Albums / guinée-bissau / sénégal

POUNDO, "O Wasso Wara"

Un clip hypnotique et féministe

Artiste touche-à-tout et polyglotte, Poundo impressionne par son CV intimidant et son énergie intarissable.

Rencontre avec une créatrice militante et inspirée, dont le premier EP sort le 27 novembre.

Comment la musique et la danse ont-ils intégré votre vie ?

Poundo : Je n'ai pas choisi, ils sont venus à moi. J'ai commencé la danse à l'âge de huit ans avec ma meilleure amie de l'époque. J'ai découvert dans la danse une sensation que je n'avais jamais connu et que j'ai retrouvé dans la musique plus tard. Une sensation proche du divin, où je perds la notion du temps, c'est comme une drogue et c'est pour ça que je suis toujours en quête de performance scénique pour retrouver cette sensation.

Vous avez collaboré avec plusieurs grands noms du monde de la danse, comme Jérôme Savary, Ebalé Zam, Marie-Claude Pietragalla ou Lionel Hoche. Qu'avez-vous appris à cette occasion ?

Poundo : Jérôme Savary était un grand monsieur, il m'a marquée à vie. Il m'a enseignée la vie sur scène, comment prendre l'espace et la lumière. Il m'a donnée les outils pour aller au bout de cette sensation unique qu'est la scène. De manière générale, tout ces grands noms m'ont permis de maîtriser plus profondément l'art de la scène et l'art de transmettre des émotions. Je suis aussi reconnaissante pour leur générosité et leur collaboration.

Vous avez interprété un rôle important dans la comédie musicale "Fela !", dirigée par Bill T. Jones, et avec laquelle vous avez fait une tournée d'un an. Quels souvenirs en gardez-vous ?

Poundo : Au-delà d'être un spectacle qui a été nominé aux Tony Awards dans plusieurs catégories, c'est un spectacle qui m'a rappelée le rôle politique de l'artiste. Avec le Broadway show 'Fela!', on est entré dans l'histoire. C'est grâce à Fela Kuti que j'ai pris conscience de l'importance de l'engagement politique d'un artiste et son impact sur la société. Sans Fela, mon message ne serait pas le même aujourd'hui.

Vous êtes chanteuse, directrice artistique, rédactrice en chef d'un magazine de mode, photographe, mannequin... Où trouvez-vous l'énergie de faire tout cela, et comment vous organisez-vous ? Dormez-vous très peu ?

Poundo : Je dors peu effectivement ! Je suis quelqu'un de tellement passionnée que c'est devenu un mode de vie. Tout ce que je fais est lié à l'artistique donc ça me donne une énergie hors du commun ! il y a aussi cette nécessité de parler et de créer autour des sujets actuels.

Où trouvez-vous votre inspiration ?

Poundo : Partout. Je la puise dans mon histoire familiale, dans mes origines, mais aussi dans l'histoire... j'adore l'histoire et la lecture. Je lis énormément. Je la trouve aussi dans mes voyages et mes rencontres. Lorsque je compose mes morceaux, que ce soit la musique et/ ou les paroles, je vois des images. C'est instinctif et je ne le choisis pas. D'ailleurs, les idées de mes clips viennent pendant la production musicale des morceaux. C'est vraiment une inspiration globale.


Aujourd'hui sort votre chanson "O Wasso Wara". Comment ce morceau est-il né ?

Poundo : Ce morceau était à la base une interlude. Je l'ai écrit en ayant en tête ma mère et ma grand-mère. Je pensais aux femmes de ma vie et leur importance dans mon histoire, ma famille. Les femmes jouent un rôle capital dans notre société et pourtant leur parole est rare ou très peu entendue. 'O Wasso Wara' signifie : 'Ton âme est belle'. C'est un message de sororité, je voulais faire savoir à mes "soeurs" qu'elles ne sont pas seules face aux épreuves de la vie.

Au quotidien, beaucoup de femmes sont battues, rabaissées, cantonnées dans des rôles qu'on leur assigne sans leur demander leurs opinions. Elles n'ont pas les même salaires que les hommes et sont souvent critiquées pour leurs apparences physiques, leurs comportements, leurs looks.. Elles sont toujours la mère, la soeur, la femme de quelqu'un et ont moins d'espace pour exister par elles-mêmes. Je veux insister sur le fait que leurs libertés commencent par elles-mêmes et entre elles. C'est cette idée que je voulais transmettre à travers ce titre. C'est un message d'espoir, d'encouragement et surtout d' "empowerment", pour nous donner de la force !

La direction artistique de ce clip impressionne. L'avez-vous supervisé ? Avec qui avez-vous travaillé, qui l'a réalisé ?

Poundo : J'ai fait la direction artistique et j'ai été aidée par une amie danseuse et chorégraphe, Julie Dorval. À la base, nous avions écrit ce clip avec Hugo Claveau aka LDTCH, le réalisateur. Je travaille avec lui depuis quelques années. D'ailleurs, il avait réalisé mon premier clip "We Are More" au Sénégal. LDTCH et moi avons une véritable alchimie de travail. Il a beaucoup travaillé en Afrique où il a réalisé de nombreux clips et documentaires auprès des plus grands artistes africains et urbains. Ce qui lui donne un certain talent dans la narration et une esthétique qui convient à mon projet.

Nous collaborons sur de nombreux projets où nous associons nos savoir-faire de direction artistique et de réalisation. Pour "O Wasso Wara", l'idée c'était d'évoquer un groupe de filles soudées, une sorte de confrérie féminine forte et libre. Ce sont toutes des amies et des créatives : elles sont danseuses, créatrices de mode, écrivaines, photographes etc. J'ai travaillé le stylisme avec Céline Bourgeois, une amie styliste que j'ai rencontrée sur le tournage de "Lionne" pour Dadju. Ensemble, nous avons contacté de nombreux créateurs et designers de vêtements tels que : Pokras Lampas, Océane Nélien, Berberism, Pickloz, Michelle TSM, Jamtaan, Freaky Debbie, House of P, La Maison du Lunetier et Laure DB.

POUNDO-artiste

Les paysages sont magnifiques. Où avez-vous tourné ?

Poundo : Nous avions imaginé ce clip en Afrique puis les circonstances sanitaires actuelles ont fait que nous nous sommes redirigés vers un tournage en France. Nous voulions de la nature, de grands espaces. Après de nombreuses recherches, nous avons été séduits par les paysages du Lubéron en Provence. Leurs côtés grandioses et sauvages nous ont inspirés et pour la dernière partie du clip (la basilique), nous avons fait aussi de nombreuses recherches et demandes avant de trouver le lieu parfait dans le Nord de la France. Je tiens d'ailleurs à remercier le diocèse et toute l'équipe pour leur accueil, bienveillance et gentillesse.

On peut y voir plusieurs prototypes de votre ligne de vêtements qui va sortir en 2021. Comment l'avez-vous développée ?

Poundo : Cela vient d'une envie d'avoir des pièces uniques qui me correspondent et me ressemblent. Je viens d'une culture où l'on crée ses propres vêtements chez son couturier... j'ai toujours connu ça. En portant mes créations, j'avais beaucoup de compliments et de demandes. Je me suis donc rendu compte que ça plaisait aux gens et donc je me suis dit pourquoi pas ?

Les pièces que vous avez découvert dans le clip sont des prototypes d'une collection d'inspiration futuristique mais je ne souhaite pas trop en dévoiler pour l'instant. Rendez-vous en 2021 !

Vous y intégrez le Mandjak, votre langue maternelle. Pourriez-vous envisager de chanter des chansons entièrement en cette langue ?

Poundo : Evidemment, c'est ma langue maternelle ! Cela dit, je n'enfermerai jamais mon projet dans une seule langue car c'est l'histoire de ma vie. Certaines choses ne peuvent se traduire d'une langue à une autre. La manière de parler le Mandjak par exemple est très subtile et poétique, il y a des images, des mots, des sons qui font sens et qui sont intangibles et intraduisibles dans une autre langue. C'est pour cela que je ne peux pas m'exprimer complètement en utilisant seulement le français ou l'anglais. Certains mots n'existent que dans ma langue maternelle alors pourquoi s'en priver !


Des chansons en wolof viendront-elles aussi bientôt ?

Poundo : C'est prévu, j'ai vraiment envie de chanter en wolof. J'ai grandi avec le mandjak, le wolof et le français au sein de ma famille. Le wolof est une langue très forte, rythmique et musicale. J'adore par exemple la manière de rapper de Dip Doundou Guiss, de Nix ou du doyen du rap sénégalais Didier Awadi que je connais très bien et qui me soutient beaucoup depuis mes débuts. Je tiens d'ailleurs à le remercier ainsi que sa femme Maguy et toute les équipes du Studio Sankara qui m'ont accueillie et soutenu de nombreuses fois lors de mes passages à Dakar, notamment lors du tournage de mon premier clip "We Are More".

Votre premier EP sort le 27 novembre. Appréhendez-vous cette sortie ?

Poundo : Oui et non. Oui, à cause de la situation actuelle, le reconfinement en France complique les choses notamment pour la promo.

Non, car je suis très fière de ce que nous avons accompli avec mon équipe que ce soit la direction artistique du projet et/ ou le travail de mix et de studio.

Je suis reconnaissante du très bel accueil des premiers morceaux et des retombées positives que cela a impliqué, c'est très motivant pour la suite. J'ai hâte de vous faire découvrir les prochains morceaux !

Vous vous engagez beaucoup pour les droits de la femme et contre le mariage précoce. Pensez-vous que l'art peut améliorer la société ?

Poundo : L'art se doit d'améliorer la société. Sans l'art, il n'y a pas de société ! Les artistes et créatifs sont les grands oubliés du gouvernement et des médias face à la pandémie du coronavirus, mais que vont faire les gens pendant le confinement ? Ils vont écouter de la musique, regarder des films, des séries, des spectacles ! J'aime citer cette phrase de Nina Simone qui dit qu'un artiste se doit de refléter son temps. C'est une réalité ! L'art est la soupape de la société. Les gens ne peuvent pas que se contenter de travailler, manger et consommer ! Ils ont besoin de se divertir, de réfléchir, de rêver ! Quoi d'autre que l'art pour leur donner cet espace de rêve et de réflexion ?

Quels artistes africains admirez-vous particulièrement ? Ou suivez-vous ?

Poundo : J'adore Oumou Sangaré depuis toujours ! Sa voix et son parcours m'inspirent... c'est une femme forte et fière qui est présente depuis de nombreuses années. J'admire aussi Miriam Makeba bien sûr pour son talent, sa voix, sa capacité à chanter dans toutes les langues, son histoire incroyable et son engagement politique. C'est une icone et un exemple.

Cesaria Evora est un aussi un modèle ! Sa voix et les émotions qu'elle transmettait sont incroyables et c'est la seule artiste au monde qui a sa tête sur un billet de banque ! Et le plus gros en plus ! J'affectionne Lady Ponce au Cameroun qui est aussi une femme forte, libre et sans complexes ! Au Nigéria, j'aime beaucoup Yemi Alade qui est une creatrice invétérée de tubes et une performeuse hors normes !

Chez les artistes de la nouvelle génération, je suis férue de Sho Madjozi, une jeune femme brillante, énergique, bourrée de talents et qui apporte une vraie originalité dans ses créations. J'aime aussi la musique et l'engagement de la rappeuse zambienne Sampa The Great. Au Sénégal, j'adore la rappeuse Toussa Sénérap, qui est une tueuse ! En France, j'aime beaucoup Aya Nakamura, car c'est une femme noire qui cartonne et qui ne dévie pas de sa ligne malgré l'avalanche de critiques négatives et gratuites qui lui tombent dessus en permanence. C'est beau de voir une jeune femme noire au sommet de la pop française ! Les jeunes filles noires de la diaspora ont enfin quelqu'un à qui s'identifier et un exemple de réussite.

Enfin pour les artistes de chez moi, j'ai grandi avec Americo Gomes dont je suis fan et mon dernier coup de coeur en date s'appelle Mantenah. On la doit à deux artistes bissau-guinéens Mandas et Manecas Costa, une légende de la guitare en Guinée-Bissau.

ZOOM

Joe Ouakam, source d'inspiration

Comment Joe Ouakam vous a-t-il inspiré ?

Poundo : Ouakam est une figure emblématique de Dakar. Il a marqué toute une génération d'artistes et de Dakarois tout simplement par son engagement artistique inconditionnel. À la fois peintre, sculpteur, poète et philosophe, il m'a marquée par sa liberté, son indépendance et son anti-conformisme farouche. Sa doctrine indépendantiste (dans l'art j'entends) m'inspire, car on a également essayé de m'enfermer dans un style ou un cadre donné.

Je me reconnais en lui, car je tiens aussi à rester totalement libre dans ma création artistique. Les gens me demandent sans arrêt quel est mon style musical. Est-ce de la trap en raison des sub/basses ? du hip-hop parce qu'il m'arrive de rapper ? De la pop ? Parfois, on me met en "world", parce que j'intègre des instruments africains tels que le tama ou le balafon !

C'est tout cela à la fois en fait ! C'est mon propre style... je fais tout simplement du Poundo ! Et j'aime bien l'appeler West A Trap (West African Trap). J'aime bien cette idée de ne pas être enfermée dans une case et d'être totalement indépendante, voire à contre-courant des conformismes de l'industrie musicale.

Matthias Turcaud