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SIKASSO KAZADI, le dernier des dinosaures
Accompagner les artistes qui émergent pour assurer l'avenir
Peintre, modéliste, styliste, photographe ou éditeur, Sikasso Kazadi touche à tout. Du haut de son demi-siècle dépassé, l’artiste pluridisciplinaire veut transmettre son expérience à la jeunesse congolaise.
En 2021, Maître Sikasso Kazadi a ouvert le Centre culturel Sikasso Culture et Sport, qui se dédie avant tout à la formation et à l'orientation de jeunes artistes. Entretien avec un des derniers de la race des dinosaures de la culture pour évoquer les enjeux actuels de la mode en RDC et dans sa ville, Lubumbashi.
Comment résumeriez-vous votre parcours professionnel et artistique ?
Sikasso Kazadi : D'abord, c'est un parcours digne d'un aventurier. J'ai commencé l'art très jeune, et je ne savais pas que la mode, la photographie ou la peinture m'amèneraient aussi loin de mon point de départ. Comme tout jeune artiste, j'ai commencé par le dessin avant de me forger ma philosophie, en passant par les ateliers de grands artistes de l'époque, à l'image de Baleko, Moussa Diouf, Chenge, Beni, Kailu, dans les années 70. À l'époque, Lubumbashi était un foyer de création artistique foisonnant.
Vous débutez dans les années 70, que s'est-il passé ensuite ?
Sikasso Kazadi : J'ai fait l'académie des Beaux-Arts comme tous les jeunes de mon époque qui voulaient devenir artiste. Pour moi, ce n'était pas une nécessité, mais un passage obligé entre mes 15 ou 16 ans. En 1979, j'ai obtenu mon diplôme d'État en option peinture, ensuite je me suis lancé pleinement dans la vie active, dans laquelle je me trouvais déjà lors de mes années de formation. À 18 ans, j'avais un atelier de travail et j'étais déjà chez moi. Sans avoir attendu longtemps j'étais loin du toit familial.
Deuxième édition du défilé de jeunes talents locaux à l'Institut français de Lubumbashi en 2021, Maître Sikasso Kazadi en a été le directeur artistique.
Avec quelles pratiques artistiques vous êtes-vous lancé ?
Sikasso Kazadi : J'étais déjà peintre, ensuite j'ai ajouté à mon arc la photographie et la mode. Ce sont deux pratiques artistiques qui m'ont été bénéfiques dans ma carrière.
À quel moment vous êtes-vous dit que vous resteriez artiste pour toute votre vie ?
Sikasso Kazadi : Après mes années aux Beaux-arts, j'avais l'avenir devant moi. J'ai décidé de m'investir dans la peinture pleinement. J'ai fait ma première exposition à 17 ans, et, en 1979, j'ai exposé à l'Hôtel Karavia, à l'époque le Sheraton Hôtel (aujourd'hui propriété de Pullman), ensuite à la Paroisse Saint-Martin, dans une des communes populaires de la ville. En 1980, j'ai participé à une grande exposition intitulée « 60 ans de la peinture zaïroise » qui avait réuni Chenge, Mouvement, Kailu, Pilipili et toute la crème des artistes de l'époque. C'était un privilège de figurer parmi les meilleurs aussi jeune.
Vous avez ensuite poursuivi des études ?
Sikasso Kazadi : Je ne me suis pas remis tout de suite aux études. J'ai continué ma vie comme un aventurier. À 19 ans, je participais à des expositions d'artistes en Zambie, profitant de l'énorme intérêt des artistes pour Lubumbashi, où ils passaient souvent. C'était une ville de transit pour beaucoup d'artistes qui venaient de Kisangani, de Kinshasa, et ailleurs. Ils passaient par ici pour se rendre à Kitwe, à Ndola et d'autres villes en Afrique du Sud. J'ai vécu pendant ce bouillonnement et je suis héritier de tous ces courants de création, de ces styles, je porte les fruits de ces influences.
Aujourd'hui vous êtes peintre, modéliste, styliste, photographe de sport et d'art, éditeur. Comment expliquez-vous cette pluridisciplinarité ?
Sikasso Kazadi : C'est cette richesse que j'ai observée chez les autres, et dans laquelle j'ai grandi. Mon père fut employé chez "Congo Vox", une agence belge des actualités à l'époque. Elle s'est muée en "Régie nationale des actualités cinéma et télévision" (RENAT), puis en "La voix du peuple" et, enfin, "La voix du Zaïre" (aujourd'hui RTNC). J'ai donc baigné dans la culture des magazines que mon père apportait à la maison, des revues comme « Le Zaïre ». Cela a influencé le fait qu'aujourd'hui j'édite le magazine TP Mazembe, car, déjà en 1967 et 1968, je vivais les gloires et les défaites de ce club à la maison. Je dirais que c'était déjà un aperçu, non artistique, mais plutôt journalistique, de ce que je suis devenu.
En parlant de la mode, qu'est-ce qui caractérisait celle de Lubumbashi ?
Sikasso Kazadi : Au Congo, la mode a toujours été présente. Depuis les années 1960, elle servait déjà à montrer son bien-être dans la société pour une certaine catégorie de personnes. Mais la mode n'a pas évolué, car elle a subi les tendances et les influences de l'extérieur, à l'image de l'histoire du pays. À l'époque de Mobutu et le retour à l'authenticité notamment avec l'abacost - « à bas le costume » -, c'était plus une révolution politique après la rencontre de Mobutu et Mao en Chine en 1973. Cela a créé une vraie différence de style entre le Zaïrois et les autres peuples africains. Quand un Zaïrois descendait d'un avion à Bruxelles, il était tout de suite reconnu avec son abacost et son foulard. Il y avait une élégance masculine et le libaya représentait l'élégance féminine.
Le souci majeur de la mode au Congo et à Lubumbashi, c'est que tous les créateurs, les stylistes et les modélistes ne se sont jamais lancés dans le prêt-à-porter, alors qu'il s'agit pourtant de l'avenir de la mode. La mode est saisonnière, et ceux qui veulent la pratiquer doivent présenter au public des modèles à tous les coups, chaque année.
Maître Sikasso Kazadi dans son atelier.
Vous baignez dans l'univers de la mode à Lubumbashi depuis des décennies, où en est la mode aujourd'hui ?
Sikasso Kazadi : Nous recherchons encore notre style. Je vois qu'une nouvelle génération de modélistes arrive. Le problème majeur reste qu'avec les nouvelles générations dans la mode, elles naissent le matin et disparaissent le soir. Je suis dans cet univers depuis 40 ans, et j'en ai été ambassadeur, de la mode congolaise et lushoise, en France, au Tchad, au Ghana, au Sénégal, à Abidjan, à Bamako et ailleurs. Aujourd'hui, pour moi, ce qui compte maintenant, c'est transmettre cette expérience, mais les jeunes sont-ils prêts à la recevoir ? J'ai parfois l'impression que, dès qu'un jeune arrive, il pense tout connaître et lance une marque. Ce n'est pas une mauvaise chose, mais je crois que l'avenir de la mode, c'est le prêt-à-porter.
En parlant d'avenir et de transmission, vous avez ouvert cette année le Centre Sikasso Culture et Sport. Quelles sont vos ambitions ?
Sikasso Kazadi : Je me sens encore jeune de par ma culture et ma soif de connaissance. L'implantation du centre vise surtout à soutenir les jeunes dans leurs créations. Un jeune créateur dans la mode a besoin de se cultiver pour nourrir son travail. On ne se lance pas dans la mode sans connaitre Pathe'O, Alfadi, Genzo ou Pierre Gardin. La mode est une industrie qui n'a pas eu la chance ni d'évoluer ni de s'installer au Congo, on se limite à la confection.
Le centre va accompagner les créateurs, collaborer avec eux, publier leur travail et leur offrir des résidences. Je trouve qu'aujourd'hui le monde culturel local est plus fermé qu'à notre époque où nous allions vers ceux qui savaient, c'est différent avec les jeunes actuels. Nous avons besoin d'une culture d'ensemble pour avancer tous les jours. Nous planifions l'installation d'une bibliothèque, ainsi que des cours sur les pratiques artistiques en module avec d'autres collaborateurs qui passeront au centre. Les temps sont durs, mais nous croyons que les gens ont besoin et doivent se cultiver davantage. Quand vous visitez Dakar et que voyez le nombre de galeries ou centres d'art qui soutiennent les artistes, vous vous dites qu'à Lubumbashi nous devons travailler plus.
Quelles sont les particularités de ce nouveau centre culturel de Lubumbashi ?
Sikasso Kazadi : Le soutien à la création, c'est rare localement. Et puis, c'est modeste, mais nous fonctionnons en comptant sur nos propres moyens. Nous ne recevons aucune subvention, mais nous croyons que la meilleure politique aujourd'hui, c'est de commencer petit et de grandir. L'arrivée des subventions dans un centre provoque souvent l'exclusion de certains détails, dans l'encadrement ou dans l'orientation des artistes. Nous voulons aider les artistes à grandir dans leurs projets.
Il y a un héritage culturel que nous refusons de laisser dans la rue, les Mwembia, Chenge, Pilipili et autres grands noms de la scène artistique de Lubumbashi. Nous connaissons mieux les artistes d'ailleurs que les nôtres, Mweze, qui fut mon professeur d'art décoratif à l'Académie des Beaux-Arts, n'est pas connu par les jeunes. Ce centre se consacre aussi à un travail de mémoire. Notre savoir sur l'histoire de l'art ici ne doit pas se résumer à ce qui est dit par les Occidentaux ou à ce qui se trouve au musée de Tervuren.
Les jeunes artistes qui veulent vivre de leur art, comment s'en sortent-ils ?
Sikasso Kazadi : Il faut avouer que les difficultés sont majeures dans la vie d'un artiste, qu'il soit jeune ou expérimenté. Personnellement, j'ai eu la chance de me former en autodidacte auprès des artistes confirmés de mon époque dans la ville en observant comment Moussa Diouf vivait de la peinture, comme Kailu et Chenge. Le secret reste le travail car, pour vivre de son art dans le monde artistique, c'est tout un parcours.
Vouloir vendre une œuvre ou obtenir une subvention ne vous permet pas de vivre de votre art. Plusieurs jeunes, même à notre époque, ont été désarmés face à la dureté de cet univers. De ma promotion, il y a 40 ans, ou celles qui m'ont précédée, nous n'avons pas 500 artistes à Lubumbashi. C'est pour dire que c'est un parcours de combattant, mais il faut avoir l'esprit aventurier, ce n'est pas impossible. J'ai été jeune ; accompagner les artistes qui émergent aujourd'hui, c'est assurer l'avenir.
Tableaux de Sikasso Kazadi.
Quels sont vos projets ?
Sikasso Kazadi : Cette année, pendant le mois de la photo, je vais éditer le numéro 200 de mes publications. Lubumbashi aura un patrimoine sur le football avec mes archives sur le TP Mazembe, et sur les autres domaines liés à l'art. Un artiste a le devoir de marquer sa ville, et je compte bien le faire dans la mienne. Cette expo sera une légation de patrimoine à la ville, aux futures générations et aux chercheurs. Si nous n'écrivons pas notre propre histoire, personne ne le fera pour nous. Nous devons entrer dans l'histoire avec un geste, avec des "faits d'armes". Au centre, je vais donner des formations en histoire de l'art, en peinture, en mode, en photographie... le reste viendra avec le temps, je l'espère. Nous allons échanger, enseigner, soutenir, rencontrer sans demander de diplôme ou tel antécédent à ceux qui veulent apprendre. L'époque des diplômes est révolue.
Un dernier mot ?
Sikasso Kazadi : L'art correspond à un pont, et il faut justement trouver un pont entre l'ancienne et la nouvelle génération. La ville de Lubumbashi mérite mieux pour sa production artistique et culturelle. Il faut que les acteurs culturels soient soutenus. Certains partenaires y travaillent, comme l'Institut français et le Centre Wallonie-Bruxelles, mais, sur le plan local, les autorités ne tendent pas l'oreille aux artistes. Cela a comme conséquence que l'art n'occupe pas encore une place dominante chez une majorité de Congolais. Quand vous voyez tous ces immeubles, ces maisons, ces résidences et, qu'à l'intérieur, il n'y a même pas de tableau, ni d'œuvre d'art, vous mesurez à quel point il est difficile pour les artistes de vivre de leur art. Les artistes ont le devoir de se battre pour montrer que l'art a de la valeur.
ZOOM
De Strasbourg à Dakar
Sikasso Kazadi a reçu une formation en art à l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, il est plasticien intervenant.
Son surnom « Sikasso » lui vient d’une ville du Mali, carrefour entre le Burkina Faso, le Mali et la Côte d’Ivoire, qu’il découvrit lors d’un voyage pour assister à une biennale en 1987.
Cette année, il participe à la biennale de Dakar, où il espère y rencontrer les curateurs et personnalités du monde de l’art. En fin d’année 2022, il compte organiser une rencontre entre le styliste Pathe’O et les jeunes lushois. En juin, une première projection de « 50 ans de la maison Pathe’O », de Laurent Badoh, réalisé en 2021, a eu lieu à l’Institut français de Lubumbashi, une préparation à la réception du styliste.
Iragi Elisha