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GHISLAIN DITSHEKEDI, le bâton d'Ishango pour un Congo meilleur
Une quête tenace
Artiste plasticien ambitieux et exigeant, Ghislain Ditshekedi poursuit notamment, en ce moment, ses recherches sur l'os d'Ishango.
Pour rappel, ces os, datés de près de 20 000 ans constitueraient la plus ancienne preuve de l'usage de l'arithmétique dans l'histoire de l'humanité.
Rencontre avec un écorché vif qui dédie sa vie à l'art et rêve d'un Congo idéal.
Comment avez-vous décidé de devenir artiste ?
Ditshekedi : Je pense même ne pas avoir décidé, je pense que c’est l’art qui est venu vers moi. Dès le plus jeune âge, je faisais des bricolages à la maison et des dessins dans le sable. Je me faisais taper presque chaque jour…
Je construisais de petites voitures à partir de fils de fer de cuivre, et je me servais aussi de l’argile. A partir de 12 ans, j’ai commencé à monter des radios et des émetteurs-récepteurs dans le quartier. J'étais avec des amis plus turbulents que moi, on récupérait des microphones dans d’anciens téléphones. On récupérait aussi les écouteurs et les baffles, et on fabriquait des pièces de radio à six ou douze pièces, et à fréquences modulables. Pour communiquer, on brouillait aussi des stations de radio de la place, on se faisait souvent arrêter par la police, on était un peu fous.
Ensuite, j’ai commencé à dessiner, et c’est là que c’est venu. Je ne pense ne pas avoir choisi l’art, je faisais autre chose. J’étais destiné à travailler dans l’électronique ou l’électricité. J’ai grandi chez mes grands-parents, ma maman était tout le temps en voyage, et j’ai rencontré mon papa en 2019 seulement. Mon grand-père maternel me disait de devenir ingénieur, mais j’avais d’autres aspirations. Je faisais des sculptures avec l’argile, et je fréquentais déjà l’Académie des Beaux-Arts. Dans le quartier, je connaissais des potiers qui avaient l’habitude de se servir de l’argile.
Comment votre famille a-t-elle réagi ?
Ditshekedi : Ma famille a mal réagi. On m’avait inscrit dans des écoles supérieures pour étudier ce qu’eux voulaient que j’étudie – l’électronique, la mécanique ou l’électricité. Ils ignoraient que je m’étais inscrit à l’Académie des Beaux-Arts. J’étudiais là-bas, et ça se passait bien. L’Académie me payait même. Je pouvais recevoir de grandes sommes, 700 ou 800 dollars. Je rends grâce notamment à feu Mme Séraphine Beya.
Ensuite, quand j’ai dû présenter mon diplôme d’Etat, j’ai été obligé de dire la vérité à ma famille. Ils étaient très mécontents, bien que j’avais réussi. Souvent, en Afrique, on ne peut pas vivre de son art, et on doit s’autofinancer. La famille me considérait comme un rebelle et un impoli.
Es-tu content de ta formation aux Beaux-Arts ?
Ditshekedi : J’en suis content, parce que j’étais quelqu’un de renfermé. Je ne faisais que lire à la maison, même aujourd’hui je n’ai pas d’amis, seulement des connaissances. Or, l’art m’a aidé à mieux me connaître. J’ai pu aller là où les ingénieurs ou les médecins de la famille n’ont pas réussi à aller. J’ai réussi à me rendre dans plusieurs pays, à voyager, grâce à l’art. Mes oncles en Europe étaient étonnés de me voir, je leur ai dit que j’étais en résidence pour une étude de recherches pour un travail artistique. Je suis très content et fier, parce que j’ai réussi à me faire accepter dans le monde.
Ma sœur est licenciée en économie, et elle est actuellement financière à la mairie de Kolwezi. Mes frères sont ingénieurs en construction, en informatique. Mes frères et sœurs me prennent peut-être pour quelqu’un de fou, ils veulent que je mette le costard, la cravate, du parfum. Personnellement, je ne pense pas avoir trahi ma famille, et je ne regrette pas mes choix.
J’ai notamment pu rencontrer de grands artistes comme Samy Baloji ou Barthélémy Toguo. L’an dernier, ma tante est venue spécialement du Cameroun pour assister à mon exposition, une restitution que j’ai faite à l’Institut français, et j’ai pleuré.
Certains me comprennent déjà, et je pense que les autres me comprendront aussi, un jour.
Les cours étaient-ils intéressants à l’Académie ?
Ditshekedi : Oui, et je me suis beaucoup investi pour compléter mes connaissances, notamment en faisant des recherches sur Internet, pour bien connaître l’histoire de l’art, et les différents courants artistiques. J’ai fait des efforts pour comprendre ce qu’est l’art, et ses évolutions. Aujourd’hui, l’Académie manque de professeurs d’un bon niveau. J’y demeure en tout cas attaché, et j’ai un projet avec eux.
A quel type de public êtes-vous confronté ?
Ditshekedi : Le public lushois est compliqué. C’est un public qui préfère écouter de la musique et regarder des séries télévisées toute la journée, et qui achète des figurines ou des tableaux, sans chercher à comprendre ce qui se passe autour d’eux.
En ce qui me concerne, j’ai fait deux mois de coma, et j’ai été poignardé à plusieurs reprises pour avoir réalisé un travail sur ce qui se passe dans l’est du pays, intitulé : « A mon fils, la paix que je ne verrai peut-être pas en RDC ». La lettre de Lumumba à sa femme et celle de Mobutu à son fils m’ont notamment inspiré. Je ne sais pas si ce que je fais est trop violent ou direct, mais je suis souvent victime d’attaques.
Pourriez-vous nous parler de votre travail de recherche autour d’un bâton d’Ishango ?
Ditshekedi : Je lis beaucoup, et je me nourris beaucoup intellectuellement et spirituellement. Lorsque j’étais à l’Académie des Beaux-Arts, je fréquentais le Musée national. J’ai commencé à m’intéresser au Musée national et à tout ce qui s’y trouve. Le livre "Ceci n'est pas un musée" de l'ancien directeur du musée, feu M. Muya Wa Bitanko, m'a tout particulièrement intéressé.
Je me demande chaque jour qui je suis, d’où je viens. Je m’intéresse à beaucoup de sculptures de différentes traditions et culture, ici à Lubumbashi, et je consulte également souvent la documentation sur l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Nord.
On était en train de monter une exposition – « Congo, Culture et Nature », et je faisais partie des volontaires, je recevais un « per diem » par jour. C’est là que j’ai découvert le bâton d’Ishango, au cours d’une visite guidée. J’ai essayé d’en savoir plus, je suis allé à l’université, et j’ai échangé avec de nombreux professeurs, qui ne connaissaient rien sur le bâton d’Ishango. Cela m’a révolté, car ce bâton constitue l’origine d’un savoir universel.
Le cours de mathématiques m’avait rendu malade, pendant toutes ces années passées sur les bancs de l’école, mais, aujourd’hui, je défends un peu mon ennemi. Je me suis rendu compte de l’importance du calcul et de l’arithmétique, et donc du bâton d’Ishango. Dorine Mokha, avec qui je travaillais, a parlé de moi à Sandrine Colard. J’étais le scénographe de Dorine pour toutes ses pièces et ses créations. Je suis rentré du Zimbabwe, où j'effectuais mes recherches à la Galerie nationale de Bulawayo, pour rencontrer Sandrine Colard, et lui montrer mes travaux. Grâce à Sandrine Colard et à la Biennale de Picha (Lubumbashi), j’ai reçu une bourse et j’ai pu passer vingt jours au Musée d'Afrique Centrale de Tervuren pour des recherches. Je continue encore mes recherches, et je compte présenter une première production cette année, au Sénégal. Sinon, j’ai également postulé à la Cité des arts de Paris.
Ce travail me tient très à cœur. Le bâton d’Ishango peut nous inspirer pour des plans de ville futuristes, et pour imaginer le Congo de demain. Nos frères qui ont étudié l’architecture doivent à mon avis rentrer au pays, pour construire des bâtiments et des musées, et c’est alors que nous pourrons nous faire restituer nos œuvres, que nous pourrons alors entretenir, comme ce fameux bâton. A Kin, on a construit un musée, mais aujourd’hui il accueille surtout des réceptions de mariages. Les mentalités doivent changer.
Propos recueillis par Matthias Turcaud à Lubumbashi, dans le quartier Makomeno, près du centre culturel Picha.
ZOOM
Une collaboration fructueuse avec feu Dorine Mokha
Pourriez-vous nous parler de votre travail de scénographe pour Dorine Mokha ?
Ditshekedi : Dorine se faisait souvent rejeter à cause de sa sexualité. Bien que le Congo soit un pays très christianisé, on oublie le vrai sens du mot « amour », au sens de l’acceptation de l’autre. Je me suis aussi fait traiter d’homosexuel, ou pire encore, parce que je travaillais avec Dorine.
Dorine faisait de ses problèmes un art. Je lisais ses projets, et j’essayais de comprendre les messages qu’il voulait faire passer par sa danse et ses mouvements. Je voulais créer un univers autour de lui, et, la première fois, j’ai conçu une toile d’araignée géante avec de la ficelle. Les gens devaient s’asseoir sur la toile, et il y avait aussi des pierres accrochées, de différentes dimensions, à des hauteurs différentes. Quand on ne faisait pas attention, on pouvait se cogner et se faire mal. Je voulais faire comprendre au public ce que Dorine traversait au quotidien. Partout où Dorine allait, il devait s’attendre à quelque chose. Si ça n’arrivait pas le jour même, ça pouvait arriver le lendemain. J’ai monté des structures que Dorine pouvait exploiter, et qui correspondaient à sa vision et à ses messages.
L’art est codifié, et a toujours eu des secrets. Il faut être initié pour comprendre, et nous devons initier nous-mêmes notre public.
Matthias Turcaud