TROIS PRÉTENDANTS, UN MARI, fable plaisante autant que profonde
Clé
Rire oui, mais pas que...
Retour sur une valeur sûre du théâtre camerounais, destinée à divertir, mais non dépourvue de profondeur et d'un propos social voire politique.
Ce classique de la littérature camerounaise a rencontré un franc succès et a même été édité pas moins de vingt fois entre 1963 et 2011.
Pourtant, au départ, son auteur Guillaume Oyônô Mbia nourrissait seulement l'ambition de « divertir » ses « camarades de Libamba, le soir », et de « remercier ceux d'entre eux qui » lui « faisaient ses devoirs d'algèbre et de géométrie de l'espace », comme il le relève malicieusement dans sa préface de 1968. Oyônô Mbia disait vouloir surtout combattre « l'ennemi le plus dangereux » des villages, à savoir « l'ennui ».
Force est toutefois de constater que la pièce a largement dépassé les objectifs initiaux. Certes, elle divertit, de par son rythme effréné, la drôlerie de ses répliques et de ses situations, comme Oko, le lycéen pauvre amoureux de Juliette se faisant passer pour un prétendant fortuné, ou Mbarga, déclarant qu'il s'agit d'un « docteur... en doctorant ». On peut citer aussi le marabout Sanga-Titi qui essaye d'extorquer de l'argent aux villageois, et déclare, au mépris de toute vérité géographique, que Ngaoundéré et Sangmélima se trouvent côte à côte :
« KOUMA (indiquant le Nord) - Ngaoundéré est au Nord... (indiquant la direction opposée) et Sangmélima au Sud !
SANGA-TITI (doctorant, il indique aussi le Nord) - Qu'est-ce que le Nord ? (indiquant ensuite le Sud) - Qu'est-ce que le Sud ? (puis joignant les deux mains au-dessus de la tête) - N'est-ce pas la même chose ?
KOUMA (éclatant de rire) – Mais... »
La pièce s'avère alerte, vive, joyeuse, et riche en rebondissements, puisque la sémillante et intelligente Juliette doit d'abord épouser le paysan Ndi, le riche fonctionnaire Mbia, le commerçant Tchetgen, et, enfin, le lycéen Oko. En plus, Trois prétendants... un mari s'achève par des danses et des chants.
Ce ne serait cependant pas lui rendre justice que de la limiter à un simple divertissement. Malgré son étiquette de « comédie », elle rend en effet compte de tout un contexte politique et social, ainsi que de vrais problème de fond : le manque de liberté et de pouvoir de décision dans des sociétés patriarcales qui les assujettissent, la soif intarissable de gains et d'honneurs, ou encore la course aux jeunes filles affriolantes pour montrer sa puissance et son rang, ou encore l'influence nocive des marabouts profitant du désespoir de la population, les apparences trompeuses et la manipulation.
Il faut rappeler que la pièce a été écrite très peu de temps après l'indépendance du Cameroun – seulement quelques semaines après pour être précis. Certains sujets brûlants devaient être évités, ce qui explique qu'un élève de seconde – Oyônô Mbia était alors au lycée ! – choisisse le prisme de la comédie, et le sujet de la dot et du mariage précoce – bien plus que celui de l'indépendance, ou qu'un sujet plus ostensiblement politique !
La pièce, pour résumer, applique l'adage du poète latin Horace que Molière aussi avait fait sien, à savoir corriger les mœurs par le rire, utilisant l'humour pour mieux faire passer certains messages et certaines critiques sociales – de la même façon qu'un sirop fait mieux oublier un médicament peu ragoûtant. Le succès de la pièce ne s'est jamais démenti au fil des générations, et la pièce a connu et connaît l'engouement au Cameroun bien sûr, où elle a souvent été jouée et où elle continue à être travaillée dans les écoles, mais aussi ailleurs.
ZOOM
Une pièce historique au parcours singulier
On peut évidemment affirmer que cette pièce a fait date dans l’histoire du théâtre camerounais, puisqu’il s’agit d’une des premières pièces jouées lors de l’inauguration du Centre culturel français à Yaoundé en juin 1961.
Ce fut aussi, en plus, la première publication de la maison d’édition CLE, en 1963.
En 1966, le comédien Ambroise Mbia, alors élève au Conservatoire national d’art dramatique de la Rue Blanche, découvrit la pièce dans un numéro de « L’Avant-Scène de Théâtre », et décida de la monter avec sa troupe, « Le Jeune Théâtre Africain ». Plusieurs représentations eurent lieu, entre autres à Paris, Marseille et Nantes.
Pendant ce temps-là, l’auteur, qui enseignait à l’Université de Keele, travaillait à la version anglaise qui sortit en 1968, éditée par Meethuen and Co. Ltd sous le titre « Three Suitors. One Husband ». Lors des représentations en Grande-Bretagne, la pièce plaît beaucoup. En 1970, la pièce obtient le prix El Hadj Ahmadou Ahidjo. En 1974, une traduction allemande paraît sous le titre « Heirat im Mvoutessi ». En 1976, les Editions Clé décernent un « Livre d’Or » à l’auteur.
Matthias Turcaud