle est la genèse du projet ReBoot ?

Joseph Kasau : Je réfléchissais sur ce projet à partir de mes expériences de Community Manager pour des évènements culturels, des organisations et lors de mes années d'études en communication. À une époque, je gérais plus de cinq comptes sur Instagram, autant sur Facebook et d'autres comptes sur les autres réseaux sociaux. À un moment, cela a commencé à peser sur ma personne, sachant qu'avec l'arrivée de la pandémie, les pratiques artistiques ont migré sur les outils numériques, accélérant mon activité sur ces espaces. J'y ai dépensé mon énergie, mon argent, mon temps et il est arrivé un moment où j'ai décidé de prendre du recul et dire stop. Depuis sept ou huit mois, je me suis éloigné des réseaux sociaux.


Est-ce pour toi une forme de « thérapie » ?

Joseph Kasau : Effectivement. C'était une décision difficile à prendre, mais c'était primordial. Je suis conscient du fait que ce n'est pas évident de se passer des réseaux sociaux actuellement, c'est pour cette raison que le projet se nomme « ReBoot ». Il s'agit de redémarrer nos habitudes et non pas les réinitialiser. Je pense que nous sommes tous devenus comme des machines qui réagissent d'une manière programmée. J'interroge mon identité : « quelle personne je deviens en étant sur tous ces réseaux sociaux ? »

En pensant à ce projet, te projetais-tu vers les autres, les jeunes en particulier ?

Joseph Kasau : Aujourd'hui, tout le monde est sur les réseaux sociaux et je crois que ce qui m'arrive arrive à des milliers d'autres personnes. Je voulais d'abord le faire pour moi, car la meilleure façon de toucher le monde, je pense, c'est de raconter son histoire. La chose que je connais le mieux au monde, c'est moi. En parlant de mon histoire à travers ReBoot, je parle de tous ceux qui sont connectés. En interrogeant, j'ai posé une sorte de thérapie collective.

ReBoot se compose d'un grand mélange de matériels électroniques, images, vidéos, sons, fils. Était-ce un besoin de créer cette association pour mieux t'exprimer ?

Joseph Kasau : À la base je suis vidéaste et photographe, je voulais obtenir une matérialité que ReBoot n'avait pas encore. Ce que j'utilise en grande partie incite à la réflexion sur l'usage des outils numériques : les cartes mères d'ordinateurs, les plaquettes de radios, les carcasses de téléphones... toutes ces choses qui matérialisent le circuit intégré ou la transmission de formation.

Le rendu de l'expo s'inspire des formes mosaïques que les termites laissent sur le bois quand ils l'ont rongé. Ces formes murales, des formes d'invasions, récréent cette structure qui est connectée au premier malade, moi. Pour l'incrustation de la vidéo, il s'agit d'un embryon de projet sur un futur où les humains auront été remplacés par les humanoïdes à force d'être connectés et de se laisser guider par l'intelligence artificielle. Un homme, représenté par un médecin, doit trouver un code pour régénérer le système social de l'humain attaqué par les réseaux sociaux.

Expo Reboot redimensionné

Expo ReBoot à l'Institut Français de Lubumbashi, juin 2022. 

Il y aura donc une suite ?

Joseph Kasau : En effet, je réaliserai un court-métrage un peu plus tard. Après cette installation, je vais effectuer une résidence en Suisse pour continuer le projet, le développer et l'agrandir pour une exposition à Lusaka (Zambie) en 2023. Cette expo était une première étape qui se construit encore et dont j'ai trouvé des idées pour nourrir un projet plus grand. J'ai discuté avec des visiteurs, des artistes, des écoliers, des curateurs sur leur rapport avec ces outils. Je continue de me nourrir.

Pour le besoin de l'expo, tu as dû chercher tous ces outils dans les quartiers ou chez des réparateurs. Comment s'est déroulé le processus ?

Joseph Kasau : J'avais l'intention de travailler avec ce matériel, comme je l'ai expliqué au début. Je me suis rendu compte du modèle consumériste dans lequel les réseaux sociaux nous plongent aujourd'hui, le discours n'étant plus orienté vers le recyclage, la régénérescence ou la récupération. L'idée était donc de travailler avec du matériel auquel je pouvais donner une seconde vie en recyclant des matériaux abandonnés dans des ateliers, mais j'ai dû payer pour les avoir. Je continue à chercher, à récupérer ces matériaux pour agrandir mon travail et offrir une autre dimension à ces matériels.

Formé en sciences de l'information et de la communication puis vidéaste, comment s'est passée la transition vers les arts visuels ?

Joseph Kasau : J'ai d'abord joué au théâtre à l'Université de Lubumbashi, avec le professeur Fabien Kabeya, ensuite je me suis pris de passion pour le cinéma. À partir de mon stage à DL Multimédia, j'ai débuté dans la vidéo : d'abord en sous-titrant des films, ensuite à l'écriture des scénarios et enfin au montage et à la réalisation. En 2017, j'ai remporté le Prix découvertes du Festival Kidogo Kidogo avec un reportage sur un enfant vendeur des sachets dans la ville. En 2018, j'ai participé à des ateliers de photographie, d'écriture, de cinéma avec Petna Ndaliko, une cinéaste de Goma. Une année plus tard, j'ai coordonné le Festival Kidogo Kidogo (festival de cinéma de Lubumbashi lancé par Douglass Masamuna) et j'étais assistant éditorial à la Biennale de Lubumbashi, du centre d'art Picha. Enfin, mon envie de continuer dans cette voie n'a fait qu'augmenter via les différentes résidences auxquelles j'ai participées - à Modzi Arts en Zambie, City Salts en Suisse et à la Cité des arts à Paris notamment. 

Expo Reboot

Expo Reboot à l'Institut français de Lubumbashi en juin 2022 (extrait 2). 

Qu'est-ce que ça représente d'être jeune et artiste en RDC ?

Joseph Kasau : Je suis content de m'être rendu compte, à travers des voyages vers d'autres pays, que les artistes congolais ont bonne réputation en général. Je jouis donc de cette faveur d'être jugé « potentiellement bon artiste », mais je suis conscient de la difficulté de vivre en tant qu'artiste au Congo. J'ai juste appris qu'en faisant bien les choses, il est possible de vivre de son art.

Les jeunes artistes sont-ils tous autodidactes dans la ville ?

Joseph Kasau : À Lubumbashi, nous n'avons pas d'école d'art comme c'est le cas à Kinshasa et cela crée un vide, car les artistes renommés d'ici sont souvent entre l'Europe et d'autres pays pour des projets. Ceux qui sont censés aider les jeunes ne sont pas là, quoique ce n'est pas de leur faute, car ils doivent répondre à ces projets ici et ailleurs. Sachant qu'être artiste c'est vivre dans un système avec ses codes, il nous a fallu créer un espace pour de jeunes artistes. Aujourd'hui, il y a des profils qui se confirment de plus en plus dans les domaines de la curation, la photographie, l'écriture, les arts visuels, etc. Cette pression exercée sur nous-mêmes nous aide à nous donner des moyens pour réussir d'où la création de « Nidje Konnexion ».

Quels sont tes projets après ReBoot ?

Joseph Kasau : J'en ai pas mal, quoique certains soient difficiles à réaliser pour le moment. Le plus grand reste Nidje Konnexion pour concrétiser une plateforme et un espace physique pour les artistes. En ce moment, je travaille sur un film en hommage à Dorine Mokha (artiste chorégraphe et danseur décédé en janvier 2021), avec qui j'ai beaucoup travaillé et auprès de qui j'ai beaucoup appris. Je suis sur un autre projet avec Stéphane Kabila, philosophe et curateur, « Gesture of the God » sur les populations autochtones qui sont chassées de leur habitat naturel. J'aurai une résidence en août 2022 à Kalera. Les questions de mémoires et d'identités me guident dans tous mes projets de manière directe ou indirecte.

Vit-on de son art au Congo ?

Joseph Kasau : Oui, c'est possible. Depuis 5 ans, je vis de l'art. Je connais aussi beaucoup d'autres jeunes comme moi et des artistes qui vivent de leur pratique artistique au Congo. Ce n'est pas impossible. Je suis ravi que l'on accorde aux artistes de l'espace pour s'exprimer, car cela permet de porter nos voix.

Propos recueillis par Iragi Elisha à l'Institut français de Lubumbashi en juin 2022.

ZOOM

Nidje Konnexion

Joseph Kasau et Stéphane Kabila ont lancé « Nidje Konnexion » en 2020.

Cette « plateforme de création » réunit les artistes, journalistes, photographes, vidéastes, écrivains et plasticiens pour dynamiser la scène culturelle sur laquelle une « politique d'exclusion » mettait de côté les jeunes artistes.


En 2021, Nidje Konnexion a lancé son premier projet « Onesha Lubumbashi » axé sur un regard photographique et textuel de la ville : « Nous voulions raconter Lubumbashi à travers nos yeux ». La plateforme espère réunir des fonds pour publier un ouvrage sur Onesha Lubumbashi 2021. Elle compte aussi réduire la distance entre les artistes et créer un espace de professionnalisation pour les moins expérimentés.

Iragi Elisha