Films /
PIM-PIM TCHÉ, quand hilarité rime avec utilité
45rdlc
L'école de la débrouille
Retour sur une "joviale béninoiserie" au destin mouvementé et servi par un auteur aussi atypique que précieux.
Tourné en 2009, Pim-Pim Tché (Toast de vie) ne sort pourtant sur les écrans hexagonaux qu'en 2016, les frais de post-production - mixage et numérisation - ont nécessité un financement participatif via crowdfunding, et le réalisateur ayant été très peu disponible à cause du festival de films de Ouidah qu'il a lui-même initié - comme on le voit d'ailleurs dans le film.
Une série de diffusions par Canal + Afrique, le DVD ainsi que des sites de VOD permettent aujourd'hui de regarder le film assez facilement. Il le mérite, tant cette chronique s'avère à la fois agréable à regarder, originale et lucide. On y trouve tout d'abord une très agréable liberté de ton, marque de fabrique incontestable de l'auteur-réalisateur-producteur-compositeur Jean Odoutan. Les dialogues, drôles et bien ciselés, semblent notamment avoir fait l'objet d'une attention soutenue.
Pim-Pim Tché (Toast de vie) narre les péripéties sentimentales de Chimène, jeune fille de 17 ans dont les atouts physiques ne laissent pas indifférente la gent masculine. Comme elle est toujours en 5ème, elle compte passer dans la classe supérieure à sa manière : "Comme je peux compter ni sur Papa ni sur toi, je vais me batailler pour payer ma contribution scolaire." Elle entretient ainsi une triple liaison avec son professeur de mathématiques, un réalisateur et un DJ. On pourrait la qualifier d'immorale, mais le film ne la juge pas. On ne peut pas s'empêcher d'éprouver de la sympathie ou de l'empathie envers elle, ou d'admirer sa force de caractère, son opiniâtreté et sa malice.
La comédie s'avère rafraîchissante, originale, joyeuse, mais aussi amère ou grinçante, établissant mine de rien un diagnostic de certains dysfonctionnements de la société béninoise - frais d'école discriminants, inclination développée à l'adultère, manque de perspectives ou d'encadrement des jeunes (filles), phénomène des filles-mères, situation économiquement précaire d'une grande majorité... Odoutan reprend ainsi, pourrait-on dire, l'adage du poète Horace : "il corrige les moeurs en riant", à la manière, aussi, d'un certain Molière, ou de certaines comédies italiennes des années 1960, peut-être.
Sous ses allures de comédie irrévérencieuse et un peu provocatrice, Pim-Pim Tché (Toast de vie) se veut d'ailleurs aussi un film de sensibilisation. Si certains thèmes abordés paraissent éculés ou trop peu exploités, c'est donc par le traitement et notamment l'écriture des dialogues que le film se distingue. Odoutan arrive cependant aussi bien à raconter par l'image - il n'y a qu'à voir pour s'en convaincre, le début du film, et comment Chimène s'apprête pour aller s'acquitter de sa "contribution scolaire", et sur quelle "culotte" son choix se porte. Le metteur en scène n'hésite pas non plus à proposer des angles inédits, comme lorsqu'il filme les pieds au vernis rouge d'une Chimène qui "paye" alors pour ainsi dire sa contribution scolaire avec son professeur de mathématiques.
Le casting convainc également, à commencer, bien sûr, par la pétillante et sémillante Aïcha Ouattara dans le rôle de Chimène, et Jean Odoutan lui-même qui apporte sa bonne humeur inaltérable et son éternel grand sourire contagieux. Les couleurs vives d'un film tourné surtout le jour et la bande-son composée entre autres de titres d'Odoutan, mais aussi d'une sympathique reprise de "Je me suis fait tout petit" de Georges Brassens par le groupe Fanfare Brouillon achèvent de rendre le film définitivement joyeux, malgré, encore une fois, la gravité des sujets abordés.
Le film a enfin le mérite de faire découvrir la ville historique de Ouidah, située à la frontière du Togo, jadis grand port de la traite du bois d'ébène, aujourd'hui connue pour son culte vaudou, son temple de pythons, sa forêt sacrée mais aussi, donc, pour Jean Odoutan !
ZOOM
Une énergie incroyable
Réalisateur, scénariste, acteur et compositeur, avec six longs-métrages à son actif, Jean Odoutan incarne clairement une école de la débrouille.
Sa polyvalence, son énergie et son intarissable énergie forcent le respect, d'autant plus qu'il a non seulement créé le festival de cinéma Quintessence à Ouidah, mais aussi créé une école de cinéma dans cette ville. Il revient sur son parcours singulier et toutes les péripéties liées à ses films dans une autobiographie parue cette année, "Le réalisateur nègre : sous le panthéon de la tchatche, le talent !".
Matthias Turcaud