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YOLANDE ELEBE MA NDEMBO, la poétesse qui met des mots sur les douleurs du Congo
Des réseaux sociaux aux recueils écrits
La poétesse Yolande Elebe Ma Ndembo, à laquelle on doit notamment les recueils "Le Bictari" et "Divagations", traite souvent dans ses poèmes d'enjeux sociétaux, politiques et humains forts et très actuels.
Pour Africa Vivre, elle a courtoisement accepté de revenir sur son parcours et quelques-uns de ses secrets de fabrication, et nous lui en savons gré !
Comment avez-vous décidé de devenir écrivaine ?
Yolande Elebe Ma Ndembo : Un peu par la force des choses, cela s'est d'une certaine manière imposé à moi. En fait, j'écris depuis ma tendre enfance et, malgré les encouragements et compliments que j'ai toujours reçus par rapport à ma plume, l'idée de publier ne me venait pas à l'esprit. Je ne pensais pas que mes écrits valaient la peine de faire l'objet d'une publication. Ce n'est qu'il y a quelques années, poussée par le nombre grandissant des personnes qui me suivaient sur les réseaux sociaux et partageaient mes écrits, que j'ai pris la décision de publier.
Lisiez-vous beaucoup, enfant ?
Yolande Elebe Ma Ndembo : Énormément. D'abord parce que c'était un exercice obligatoire à la maison mais aussi parce j'ai passé plusieurs années de mon enfance à l'internat et la lecture était quasiment la seule distraction disponible. Du coup, je suis tombée amoureuse des livres et des voyages que j'ai entrepris assise, au réfectoire ou dans mon lit.
Quels écrivains et poètes vous inspirent-ils en particulier ?
Yolande Elebe Ma Ndembo : Ils sont très nombreux et divers : Rimbaud, Alphonse Daudet, Georges Sand, Mariama Ba, Aminata Sow Fall, Maya Angelou et la liste est encore longue. Mais en fait, mes choix littéraires sont multiples et variés. Je peux aussi bien être inspirée en me plongeant dans un SAS ou un Pulitzer, ou encore un Marc Lévy. Mais à vrai dire, je suis bien plus inspirée par la vie et ce qui m'entoure. L'écriture est pour moi l'expression la plus complète de ma liberté.
Comment écrivez-vous, et réécrivez-vous beaucoup ?
Yolande Elebe Ma Ndembo : J'écris quand j'en ressens le besoin, l'écriture est avant tout un exutoire pour moi. De ce fait, lorsqu'une pensée me vient, ou lorsqu'une image ou une situation m'inspire, j'écris. Parfois, ce n'est qu'une phrase qui me vient à l'esprit, que je développe ensuite. Il arrive aussi que j'écrive un texte d'un trait sans le retoucher.
Dans votre poème "Le Bictari", extrait du recueil du même nom, vous évoquez ces moments où les mots peuvent vous manquer. Cela vous arrive-t-il souvent ?
Yolande Elebe Ma Ndembo : Oui, cela m'arrive... ce fut le cas pour ce texte ; je ressentais une grande frustration : la situation politique et humanitaire dans mon pays me préoccupait au plus haut point. Je voulais absolument extraire cette frustration qui me rongeait mais je n'avais aucune inspiration. J'ai donc commencé ce texte en disant simplement que je ne trouvais pas les mots pour exprimer mon ras-le-bol. Mais finalement, le texte est sorti de mes tripes et ainsi est né mon texte, "Le Bictari".
Pensez-vous que la poésie peut améliorer la société ?
Yolande Elebe Ma Ndembo : Question difficile. Je ne sais si elle peut améliorer la société mais ce qui est certain, c'est qu'elle peut toucher. Il y a des textes qui changent une vie, ou qui galvanisent des foules. Il y a des textes qui ont porté des révolutions. Alors, je pense que oui, d'une certaine manière, la poésie peut améliorer une société en posant des mots sur les silences de la société, en donnant de l'espoir et en portant les rêves de ce qu'on appelle « les sans-voix » .
Dans "Lettre à Clara", vous rendez hommage à la religieuse Soeur Clara Agano Kahambu, cruellement assassinée en 2016. Comment ce poème a-t-il été reçu ?
Yolande Elebe Ma Ndembo : Ce texte m'a valu beaucoup d'éloges et de retours positifs lorsque je l'ai publié sur le net, quelques temps après le décès de Sœur Clara. Il a aussi poussé à une certaine réflexion et des débats sur la réalité de ce qui se passe à l'est de la RDC. Mon souci était avant tout de donner un visage à une victime de la barbarie, dont mes compatriotes sont victimes quotidiennement. Montrer que derrière les statistiques déshumanisantes et les chiffres, il y a des vies fauchées, il y a du sang et des larmes, et je crois que le message est bien passé.
Un de vos autres poèmes, consacré à la violence conjugale à l'égard des femmes s'appelle "Champ de bataille" - pourquoi ce titre ?
Yolande Elebe Ma Ndembo : Pourquoi « Champ de bataille » ? Parce que c'est le sentiment que peut ressentir une femme lorsqu'elle est battue. Avec un peu de clairvoyance, l'on se rend compte très vite, que l'on n'est pas le problème. L'on se rend compte également, que celui qui vous bat, utilise votre corps comme « punching ball », comme exutoire, comme un espace où il a choisi de porter ses combats, d'exprimer ses frustrations, d'exporter son mal-être. Le corps de la femme devient son champ de bataille. Voilà ma réponse.
Vous avez animé l'émission littéraire "Calebasses des pensées" sur Top Congo FM. Que retirez-vous de cette expérience ?
Yolande Elebe Ma Ndembo : Ce fut une très belle expérience qui m'a permise de rencontrer beaucoup d'auteurs mais c'était surtout pour moi, un besoin de remettre la littérature et la lecture au goût du jour. Il y a très peu d'émissions littéraires sur les ondes en RDC, TOP CONGO étant la radio la plus suivie du pays, ce fut une opportunité fantastique d'offrir une audience aux littéraires. D'autant que l'émission était diffusée le samedi en début de soirée et des extraits des émissions étaient diffusés tous les jours en matinée.
Vous avez annoncé que votre prochaine œuvre serait un roman. Où en êtes-vous actuellement ?
Yolande Elebe Ma Ndembo : L'ouvrage est encore en chantier, j'avance à mon rythme.
Quelle place la poésie occupe-t-elle aujourd'hui à Kinshasa d'après vous ?
Yolande Elebe Ma Ndembo : Une très petite place, il faut l'avouer. Cependant, il est certain qu'au-delà de la poésie, la littérature en général a connu un certain recul depuis une vingtaine, voire, une trentaine d'années. Cependant, on sent un nouvel élan, et un nouvel intérêt pour les livres. On remarque la création et l'organisation de plusieurs activités basées autour du livre et de la création littéraire, qui font que les livres reviennent petit à petit sur le devant de la scène.
Je suis présidente de l'association des Femmes de Lettres Congolaises, l'idée derrière cette association est de faire la promotion des œuvres littéraires des femmes de la RDC, mais également de soutenir celles qui n'ont pas encore publié, ou celles qui ont du mal à se faire éditer. Nous tenons également des ateliers d'écriture, et nous souhaitons monter une bibliothèque. Notre association, comme tant d'autres qui émergent, fait que nous avons un bel espoir de voir la littérature et bien entendu la poésie, reprendre ses titres de noblesse.
ZOOM
Le poème "La Plume"
Quels conseils donneriez-vous à des jeunes désireux de devenir écrivains ?
Yolande Elebe Ma Ndembo : La seule recette qui tienne s'appelle « authenticité ».
Mais je vais plutôt retranscrire un extrait de l'un de mes textes "La Plume", qui je l'espère, leur donnera envie d'écrire et surtout de publier :
"La plume
Elle est une confidente opportune
Un exutoire de fortune
Miroir troublant en demi-lune
Thérapeute souvent nocturne
Elle est une compagne aimante
Fidèle amie de tous les temps
Elle exprime, elle comprend
Ce que l'on ressent, nos sentiments
Lorsque se révèle parfaite symbiose
Entre l'âme, l'esprit et la prose
C'est purement l'apothéose
La plume se découvre virtuose
L'esprit s'habille d'édifiantes réflexions
Portant en elles, toutes nos convictions
Les tripes s'arment de fougue, de passion
La feuille blanche est en pleine floraison "
Matthias Turcaud