C'est l'histoire d'un rêve qui a un jour germé dans la tête d'un petit garçon : découvrir le monde. Né en 1923 dans un petit village au sud du Sénégal sous domination coloniale, Ousmane est un garçon plein d'énergie. Il se fait renvoyer de l'école pour indiscipline et désobéit des années plus tard au vœu de son père, celui de ne jamais travailler pour « L'homme blanc » : Ousmane prend le large, soucieux de découvrir le monde et atterrit à Marseille ou il devient docker.
La ville déclenche son éveil politique, il rejoint le parti communiste. La ville crée aussi son éveil artistique, il découvre au travers des œuvres musicales et littéraires le pouvoir et la beauté de la culture européenne. Un jour, au port, il se brise le dos sous le poids d'un sac de café. Il passe six mois à l'hôpital, couché sur le ventre. Il en profite pour lire et se cultiver. Cet amour qui vient de naître en lui ne le quittera plus désormais. C'est un peu plus tard qu'il constatera avec dépit un vide à combler, une grande absence : l'histoire de son Afrique de cœur, celle qu'il connaissait n'avait pas encore était racontée.
1960 connaît la parution de son troisième livre Les bouts de bois de Dieu, après Le Docker noir (1956) et Ô pays, mon beau peuple (1957). Le livre contient des sous-titres en wolof et s'érige en repère pour la jeunesse africaine. 1960 est une année qui marquera l'histoire du continent. C'est l'année des indépendances, le rêve d'une Afrique nouvelle et unifiée.
Une année plus tard, il est invité à l'école de cinéma VGIK en Union soviétique à Moscou. Ousmane retourne en Afrique avec une caméra 16 mm dans sa valise et réalise l'année suivante Borom Sarret (le charretier), prix de la première œuvre au festival international du court-métrage de Tours, film qui finira par devenir un classique du cinéma d'Afrique noire. C'est sa contribution à ce vent de liberté africaine. Il découvre alors le pouvoir du film en Afrique où le taux d'illettrisme encore significatif empêche à beaucoup de lire des romans. Son œuvre est un film tourné en Afrique et pour les Africains, sans industrie cinématographique, sans acteur professionnel, sans financement.
Son troisième film La noire de... (1966), après Niaye, un deuxième court-métrage, est le premier long métrage « négro-africain » du continent. Le film connaît un immense succès (prix Jean-Vigo 1966) et remporte le prix du long métrage pendant le premier festival mondial des arts nègres à Dakar. Ousmane Sembène est même plus tard invité à Cannes, devenant ainsi le premier noir membre du jury au Festival de Cannes. « L'Afrique noire avait besoin de son propre cinéma, de ses propres héros », écrira-t-il plus tard.
Douze ans après les indépendances, le rêve de renouveau devient un sombre cauchemar. Le continent se défait, le continent se déchire. En réponse à cette décadence, Ousmane Sembène sort en 1972, après Le Mandat, son premier film d'une trilogie sur la corruption politique et la résistance populaire : Emitaï. Le film est censuré. Ça ne sera pas la dernière de ses œuvres à connaître ce traitement. Ousmane se fera même une réputation de réalisateur aux films censurés, gardant tout au long de sa carrière dans ses œuvres un accent de revendication et de dénonciation...
SEMBENE ! est un film documentaire consacré à la vie du cinéaste sénégalais. Narré par la voix de Samba Gadjigo, on est entraîné dans cette belle histoire de fils de pêcheur, de docker noir qui s'élève et devient infiniment plus fort que son propre destin. C'est l'histoire d'un homme, l'histoire d'un rêve devenu réalité, l'histoire d'un peuple. Une vie se déroule devant nos yeux avec ses coups d'éclats et ses contradictions, aux rythmes d'un instrument à corde, interrompu par des intermèdes tout en croquis et en couleur.
C'est une errance au bout de laquelle un peuple se réalise. Les images, mises bout à bout, en chaînon sont des fragments disparates d'un assemblage unique. Une sculpture composite. On admire le guide, le révolutionnaire, l'artiste. On découvre également le mari, le père, l'ami.
SEMBENE ! C'est bien plus qu'une biographie. C'est l'histoire d'un homme qui a parlé au nom de tout un peuple et qui a été entendu.
Remerciements chaleureux à Splendor Films.
ZOOM
Samba Gadjigo, réalisateur sénégalais
Samba Gadjigo est un réalisateur et scénariste né le 12 octobre 1954 au Sénégal.
Diplômé de l'université de Dakar, il poursuit ses études aux Etats-Unis où il obtient son doctorat à l'université de l'Illinois. Il travaille depuis 1986 comme professeur de français à Mount Holyoke College dans le Massachussetts.
En 2015 avec Jason Silverman, ils réalisent SEMBENE ! qui a été projeté au festival du film de Sundance, au festival de Cannes et au festival de Venise. Le film documentaire a connu un franc succès critique.
Samba Gadjigo est aussi un auteur prolifique avec des œuvres sur la thématique du cinéma et de la littérature africaine.
Patrick Kasongo