On le voit toujours le sourire aux lèvres et l'artiste est resté tenace, déterminé à avancer malgré les obstacles auxquels il a pu être confrontés. Alors qu'il travaille actuellement sur le clip de son morceau "Fire Lady Dance (Na Bwé Nè)", Bachot Muna se confie à nous à coeur ouvert et nous l'en remercions. Gros plan sur un artiste versatile et généreux.
Comment la musique est-elle entrée dans votre vie ?
Bachot Muna : Ma mère chantait dans la chorale, j'avais pris le plaisir de l'accompagner dès l'âge de 3 ans. Et c'est de là qu'est né le plaisir du chant. Parce qu'au fil du temps je ne me contentais pas seulement d'être spectateur, j'avais décidé de devenir acteur en prenant part au chant moi aussi.
Ecoutiez-vous beaucoup de musique, enfant ?
Bachot Muna : Oui, beaucoup, et de styles très variés, entre autres, de la musique classique dont "Les Quatre Saisons", mon titre préféré. J'écoutais aussi du jazz et de la musique traditionnelle comme le makossa, de l'assiko, l'essewè entre autre.
Quelle formation musicale et vocale avez-vous suivie ?
Bachot Muna : Je suis un self-made man, en français un autodidacte. Je me suis formé en travaillant avec beaucoup de groupes divers, dans les boîtes de nuit, les clubs, en voyageant beaucoup.
Comment avez-vous trouvé votre style ?
Bachot Muna : Avant de trouver mon style, je me suis d'abord imposé la discipline d'interpréter à la lettre les chansons que je chantais dans des styles différents. Après quelques années de travail acharné, j'ai commencé à me donner la liberté d'explorer d'autres horizons avec les mêmes titres, ce qui m'a permis de me découvrir d'autres potentialités. Et certains dans mon public venaient me faire des remarques telle que : "J'aime beaucoup votre interprétation de tel ou tel chanson". Tout ceci combiné avec mes voyages à travers l'Afrique, l'Europe, l'Amérique du Nord ou l'Asie, c'est cette rencontre d'autres cultures qui m'a permis de trouver mon propre style, qui est lui très pluriel.
De quelle manière l'inspiration vous vient-elle habituellement ?
Bachot Muna : J'ai remarqué que j'ai une période où je suis souvent très fertile. Elle se situe genéralement entre mars et septembre. Et pendant cette période je suis parfois réveillé en pleine nuit par une inspiration, je passe parfois des semaines de nuits blanches, parce que j'ai en permanence un orchestre qui joue dans ma tête sans arrêt.
Ce n'est pas toujours plaisant, parce que cela peut être parfois extrêmement épuisant. Mais ça fait partie de la vie d'un créateur. L'inspiration est quelque chose qui vous vient de manière spontanée, elle ne vous prévient pas. Vous devez la saisir spontanément, sinon elle disparaît de la même manière qu'elle est apparue. Ajoutez à cela le fait que je suis, auteur, compositeur, arrangeur, pianiste, interprète et ingénieur du son, vous voyez un peu ce que ça donne comme travail.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l'orchestre Manwalk ?
Bachot Muna : C'était mon premier orchestre professionnel, on était cinq : Fouda de JB's, chant principale, Cyrile à la basse, Peter Dikaki à la guitare, Mogolè à la batterie, et moi au clavier et chant. Les autres étaient des grands frères avec beaucoup d'expérience.
Quant à moi, j'étais le plus jeune de tous et un vrai débutant. Mais avec la rigueur et la pression des aînés, j'ai dû travailler avec beaucoup d'acharnement pour mériter ma place dans le groupe, sinon je risquais de me faire éjecter. Ce n'était pas toujours une partie de plaisir. Mais je voulais en faire partie et il y avait un prix à payer. Travailler très dur.
On a eu le privilège de tourner à l'ouest et au nord-ouest du Cameroun. Après cette tournée, j'ai décroché un grand contrat pour notre groupe au Moungo Palace Hôtel à Loum pour 6 mois. J'avais à peine 17 ans. J'ai beaucoup appris avec les Manwalk et aussi gardé de très grands souvenirs de cette époque-là.
Comment percevez-vous aujourd'hui votre premier album, "Inich Allah", sorti en 1986 ?
Bachot Muna : Je le perçois avec beaucoup de gratidude, parce que c'est un très grand point de référence qui me permet de constater le chemin parcouru depuis lors. Et j'en suis trés reconnaissant.
Vous avez traversé des périodes de vache maigre, où avez-vous trouvé la force de continuer ?
Bachot Muna : Je remercie le Bon Dieu, le Souverain de l'Univers Jehovah, qui me donne toujours cette force qui me permet de me relever. Car je me dis toujours : "Bachot, tu dois continuer le combat, parce que ça va finir par payer un jour." Oui, cet espoir qui est pour moi comme une réalité palpable. Et je constate que Dieu ne fait que bénir ma forte conviction qui me donne cette force pour continuer.
Pouvez-vous nous parler du "Pauvre a tort" et de "La Misère a obligé le chimpanzé à manger du piment" ?
Bachot Muna : Vous pouvez voir et constater vous-même par la voix des médias ce qui ce passe actuellement dans beaucoup de pays d'Afrique francophone et dans le monde. De très grandes révoltes de peuples africains qui n'en peuvent plus de supporter les injustices criantes de leur gouvernement et leurs clans qui vivent dans une opulence outrangeante, pendant que le peuple s'enfonce chaque jour qui passe dans une misère sans nom dans l'indifférence et le mépris total des gouvernants.
C'est ce constat qui m'avait inspiré "le pauvre à tort''. Et à aujourd'hui ce ne sont pas que les Africains qui ont ce sentiment d'injustice. On l'a récemment vu en France avec les gilets jaune, on le constate presque parout en Europe et dernièrement aussi au Etats-Unis avec l'affaire Floyd. Ce que j'ai décrit il y a quelques années en Afrique, est visible et palpable aujourd'hui dans les quatre coins du monde.
"Manaka ma dessè sombo ndongo" signifie "la misère a obligé le chimpanzé à manger le piment". Ce proverbe camerounais est très veridique aujourd'hui, ici en Europe. Combien de personnes sont devenus des SDF juste après avoir perdu leur emploi ? C'est là leur crime, par conséquence, ils sont éjectés de la société. Je me demande où va ce monde !
Pourquoi avez-vous décidé en 1996 d'aller en Belgique ?
Bachot Muna : Je me suis installé en Belgique, parce que je m'étais marié à une Belge. C'était une histoire de coeur et d'amour !
Comment s'est passé l'enregistrement de l'album "Afrika Sa", que vous avez effectué seul ?
Bachot Muna : C'était une expérience unique. J'étais à fond dans mes recherches, car j'en avais assez de bâcler mon travail dans des studios qui coûtaient excessivement cher à l'époque. Je me suis installé un bon home studio où je pouvais travailler comme je voulais, tant que j'avais de l'énergie.
Après je suis allé tout décharger dans le studio de feu mon ami Jean Martin. Et là, j'ai enregistré les voix et les choristes, j'ai tout mixé et masterisé tout seul. C'est ce qui m'a permis de composer mon album "Africa Sa", ce qui veut dire "L'Afrique danse" en douala, dont le titre "Loh Yonme" m'a valu deux Awards au Cameroun. J'ai en effet obtenu l''Award du meilleur chanteur et aussi celui du meilleur clip pour ce morceau qui a fait le bonheur des milliers de Camerounais et d'Africains depuis presque une décennie. Je tiens à noter que c'était le vote du public, et je leur en suis très reconnaissant.
Le clip réjouissant de "Loh Yonme"
Quelle est la genèse de la chanson "Fire Lady Dance" (Na Bwé Nè) ?
Bachot Muna : Quand je regarde souvent les spectacles des danseuses de feu, en anglais "Fire lady dance", j'observe souvent qu'elle sont transportées dans un délire qui les rend inconscientes du danger que représente le feu, ce qui leur permet donc de pouvoir jouer avec. Mais cela n'enlève en rien au danger que constitue le feu en lui-même.
De l'autre côté, je constate que mon peuple et plus particulièrement la jeunesse africaine, se livre à des orgies de toutes sortes en autre l'alcoolisme, les drogues, les orgies alimentaires et j'en passe. Elle en est tellement imbibée, qu'elle ne voit plus les dégâts dévastateurs de cette conduite qui mène à sa perte. Alors je leur demande de se réveiller et de se mettre au travail, parce que c'est le travail qui montre la valeur de l'individu.Ce n'est pas la multiplication des paroles vaines, ni le m'as-tu vu, c'est seulement le travail qui valorise l'homme.
Quels projets avez-vous actuellement ?
Bachot Muna : Actuellement je suis en train de terminer le montage du clip vidéo de "Fire Lady Dance Na Mbwé Nè". Je prépare un come-back au Cameroun après une très longue carrière à l'international, je voudrais partager mon expérience avec la jeunesse africaine en général et la jeunesse camerounaise en particulier. C'est ce à quoi je travaille actuellement.
En attendant, je demande à la jeunesse africaine de prendre leurs destinées en main. Car leur vie est entre leurs mains. Et elle en a le pouvoir, car le salut ne viendra jamais d'ailleurs. Alors, mettez-vous au travail les gars, et apprenez à travailler main dans la main.
Merci à Bachot Muna et à la plateforme Groover qui nous a mis en contact avec lui.
ZOOM
Une expérience mémorable au Nigeria
Vous avez dirigé en 1980 un orchestre de seize personnes au Nigeria. Quels souvenirs en gardez-vous ?
Bachot Muna : A mon arrivée au Nigeria dans le Kaduna State, j'ai été engagé dans l'orchestre de Marafa Club tenue par un DPO, Departmental Police Officer M.Danna. Au fait, il était le patron de la police de l'état de Kaduna. Très influent et tout le monde avait peur de lui. On a eu quelques frictions ensemble, parce que moi je pouvais lui dire en face ce que je pensais pendant que les autres l'assassinaient derrière son dos. Finalement on est devenus de très grands amis !
En 80 notre groupe avait été sélectionné pour représenter l'état de Kaduna au Sokoto Fishing Festival. Chaque état devait être representé par un orchestre. Donc il y avait 19 états representés par 19 orchestres.
Un jour, je suis arrivé aux répétitions, le chef d'orchestre m'a appelé et il m'a dit : "Bachot, c'est toi qui va diriger l'orchestre pour cette compétition au Sokoto Fishing Festival". Je lui ai demandé pourquoi, il m'a répondu : "Parce que tu as beaucoup plus de rigueur." C'était une expérience sans pareil, parce que je devais diriger les gens qui avaient l'âge de mes parents. Mais ce qui était extraordinaire, c'est qu'ils respectaient plus mon talent, et ne se souciaient point de mon âge.
Tous mes efforts nous ont valu la 4ème place sur 19, et nous sommes donc rentrées avec un trophée et de l'argent. L'expérience aquise par ce challenge me sert en plus encore aujourd'hui, parce qu'il m'est arrivé de formé un groupe musicale en 3 jours de répétition, pour aller jouer à plusieurs festivals ici en Europe avec un rendement comparable à certains groupes qui doivent travailler pendant un mois au moins, pour obtenir le même rendement.
Matthias Turcaud