OUAGA, CAPITALE DU CINÉMA, témoignage poignant et rare
Ce qui fait la valeur du Fespaco
À l'approche de la 51ème édition du Fespaco, officiellement maintenue, Canal + Afrique a diffusé un très beau documentaire sur le sujet, que l'on doit au réalisateur tunisien Mohamed Challouf.
Directeur des Rencontres Cinématographiques de Hergla depuis 2005, le réalisateur et producteur tunisien Mohamed Challouf a signé un documentaire sur le Fespaco en 2001, intitulé Ouaga, capitale du cinéma.
Serti d'images d'archives de choix - comme celles montrant Ousmane Sembène ou Thomas Sankara lors de l'inauguration du festival -, cet hommage émouvant rappelle ce qui fait le sel de ce festival panafricain si chargé de symboles. On le sent d'ailleurs à travers les images d'archives choisies par Challouf et empreintes d'une grande solennité.
La qualité du documentaire tient aussi à l'équilibre trouvé entre d'une part ces archives, le récit personnel du réalisateur, raconté à l'écran par Fadhel Jaïbi, des images prises sur le vif dans les rues de Ouagadougou, et des extraits de quelques films croustillants - du "Truc de Konaté" de Fanta Régina Nacro qui parle des préservatifs de manière assez comique, ou de "Puk Nini" de la même réalisatrice sur une sénégalaise de passage à Ouaga, un morceau haut en couleurs de "Sango" de Femi Lasode, ou une séquence d' "En attendant le bonheur" d'Abderrahmane Sissako, emplie de poésie et de grâce.
Dario Cavalleri au montage réalise un dosage parfait en trouvant toujours le bon rythme et les bons enchaînements, et son travail mérite d'être salué. Côté bande son, on est aussi en bonne compagnie, puisqu'on retrouve Oger Kaborem, Au Poing Levé, Le Petit Chanteur, Les Colombes de la Révolution, ou encore Alpha Blondy.
Ces cinquante minutes très denses comprennent également des entretiens forts instructifs et précieux, de professionnels du cinéma ou de la culture, tels que le critique tunisien Férid Boughedir, la couturière sénégalaise Oumou Sy, ou, justement Fanta Régina Nacro et Abderrahmane Sissako, dont la caméra de Mohammed Challouf recueille les souvenirs émus et capte l'attachement qui les relie, eux aussi, à ce festival si légendaire et fédérateur en Afrique.
Sissako raconte, par exemple, comment il est venu au Fespaco après de longues années d'études en Russie et y a retrouvé son ancien colocataire de Moscou. Challouf laisse le temps à ses invités de s'exprimer librement, pour arriver à des moments très émouvants et précieux, dégageant beaucoup d'authenticité et de naturel.
Au-delà de l'aspect simplement didactique, Ouaga, capitale du cinéma en acquiert ainsi une forte valeur affective. On sent d'ailleurs toute l'émotion du réalisateur lui-même, confiant à travers la voix de Jaïbi :
« Cette première rencontre avec le Burkina, et la découverte de son jeune président Thomas Sankara, aura été pour moi une expérience extraordinaire qui a marqué profondément ma vie et a eu une grande influence sur mon parcours professionnel. Elle m'a permis surtout de remettre en question beaucoup de préjugés et de commencer à regarder avec plus d'intérêt et de fraternité vers le sud du Sahara et tout le reste du continent.»
On ressent l'enthousiasme contagieux du réalisateur tunisien alors très jeune, et son émerveillement devant cet événement panafricain, marqué par une profonde foi dans les cultures africaines et l'assurance de lendemains plus rieurs.
Le portrait très élogieux de Thomas Sankara en filigrane explique pourquoi ce documentaire a longtemps été interdit sous le règne de Blaise Compaoré au Burkina Faso. Challouf voyait en Sankara une grande promesse et beaucoup d'espoir, et porte au pilori l'homme qui a ordonné son assassinat et pris sa place, à savoir nul autre que Compaoré lui-même.
En attendant l'édition de 2021 dont on espère vraiment qu'elle aura lieu comme les organisateurs l'ont annoncé, cette lettre d'amour très belle et sincère au Fespaco, rappelle, en revenant à la source, les valeurs qui président à ce festival peu commun et son atmosphère si unique. Longue vie au Fespaco et rendez-vous en février !
ZOOM
Un bel hommage à Djibril Diop Mambéty
Le film est dédié au grand réalisateur sénégalais Djibril Diop Mamabéty, que Challouf appelle affectueusement son "frère".
Le documentaire commence même avec son image. On le voit au milieu d'un groupe d'enfants et leur disant : « Alors voilà comment on fait du cinéma. A partir de ce soir, pour faire un film, on ferme les yeux. On ferme bien. Et là dedans, dans le noir, il y a des étincelles. Il y a de la lumière. On invente des histoires. De belles histoires. Le noir devient l'écran blanc. Et notre belle histoire débute. »
Matthias Turcaud