ENRAGE CONTRE LA MORT DE LA LUMIERE, récit incarné et viscéral
Editions Belleville
Laisse la douleur et la rage te nettoyer de l'intérieur
"Enragé contre la mort de la lumière", le dernier livre de Futhi Ntshingila dépeint le visage des périphéries sud-africaines, les douleurs qui les traversent et les hommes oubliés.
Le soleil s'est à nouveau levé sur Mkhumbane Mvelo, comme chaque lundi, elle doit aller fouiller les poubelles. Elle murmure la même prière. Peut-être qu'aujourd'hui, ces mots trouveront un destinataire. Sipho, la seule figure paternelle qu'elle n'a jamais eue, est parti par le chemin d'où l'on ne revient pas. Sa mère Zola, la dernière famille qui lui reste, n'est plus là qu'à moitié. Zola souffre de la maladie à trois lettres (VIH). La maladie que personne n'ose nommer.
Que deviendra-t-elle après la mort de sa mère ? Elle ne sait pas. Son ventre a encore pris du volume. Mvelo ne peut plus cacher sa grossesse. Sa mère le savait déjà. Elle avait deviné que quelque chose s'est passé l'autre jour. Le dernier jour du renouveau de la foi, quand Mvelo revenait de sa séance de prière avec le révérend Nhlengethwa.
Futhi Ntshingila est née à Pietermaritzburg en Afrique du Sud, où ses parents vivent encore aujourd’hui. Elle exerce le métier de journaliste à Pretoria.
L'heure fatidique approche. Deux phrases sur les lèvres de sa mère : « Promets-moi que tu ne feras aucun mal à la vie qui grandit en toi » et « ne les laisse pas me mettre dans une boîte »...
Enragé contre la mort de la lumière happe d'abord par son trait incisif et ses personnages « abîmés ». On découvre avec une certaine horreur ce visage méconnu des périphéries sud-africaines, où les jeunes femmes, en marge de la société sont à la merci des hommes, des « oncles », des coups durs de la vie. On découvre l'odeur de la paraffine et de la fumée des bougies, l'odeur de la pauvreté. On fait la rencontre de ces testeuses de virginité à la recherche d'un « œil ». De ces borborygmes au milieu de la nuit, à travers les murs. De l'ambiance du Shebeen de Skwiza. De ces monstres de ténèbres qui perdent leur pouvoir au contact de la lumière.
Requiem ou ode à la vie ? Les deux. Le roman de Futhi Ntshingila, Enragé contre la mort de la lumière, est une œuvre chorale où la vie et la mort, inextricables, s'adressent à nous. Tour à tour. Les mots de la vie ont les ponctuations de la mort. Les mots de la mort ont les accents de la vie. Ces voix altèrent longtemps et finissent au fil des pages par ne faire qu'un...
Parfois on soutient avec défi le regard de la faucheuse pour être ensuite profondément ému à l'évocation des convulsions de la vie. On oscille entre décès et naissance jusqu'à ce que la nudité propre au jour de la naissance engendre elle-même la mort...
Chapitre après chapitre, on assiste à la lente croissance de l'espoir. Du désir de rédemption et de dignité. On assiste à l'essor de cette fleur avide de lumière qui émerge du fumier. Soudain, tout devient possible. Une seconde chance pour toucher du doigt le bonheur.
"« Regarde, maman, les bisous de Dieu ! » La gorge de Mvelo se serra tant ça lui rappelait sa mère. C'était exactement le genre de chose qu'aurait dit Zola. Elle alla rejoindre Sabekile, pour tournoyer avec elle, les bras grands ouverts sous l'averse. " page 119
ZOOM
Le cri des oubliés
Futhi Nthingila est née en 1974 à Pietermaritzburg dans la province de KwaZulu-Natal en Afrique du sud. Ancienne journaliste, elle détient un master en résolution de conflit.
Spécialiste en recherche d'analyse et communication, elle s'est focalisée sur des études de la paix et de la résolution des conflits à l'université de Kwa Zulu-Natal.
Dans ses livres, elle aime parler des marginaux, des laisseés-pour-compte, des oubliés. On apprend à mieux les connaitre et à voir la part de nous-même passer dans leurs regards torturés.
Futhi a notamment écrit : "Do not go gentle : A novel" (2014), "Sem gentileza" (2016), "We kiss them with Rain" (2018).
Patrick Kasongo