Bandes dessinées / afrique

ADUNA, album inspirant sur un village africain

Édition Noctambule

La poésie et le mystère des villages africains

L'artiste graphique By Möko nous propose avec "Aduna. Monde visible / Monde invisible" un très bel album sur un village d'Afrique noire et son rapport à la spiritualité.

Suite à "Au pied de la falaise", qui relatait le parcours du jeune Akou, destiné à devenir le chef de son village, By Möko continue à s'intéresser à l'Afrique, à travers une bande dessinée qui évoque les différents constituants d'un village africain, qu'ils soient visibles ou invisibles. 

L'artiste précise bien tout d'abord qu'il ne prétend pas à l'exhaustivité ou à un tableau ethnographique complet, mais qu'il a simplement écouté son inspiration, en se laissant guider par quelques figures phares. Ainsi explique-t-il sa démarche de la manière suivante : "Sans me préoccuper de ma légitimité à aborder ces thèmes, j'ai laissé œuvrer mon crayon, sans le contraindre ni le réfréner. L'important, à mes yeux, était d'y mettre du cœur, mon amour pour l'Afrique et ses cultures."

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Dans un ouvrage court mais inspirant, on retrouve plusieurs personnages iconiques de la culture ouest-africaine, de Mamiwata, la déesse redoutable et lascive emmenant les jeunes hommes au fond des eaux, aux griots, en passant par les fétiches ; l'album pouvant servir d'initiation à tout cet univers si riche et fascinant. 

Aux côtés des incontournables sus-nommés, l'album invite aussi à rêver ou à réfléchir à d'autres qui le sont moins, du kankourang, qui veille au respect des bonnes manières, aux Trowos, ces dieux des éléments et de la nature quasiment imperceptibles à l'œil nu, sans oublier aussi Mawu Lisa, ce dieu créateur à la fois masculin et féminin, immensément grand et extrêmement petit ; ou encore Sango, qui lutte sans trêve contre les voleurs et les menteurs, par le biais de la foudre. 

Soigné et envoûtant, l'album séduit également par ses images mystérieuses desquelles émane beaucoup de poésie. Elles ne sont pas non plus dénuées de fantaisie et d'originalité, comme on le voit avec le chef de village replet et imposant. L'artiste graphique joue savamment sur les échelles de plan et un effet de montage, pour un découpage quasi cinématographique. Il sait bien mettre en valeur un objet, un personnage, ou encore un élément de décor, tel un intimidant baobab noueux, chargé de bien des histoires.

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En parallèle de cet arbre légendaire, By Möko accorde aussi une place à la "case", elle aussi très importante et symbolique, et qu'il décrit avec beaucoup de tact et de délicatesse : "La case est construite en harmonie avec la nature. (...) Elle se fond également dans le cosmos infini et prend, au sol, la forme d'un être couché sur le dos observant les cieux." 

Des textes courts et simples mais bien sentis accompagnent en effet les images évocatrices et marquantes. L'artiste graphique, décidément polyvalent, a en plus le sens de la formule, comme lorsqu'il écrit : "Le devin devine le divin." 

Le tout forme un ensemble bref, mais réussi, hybride, singulier et tout de même très cohérent, puisque By Möko ne s'écarte jamais de sa thématique du monde visible et du monde invisible, qui forme la colonne vertébrale de la BD, se substituant à la trame narrative qu'on aurait pu attendre à la place. Plutôt qu'un guide pédagogique, "Aduna" devient une méditation poétique et spirituelle.

ZOOM

Le rôle déterminant des "Anciens"

" 'On vit pour nos morts', tel est l'oxymore de la vie.

Et dans le grand cycle du temps, les Anciens façonnent le monde de demain, encore et toujours, avec le présent. 

Ils sont les intermédiaires entre les hommes et les dieux secondaires, soutenant les doléances humaines et intercédant en faveur de leurs descendants."

Matthias Turcaud