Il s'agit de l'adaptation de son roman éponyme paru en 1965. Le film reçoit le prix de la critique internationale à la Mostra de Venise après avoir été retiré par son auteur de la compétition pour passer dans la section « Information ». Le film est ressorti au cinéma le 30 juin 2021 en version restaurée.
Un matin, Ibrahima reçoit un mandat de 25000 francs CFA venant de son neveu balayeur de rue à Paris. Telle une trainée de poudre, la nouvelle fait le tour du quartier et sans avoir perçu la somme, il contracte des dettes et promet généreusement de faire des prêts à ses proches en ponctionnant sur le montant du mandat et répond favorablement à tous les quémandeurs oubliant que sur les 25 000 à recevoir, 23 000 devront revenir à la mère de son neveu et seulement 2 000 à lui.
Tout se complique quand allant à la poste, il n'arrive pas à retirer la dite somme faute de carte d'identité. Pour empocher le montant providentiel, il devra passer de bureau administratif en bureau administratif et commence alors une aventure pleine d'obstacles pour arriver à cette fin.
Le Mandat porte un regard juste sur une société sénégalaise gangrénée par la corruption et l'appât du gain. Rien ne sonne faux. On suit ce ballet drôle et dramatique avec une seule question à l'esprit : « Va-t-il empocher la somme à la clé de ce mandat ? » Lentement la bonne nouvelle tourne au cauchemar. L'issu devient incertaine pour lui à force de mauvaise rencontre. Il est balloté de-ci de-là, d'un profiteur à l'autre victime de sa propre naïveté. Musulman pratiquant, ses deux femmes, plus réalistes et non crédules font leur possible pour trouver une solution et préserver leur mari des griffes vénales de son entourage.
La caméra passe au crible l'absurdité de l'administration de manière évidente mais au fil des images immerge peu à peu une critique sous-jacente, celle de la société sénégalaise d'après indépendance. Aucune couche de ce système sous-tendu par le profit n'est épargnée. La morale religieuse n'y échappe pas non plus : l'amour du prochain et l'égard des riches envers les pauvres n'étant qu'une stratégie supplémentaire pour extorquer de l'argent.
Le film a quelque chose de particulier. On sent tout de suite la touche stylistique de l'auteur de La Noire de... avec une mise en scène sobre sans grande fulgurance mais d'une incontestable efficacité, une narration fluide impressionnante par sa maîtrise formelle, sans oublier le jeu naturel des acteurs.
La grande partie du film est en wolof, interrompu de rares dialogues en langue française. Cela confère une grande force au récit, les personnages semblant plus authentiques, brillants dans leur pleine vérité quand ils utilisent la langue locale. Et l'intrigue se déroule, sans faute de rythme.
On gardera à l'esprit ces sonorités de kora et l'image d'un homme au fez rouge engoncé dans un immense boubou bleu ciel, arpentant les rues à la recherche d'une aide. D'abord homme de principe et d'une honnêteté sans faille, l'intrigue n'aura qu'une seule issue pour lui : la désillusion.
« De nos jours, l'intégrité n'existe plus. Je vais faire comme tout le monde : voler, mentir... »
Remerciements chaleureux à Splendor Films.
ZOOM
Ousmane Sembène, l'indémodable
Ousmane Sembène n'est plus à présenter.
Ecrivain, scénariste, réalisateur né le 1er janvier 1923 dans un petit village au sud du Sénégal et mort le 9 juin 2007 à Yoff (Sénégal), il est considéré comme le père du cinéma africain.
Personnalité de premier ordre de l'Afrique contemporaine, il est célèbre pour son œuvre militante, axée sur les questions sociales et politiques.
Auteur de plusieurs romans emblématiques (Le Docker Noir 1956, Ô pays, mon beau peuple 1957, Les bouts de bois de Dieu 1960, etc.) et films de même ordre (Borom Sarret 1963, La Noire de... 1966, Le mandat 1968, etc.), il continue à en fasciner plus d'un.
Patrick Kasongo