En plus de Pim-Pim Tché (Toast de vie), Jean Odoutan s'est également fait connaître par Barbecue-Pejo, qui obéit aux mêmes principes : parler de problèmes de fonds au Bénin, de la précarité ambiante, d'un marché de l'emploi difficile et sans aucune garantie, mais le tout avec beaucoup de légèreté, ainsi qu'une bonne humeur obstinée et contagieuse.
Le titre, déjà, mérite de s'y attarder, avec l'orthographe fantaisiste de "Peugeot", et cette association étonnante d'une voiture et d'un barbecue, qui résume bien l'histoire du film, et aussi cette résilience et cette polyvalence impressionnantes dont Odoutan fait l'éloge. On peut dire aussi que le tournage du film était vraiment en accord avec son sujet : en raison des moyens modestes mis à disposition, Odoutan ne pouvait pas retourner plusieurs fois une même scène ; de plus son décorateur a quitté le projet quelques jours avant la fin...
Ici, un cultivateur "troque" son champ de maïs contre une voiture dont il espère un grand rendement, mais qui ne va pas vraiment faire long feu en fait. Barbecue-Pejo épingle au passage la corruption généralisée, les arnaqueurs de tout acabit qui peuvent être des Béninois ou bien des Français venus revendre des Peugeots " d'occas' " également, ou encore la vanité ou l'envie assez futile d'impressionner sa communauté.
Quand on égrène les sujets évoqués par le film, on peut être surpris par leur gravité aiguë : l'indigence absolue et les enfants à nourrir qui conduisent une femme à se prostituer, les deux filles sont de plus atteintes par une malformation congénitale, le cultivateur est humilié par un imam qui se refuse de le payer correctement pour son maïs, et perd tout suite à un coup de tête et une arnaque. Pourtant, Barbecue-Pejo dégage une légèreté, une tendresse, une gaiété qui enthousiasment. La très belle musique qui retentit dès le début donne déjà le la, et infuse sa douceur têtue à l'ensemble du long-métrage. La fin surtout, annoncée donc par le titre, est porteuse d'espoir, et érige la débrouillardise et l'optimisme forcené comme clés absolues pour s'en sortir malgré tous les écueils. Le film peut justement donner envie de se battre, de ne pas renoncer !
Comme dans Pim-Pim Tché, on retrouve aussi le sens du dialogue d'Odoutan, sa poésie, son inventivité, son humour. Le scénariste n'a décidément pas peur des répliques trop écrites, et cela confère une autre dimension au film, tout en permettant d'éviter un réalisme trop plat ou monotone. On apprécie de plus sans mesure la joyeuse liberté de ton de cet épatant trublion débrouillard et plein de ressources, qui semble ne s'être fixé aucune limite, et ne se censure pas.
En outre, on constate que, malgré des moyens donc limités, Odoutan arrive à un résultat pour le moins étonnant. Le personnage principal qu'il interprète d'ailleurs lui-même, paraît en une certaine mesure autobiographique, et il convainc beaucoup dans le rôle, avec son mélange de dynamisme et d'abattement modéré qui transpirent le vécu. Les autres comédiens ne déméritent pas non plus : on peut notamment citer Laurentine Milebo, qui s'est construite à l'école du théâtre populaire de rue à Pointe Noire et joue l'épouse du mari cultivateur ; ou encore Adama Kouyaté, en vieux sage. Le burlesque côtoie le tragique, mais, au final, la douceur vainc.
ZOOM
Les dessous de la réalisation de Barbecue-Pejo
Dans son premier livre qu'il a aussi édité lui-même - la débrouillardise restant son maître mot et sa devise -, Odoutan révèle les dessous de la réalisation de "Barbecue-Pejo", de l'attribution inespérée de l'avance sur recettes du CNC et de sa rencontre avec Pascal Thomas qui en était responsable à la sortie en salles et la critique flatteuse : "L'acteur-réalisateur-producteur africain manie la langue et la caméra avec une vista ironique et réjouissante."
Entre les deux, il y eut un certain nombre de mésaventures et de contretemps fâcheux, un couple de producteurs français repérés dans l'annuaire s'étant par exemple accaparé 35% des subventions. Le tournage fut difficile de plus, le budget serré donc, l'administration béninoise n'a pas aidé.
Mais, sans mauvais jeu de mot, Odoutan le malicieux ne s'est pas laissé... démonter !
Matthias Turcaud