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BADI, l'artiste "trouble-fête" qui ne veut pas faire danser idiot
Eloge du cercle
Badibanga Ndeka, chanteur belgo-congolais né en Belgique de parents congolais, axe ses chansons nourries d'influences diverses autour de sujets d'actualité.
Après "Matonge", il vient de sortir "Trouble-fête", en collaboration avec Boddhi Satva. Artiste polyvalent et singulier, Badi s'est confié à Africa Vivre sur les sujets qui le tiennent à cœur.
Comment votre contexte familial a-t-il influé sur votre musique ?
Badi : La famille est au centre pour moi. J'ai grandi dans un contexte familial assez stable. On a connu des temps très difficiles pendant lesquels il fallait trouver des papiers, il fallait vivre avec très peu, mais la famille est restée soudée, et ça m'a aidé.
Dans mon parcours musical, j'avais un oncle qui faisait partie de l'OK Jazz et c'est lui qui m'a introduit à la musique. Quand j'étais enfant, cet oncle me jouait du saxo. La culture, surtout congolaise, était mise en avant. Mes parents, à l'époque, et moi, aujourd'hui avec ma famille, je sais qu'il est toujours important de mettre ses proches au centre.
Peut-on dire que vous venez donc d'une famille où la musique fait partie de la tradition ?
Badi : Dans ma famille, la musique n'a jamais manqué, et, franchement, ce n'était pas pour me déplaire. Mon père m'a fait écouter tout type de musique, que ce soit le reggae de Bob Marley, de la soul, ou du punk ; j'ai grandi autour de cela. Pour mon père, il y avait la musique et les livres, il nous avait offert une bibliothèque impressionnante et ça m'a aidé à grandir dans un univers plein de culture.
Parlons de votre troisième album sorti il y a quelques mois, comment a-t-il été reçu ?
Badi : Nous avons eu une très bonne réception sur cet opus, malgré le contexte sanitaire particulier. J'ai eu la chance de passer dans l'émission « Colors », qui a permis de nous faire découvrir à un public plus large, et un peu partout dans le monde. Ça nous a offert beaucoup d'opportunités, et, ensuite, nos singles ont bien tourné.
En plus, on a remporté, lors de la cérémonie des « Octaves », les Victoires de la musique belges, le prix du meilleur album urbain avec Trouble-fête en juin 2021. L'accueil fut très bon, que ce soit de la part de la critique ou du public, que nous n'avons pas encore rencontré sur scène.
Vu les contraintes sanitaires actuelles, comment faites-vous pour rester proche de votre public ?
Badi : On a recommencé à organiser des concerts depuis quelques semaines, depuis juillet. D'ici fin août, nous serons en concert à trois reprises, et puis, en septembre, on va en organiser d'autres. Une chose est sûre, notre agenda se remplit de plus en plus. Nous avons un concert à la salle FGO de Paris le 4 décembre, ce sera un événement important. Jusqu'à la fin de l'année, l'agenda sera complet, et on espère être sur scène malgré le Covid.
Envisagez-vous un voyage au Congo pour rencontrer le public de la RDC ?
Badi : C'est important pour moi de venir jouer au Congo et à Kinshasa parce qu'on a déjà eu l'opportunité de se produire à Pointe-Noire (Congo-Brazzaville), à Dakar (Sénégal) ou encore à Abidjan (Côte d'Ivoire). J'espère pouvoir le faire d'ici 2022, ou dans les années à venir, ça me tient à coeur.
Après le tour de l'actualité et de l'artiste, parlons de votre album Trouble-fête. Dans quel contexte avez-vous composé le titre Mee Too ?
Badi : C'est un titre arrivé tard dans la construction de l'album, je me posais des questions, parce que j'avais la musique depuis un certain temps mais sans la thématique. C'est en discutant avec Marie de « Zap Mama », une légende de la musique, que j'ai eu l'inspiration.
Je voulais parler des femmes sous un angle très Badi, en jouant sur l'actualité. Quelques mois avant, on parlait du mouvement Mee Too et en tant qu'homme, je tenais à en parler surtout que j'entendais très peu d'hommes s'exprimer sur le sujet. Je voulais donner mon ressenti en tant qu'homme par rapport à ce sujet, sans vouloir faire la morale. C'est comme ça qu'est né Me Too.
Dans la même veine, on peut penser au mouvement Black Lives Matter. Comment ces différents mouvements citoyens vous affectent-ils en tant qu'artiste ?
Badi : Ce sont de grands mouvements sociaux de notre époque, c'est très récent, et ça crée de la polémique, parce que certains sont pour et d'autres non. Black Lives Matter, c'était important pour moi d'en parler, en tant qu'européen noir mais pas seulement. Il y a eu aussi le mouvement End Sars au Nigéria pour dénoncer les abus policiers partout dans le monde que ce soit en France, aux Etats-Unis ou à Kinshasa. J'ai donc trouvé que c'était intéressant d'en parler dans cet album.
Pour Mauvaise ambiance, vous évoquez l'île de Lampedusa. Quel regard avez-vous sur le sujet de l'immigration ?
Badi : C'est un sujet qui me touche à titre personnel, parce que mes parents ont immigré et que je suis né en Belgique. Donc, premièrement, je me sentais touché de par ma propre histoire. Ensuite, dans la continuité de l'histoire personnelle, j'ai des gens de la famille qui ont vécu ces situations d'immigration et qui ont dû vivre dans « l'illégalité » à cause des difficultés d'obtention de papiers.
Quand on voit ces images d'Africains qui se noient à Lampedusa parce qu'on ne veut pas les accueillir en Europe, ça me parle. Je me demande pourquoi cette jeunesse doit quitter l'Afrique ! Je me dis que le continent est riche, non seulement pour son sous-sol mais aussi pour sa jeunesse. Que ces jeunes soient dans le désespoir et arrivent à prendre de tels risques, cela interpelle. Donc, je me suis dit qu'il fallait porter un autre regard sur la question. Je crois qu'il y a tout en Afrique, mais qu'on ne donne pas les moyens à la jeunesse d'exploiter ses compétences.
Je suis convaincu que c'est l'Afrique qui a plus à apporter aux Européens et aux Américains, que l'inverse. C'est dommage qu'autant de jeunes partent et cela n'est pas un hasard, il y a des raisons qui poussent les jeunes à partir. Ici, on ne parle que des politiques migratoires mais cela ne suffit pas.
Pour le morceau Visa, vous êtes-vous inspiré de ce que votre famille a connu ?
Badi : Oui, c'est un sujet que l'on retrouve encore aujourd'hui. Mes parents sont venus dans un contexte d'études mais j'ai des cousins, des frères, des amis qui viennent dans la débrouille et là, c'est beaucoup plus complexe. Déjà que pour arriver en Europe, c'est toute une aventure et quand tu arrives, c'est pire. Donc je voulais raconter l'histoire des deux côtés. La première version, c'est lorsque l'individu arrive et fait face à la dure réalité de l'Europe. La deuxième version, c'est l'individu face au départ, ses doutes, ses rêves, ses illusions et tout le reste.
Jusqu'à quel point l'actualité influence-t-elle vos créations artistiques ?
Badi : Trouble-fête est marquée par l'empreinte de l'actualité. J'avais sorti un album avant « Article 15 », qui est un opus personnel où je laisse mon père parler. Là sur cet album, je me suis dit que j'avais envie de dialoguer avec tout le monde mais « à ma manière ». Je viens du rap, et ce genre a fort changé ces dernières années, mais j'aime bien l'idée de trouver le juste milieu. L'actualité a donc influencé cet album, c'est évident.
Badi artiste, qu'est-ce qui vous révolte le plus aujourd'hui ?
Badi : C'est une belle question ! En tant qu'homme, j'ai beaucoup de mal avec « l'injustice ». Mon combat dans cet album suit ce fil conducteur, aussi bien pour les femmes dans « Me Too », pourquoi une femme surqualifiée recevrait un salaire moins élevé qu'un homme ? Pourquoi un homme avec ses diplômes en Afrique se retrouve sur la mer pour venir en Europe ? Et ainsi de suite ? C'est l'injustice qui me révolte, et j'en parle beaucoup dans cet album.
Au milieu de ces morceaux révoltants, on trouve aussi Kitendi. Parlez-nous de ce morceau haut en couleur qui vous met sur la ligne des défenseurs de la SAPE.
Badi : Ouais ! Pour moi, je préfère déjà le mot "Kitendi" au mot "Sape". J'ai grandi en écoutant Papa Wemba, King Kester Emeneya, Steros Niarkos. Je me rappelle une interview où King Kester disait « Tango to kitaki naba Nord, tozalaki combien ? » c'est-à-dire quand on est arrivé en Europe, on était combien bien habillé, bien parfumé, bien sapé ? Je me suis rendu compte qu'à la base, la sape pour eux était un mouvement.
Peut-être que vais trop intellectualiser les choses mais pour moi, la sape est un mouvement de contre-culture ! Au moment où ils créent le style, le Congo est sous Mobutu donc l'abacost. Ils arrivent avec la sape et les grandes marques Versace, Louis Vuitton, etc. Certains de mes oncles ont vécu ce mode de vie-là. C'est souvent lié aussi à leur histoire et leur situation financière. Les Congolais ont fait l'objet de moqueries pour ça, mais c'est aussi un signe distinctif pour eux ! C'était donc intéressant d'en parler et au-delà de cela, ramener le visuel, le look sape. On est Congolais, bien sapé, bien parfumé, ça peut devenir quelque chose de positif et pas juste un folklore.
Au regard des thèmes que vous abordez dans l'album Trouble-fête, qui annonce le ton, est-ce que Badi se défini comme un artiste engagé ?
Badi : Oui ! Je me définis comme quelqu'un d'engagé, mais surtout comme quelqu'un de concerné. J'essaie d'être concerné par ce qui se passe autour de moi, d'être concerné par les gens, par ma société. On peut donc parler "d'engagement". J'aime bien le concept « engagé », bien que plusieurs artistes le réfutent. Pour moi, tout artiste est engagé, que tu parles de femmes, ou de voitures, tu "t'engages". Avec ma musique, j'aborde des thèmes sérieux, en y ajoutant cependant toujours du second degré ; mais, oui, je me définis comme un artiste engagé.
Dans votre album, on compte quelques collaborations, pouvez-vous nous en dire un mot ?
Badi : Déjà, l'album est collaboratif avec le producteur centrafricain Body Salva, qui a composé tout la musique. C'est un ami de longue date, il a composé la musique, et j'ai posé mes voix. On a travaillé avec Boule Mpanya, un chanteur congolais qui vit en Belgique. La légende Kaysha nous a honoré par sa collaboration sur Mwasi na nga. A ceux-là se sont ajoutés J.O.J. de Lagos, Marie de Zap Mama, Percy, qui a travaillé avec Werrason ou encore Alesh. Koffi, qui vient du Togo, a lui aussi posé le refrain sur Mee Too.
Comment définiriez-vous votre musique ?
Badi : C'est une bonne question ! (Rires). Je crois que j'ai envie de dire (réflexion...), j'ai envie de dire que c'est une musique pour ne pas danser idiot, voilà. J'aime faire bouger les gens, mais il faudrait les faire réfléchir en même temps.
Vos projets après Trouble-fête ?
Badi : Je travaille déjà sur un autre titre inédit qui va sortir avec Boddhi Salva et puis le confinement a aidé, et nous finalisons également le prochain album. D'ici fin 2021, un premier morceau de ce prochain album, qui sortira en 2022, sera déjà dévoilé. On continue d'y travailler.
Est-ce qu'un artiste peut vivre de son art, Badi avec la musique par exemple
Badi : Actuellement, et depuis six ans, je vis à 100% en tant qu'artiste même si le Covid a chamboulé le système. Depuis un an et demi, je n'avais pas fait de concert et je me suis décidé de m'investir dans autres choses pour pouvoir nourrir ma famille.
En règle générale, un artiste vit de son art, pas nécessairement en étant une super star, mais en s'organisant bien et en se montrant créatif. Il peut voir ce qu'il peut faire avec son art, en essayant de diversifier sa palette. Cela ne se résume pas à écrire des clips et produire des concerts, ça peut vouloir dire écrire pour d'autres, produire d'autres artistes et sortir du cadre de la débrouille et s'organiser. Je vis de ce modèle depuis six ans. Il m'a réussi et m'a permis de tenir toutes ces années.
ZOOM
Badi et les langues
Son album « Trouble-fête » sorti en octobre 2020, avec douze titres, dure moins d'une heure (41 minutes 18 secondes).
Badi fait usage particulier des différentes langues. En écoutant l'album, on entend du français, du lingala, du tshiluba, de l'anglais, du swahili et une langue ouest-africaine. L'artiste justifie cette diversité.
« C'est vrai que plusieurs langues reviennent dans Trouble-fête. Tshiluba, lingala et le français, c'est ma base. Ces sont des langues que j'ai écoutées depuis mon enfance et c'est revenu tout naturellement. J'avais aussi envie de glisser le mot de ces langues. Quand Koffi est arrivé sur Mee Too, je lui ai demandé de le faire dans sa langue. C'est pour nous une manière de mettre en avant nos langues, qui ne sont pas que des dialectes mais nos propres langues. »
Iragi Elisha