JAY LOU AVA, afro-jazz euphorisant
Delphy Production
Les standards camerounais revisités avec gourmandise
Jay Lou Ava tantôt surnommé le « George Benson africain » ou le « Wes Montgomery africain » nous a fait le plaisir de revenir sur sa carrière riche en influences et en collaborations et de partager ses projets en cours artistiques et humanitaires.
Pourquoi aimez-vous tellement la musique ?
Jay Lou Ava : La musique pour moi équivaut à un cinquième élément, elle est indispensable à mon bien-être, et je me surprends parfois à penser que le monde a été créé en musique...
Comment avez-vous développé votre style ?
Jay Lou Ava : J'ai appris la musique en écoutant les grands maîtres du jazz. La particularité de cette musique est qu'elle vous laisse une grande liberté de créativité. Mais je ne me voyais pas reproduire le jazz de manière classique, en oubliant mes racines africaines. Il me fallait alors quelque chose de plus authentique, une musique qui refléterait mon africanité et mon parcours musical. D'où l'idée de créer des sons Progressive Afro-Jazz.
Le fait que je ne chante pas m'a conduit à développer un style musical instrumental, dans lequel ma guitare remplace ma voix. Considérant que la musique est un langage universel, il a fallu intégrer des ingrédients qui la rendraient accessibles au plus grand nombre.
Jay Lou Ava entouré de Manu Dibango et Etienne MBappé
Quel souvenir gardez-vous de Manu Dibango, avec lequel vous avez collaboré pour votre album "Ebotan" en 2006 ?
Jay Lou Ava : Manu Dibango était un grand ami de mes frères aînés, amateurs de musique, avec qui il faisait des Jam Sessions quand ils se retrouvaient. Il est naturellement devenu un grand frère pour moi aussi. En dehors de constituer une bibliothèque à lui tout seul au vu de sa longue et riche carrière, c'était un homme affable. Un musicien qui aimait, jouait et écoutait de la musique dans les moindres détails. Sa musique ne se figeait pas, car il se montrait attentif aux derniers courants musicaux, et il savait évoluer avec son temps, ce qui le rendait toujours actuel. Un maître assurément !
Comment s'est passée votre collaboration avec Donny Elwood ?
Jay Lou Ava : Donny m'a demandé d'être son arrangeur pour la sortie de son premier album "Négro et Beau" en 1996. Pour l'avoir écouté plusieurs fois sur scène, je connaissais bien sa musique. Son univers musical empreint d'humour me plaît beaucoup, et notre collaboration s'est faite de manière fusionnelle.
De quelle manière aviez-vous travaillé avec le groupe Macase ?
Jay Lou Ava : Le jeune groupe Macase s'est présenté à moi au milieu des années 90 au Cameroun, et j'avais senti en eux une fibre créatrice importante. Je suis alors devenu leur grand frère, coach, manager, tourneur, je leur prodiguais des conseils. Je tenais à faire émerger des jeunes épris de musique, et j'ai aidé à l'enregistrement de leur premier album avec lequel ils ont gagné le prix RFI 2001, et pour lequel j'avais signé une composition.
Pouvez-vous nous parler de vos duos avec Hugh Masekela et le groupe The Temptations ?
Jay Lou Ava : L'ONG Ark Jammers dont je suis vice-président avait organisé un voyage au Cameroun pour 154 afro-américains qui y avaient retrouvé leurs origines après des tests ADN. Pour célébrer cette occasion, Hugh Masekela fut invité. C'était sa toute première venue au pays. Le bouquet final de cet événement a été un grand concert regroupant plusieurs artistes nationaux et internationaux. Nous avions alors joué sur scène ensemble.
En ce qui concerne le groupe The Temptations, j'avais été invité à jouer à Washington DC pour l'anniversaire de Jacob Zuma, le président sud-africain d'alors, en 2008. L'union fut magique, surtout que Stevie Wonder a assisté au spectacle.
Hormis Manu Dibango, quels artistes vous ont-ils le plus inspiré ?
Jay Lou Ava : Mes deux frères aînés, respectivement un organiste et un guitariste, ainsi qu'Eka Roosevelt, Eboa Latin et le guitariste Jacob Medjo me Nsom.
Quelle a été la genèse de "Cameroon Everlasting" ?
Jay Lou Ava : Le projet ambitionnait de transformer les standards de la musique camerounaise en standards internationaux. J'ai eu l'idée de créer une sorte d'anthologie des musiques de mon pays qui pourraient être reprises à travers le monde, un peu comme des thèmes de jazz.
Comment avez-vous choisi votre équipe très internationale pour cet album ?
Jay Lou Ava : L'équipe a été choisie par affinités musicales. Je cherchais des musiciens susceptibles de rentrer dans mon univers, de sorte que nous puissions décliner ces musiques sous un angle universel sans altérer leurs origines. Je n'ai pas eu beaucoup de mal à réunir les musiciens, car j'avais déjà été amené à travailler avec plusieurs d'entre eux auparavant.
Comment l'enregistrement, qui a eu lieu à la fois à Yaoundé, New-York et Paris s'est-il déroulé ?
Jay Lou Ava : En plus des enregistrements live à plusieurs, la technologie d'aujourd'hui nous permet de réaliser des enregistrements à distance, grâce aux envois de fichiers musicaux via internet. J'envoyais la mouture des morceaux aux musiciens, aux USA ou au Cameroun. Ils enregistraient leurs parties et me les envoyaient pour qu'elles soient insérées dans le produit final. Ces séquences ont été très faciles, les musiciens disposant de la technologie actuelle et restant beaucoup chez eux en ces temps de confinement.
Quel regard portez-vous sur la manière dont la musique camerounaise est mise en valeur et s'exporte ?
Jay Lou Ava : La musique camerounaise regorge de talents. Cela dit, il manque malheureusement de structures pour canaliser tout ça, ce qu'on peut vraiment déplorer. À présent, ça passe plutôt par des buzz sur internet, comme un feu de paille. Bref, c'est à qui mieux mieux.
Vous avez également composé pour des films, documentaires et la télévision. Quel apprentissage en avez-vous tiré ?
Jay Lou Ava : Composer des musiques associées à des images est très excitant, car il faut pouvoir déclencher une émotion précise avec des sons. Il faut pouvoir produire une musique qui inspire la tendresse, la joie, la colère, à partir d'une scène donnée. Le choix des instruments et des gammes musicales se révèle très important pour que le rendu soit en phase avec les thèmes proposés dans le film. C'est l'expérience la plus riche que j'ai connue jusque-là.
Pouvez-vous nous présenter votre ONG Ark Jammers ?
Jay Lou Ava : Il s'agit d'une organisation à but non lucratif, fondée à Baltimore dans le Maryland aux USA en juin 2009 par Avline Ava, feu Noël Ekwabi et moi-même. Nous utilisons le pouvoir unificateur de la musique pour pratiquer des actes de charité à travers le monde. Cette association répond à notre volonté de changer le monde, les initiales ARK signifient "Acts of Random Kindness".
L'organisation est passée d'une équipe de moins de vingt personnes opérant entre Baltimore, l'État du Maryland et Washington, à une organisation internationale de plus de cent personnes, réparties sur trois continents et cinq pays (Canada, Cameroun, France, États-Unis, Royaume-Uni). Nous avons mené plusieurs campagnes de soutien humanitaire à travers le monde, et fait annuler une dette injuste de plusieurs millions de dollars attribuée au Cameroun.
ZOOM
Les projets de Jay Lou Ava
Quels sont vos prochains projets ?
Jay Lou Ava : Musicalement, je travaille toujours à mes compositions. "Cameroon Everlasting" constitue le premier volet de reprises instrumentales et d'hommages. D'autres volumes sont en cours, et j'ai le désir de continuer à partager la richesse de ces noms légendaires.
Sinon, Ark Jammers soutient également la construction du plus grand monument en terre africaine, nommé "Mother of Humanity", qui symbolise la Mère de l'Humanité, à Kribi.
Matthias Turcaud