Films / mauritanie

LE MARIAGE DE VERIDA, film touchant sur une pratique méconnue

Le poids de la tradition

La documentariste italienne Michela Occhipinti signe avec "Le Mariage de Verida" un réquisitoire poignant contre le gavage forcé en Mauritanie...

Présenté à la Berlinale de 2019 dans la section "Panorama", "Le Mariage de Verida", ou "Flesh Out" selon son titre original, rend attentif à une coutume dont le cinéma parle peu voire pas. 40 % des femmes mauritianiennes la pratiquent pourtant encore ! Il s'agit, pour les futures épouses, de grossir en un temps record pour plaire à leurs époux, selon une vieille coutume qui perdure. Concrètement, ici, Verida doit manger dix repas, et donc prendre trois kilos tous les jours, pour un total de vingt kilos. 

En documentariste aguerrie et scrupuleuse, Michela Occhipinti a mené un vrai travail d'enquête, et son intention de rester au plus proche de la réalité se révèle palpable. Verida Beitta Ahmed Deiche, l'actrice non professionnelle très convaincante dont le personnage porte le nom, s'est d'ailleurs elle-même adonnée au "gavage, ce qui rend le film encore plus percutant et authentique.


Occhipinti nous montre comment les repas scandent les journées de Verida. Une scène chez une guérisseuse qui emploie des méthodes très drastiques et va jusqu'à obliger une jeune fille à avaler ce qu'elle vient de vomir ne nous est pas non plus épargnée. Le film parvient cela dit à éviter l'écueil du misérabilisme et du pathos, se révélant au contraire délicat et émouvant.

Le scénario insiste en tout cas sur la réification des femmes, qui équivalent aux rouages d'une mécanique bien huilée, et doivent simplement faire ce qu'on attend d'elles. La réaction de la très jeune soeur de Verida, qui déclare vouloir aussi manger autant et tout de suite, peut quant à elle inquiéter et interpelle sur la difficulté de mettre fin à cette coutume très ancienne.

Michela-Occhipinti-le-mariage-de-verida

Le film permet de comparer aussi certains diktats qui, bien que totalement opposés, concernent tous deux le corps de la femme : 

"J'ai immédiatement compris que j'avais trouvé ce que je cherchais, une histoire qui racontait le même phénomène qu'en Europe de l'Ouest, mais avec des exigences contraires. [...] Le Mariage de Verida reflète la relation très complexe qu'ont toutes les femmes avec leur corps."

Finement scénarisée par Michela Occhipinti et Simona Coppini, la chronique prend soin de développer, en outre, le personnage de Verida, qui existe à part entière et ne se réduit jamais à un simple prétexte pour défendre une cause. Elle travaille comme esthéticienne, voit et s'amuse quand elle peut avec ses amies Amal et Aichetou, ou esquisse un rapprochement balbutiant avec Sidi, le jeune homme qui la pèse et dont elle apprécie la bienveillance et l'intérêt. 

En filigrane, le long-métrage constitue aussi l'occasion de prendre le pouls d'une certaine jeunesse mauritanienne d'aujourd'hui, qui nourrit des rêves, lit Françoise Sagan, ou participe à un concours de publicité pour Africell. Un fort contraste affleure ainsi entre d'un côté l'appel de la modernité et la volonté d'émancipation de ces jeunes femmes, et de l'autre le modèle persistant d'une société patriarcale et sclérosée. Le film dénonce cependant aussi des pratiques plus modernes, comme le blanchiment de la peau ou la dépigmentation.

Amal Saad Bouh Oumar se révèle aussi très attachante dans le rôle de la meilleure amie d'Amal qui veut aller étudier au Caire ; son interprétation respire l'authenticité, et la relation de son personnage avec celui de Verida correspond aussi à un enjeu intéressant, intelligemment exploité jusqu'à la fin du film.

Malgré un sujet difficile, Le Mariage de Verida de Michela Occhpinti s'avère donc réussi, instructif, sobre, pudique et touchant. On pourra apprécier aussi une scène finale pleine de poésie.

ZOOM

La rencontre avec Verida Beitta Ahmed Deiche

Michela Occhipinti s'est rendue à trois reprises en Mauritanie, en 2012, 2016 puis en 2018, afin de rencontrer des jeunes filles susceptibles de partager leurs expériences personnelles avec elle. 

Verida Beitta Ahmed Deiche lui est apparue comme une évidence : "nous avons appris à nous connaître et sommes devenues proches malgré la barrière de la langue".

La réalisatrice ajoute : "Quand j'ai vu ses yeux, si lumineux, j'ai su qu'on allait faire quelque chose ensemble. C'était elle et personne d'autre".

Matthias Turcaud