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RONSIA KUKIEL, figure de proue de l'humour congolais
Enraciner la culture du stand-up au Congo
"Validé" par ses aînés Mamane et Gohou, l'humoriste Ronsia Kukiel a connu une ascension fulgurante en peu de temps, et ne manque pas de projets.
Il nous parle de son parcours, de ce qui le meut, et de l'engouement croissant - au Congo et en Afrique de l'Ouest - pour l'humour et le stand-up. Rencontre.
Comment avez-vous décidé de devenir humoriste ?
Ronsia Kukiel : Après plusieurs semaines de galère, je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose de ma vie. Là je me suis lancé. Non, je rigole (rires) !
Quand j’étais petit, j’adorais jouer sur scène pour des spectacles de théâtre dans mon quartier (ndlr : notamment, au sein de la Paroisse Saint Vincent de Paul de Kalamu), et cela me rendait heureux. Je voyais aussi les gens heureux pour moi, et j’étais doublement heureux. C’est là que l’idée d’en faire mon métier m’est venue. Au départ, il s’agissait de petits spectacles de contes, dans lesquels je m’inspirais de Pie Tshibanda, grand conteur congolais qui réside en Belgique. Son style de contes m’inspirait beaucoup. Peu après, j’ai vraiment commencé dans l’humour.
A 14 ans, vous vous êtes fait remarquer en imitant Michael Jackson. Pouvez-vous nous parler de ce moment ?
Ronsia Kukiel : Quand je me cherchais encore, j’étais à la fois danseur, comédien, mannequin. Michael Jackson m’a beaucoup inspiré dans sa manière de travailler, et je l’imitais – à la fois sa manière de danser, son look mais aussi sa voix. Lors de sa disparition en 2009, un concours de danse a été organisé à Kinshasa pour récompenser le meilleur imitateur de Michael Jackson. Je me suis présenté. Il y avait une centaine d’imitateurs de Michael Jackson qui dansaient comme lui, comme un peu partout dans le monde. En ce qui me concerne, j’avais l’avantage d’avoir à peu près la même taille que lui, et je parlais comme lui – je maîtrisais son timbre vocal. Le fait de proposer cela en plus m’a permis de remporter ce prix.
Il s’agissait d’un grand événement, organisé par M. Zacharie Bababaswé, et qui a été relayé dans plusieurs chaînes. Des invitations, des prestations dans des écoles, des universités et d’autres plateformes s’en sont ensuivies.
Jean-Michel Kankan et Michel Gohou font partie de vos influences principales. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur eux ?
Ronsia Kukiel : Jean-Michel Kankan faisait déjà ce style de « stand-up comédie » bien avant qu’il ne soit à la mode. C’est une personne qui a fait rire l’Afrique. Sinon, je suis un amoureux des personnages de composition, et les compositions de Jean-Michel Kankan étaient vraiment parfaites ! On croyait qu’il était saoul, alors que pas du tout !
Avec Michel Gohou, j’ai une histoire assez émotive. Il est venu à Kinshasa et il m’a donné de la force. J’étais encore tout petit quand je l’ai rencontré il y a une dizaine d’années ; et j’ai toujours aimé aussi ses rôles.
Ils m’ont donné de la force et je me suis servi de leurs vidéos pour construire ensuite mon identité propre.
De quelle manière écrivez-vous vos sketchs et vos spectacles ? Si on prend l'exemple du sketch, présenté au "Parlement du Rire", sur les films occidentaux difficiles à transposer en Afrique ?
Ronsia Kukiel : J’aime beaucoup les films, et l’humour se fonde souvent sur l’observation. Là, j’avais remarqué à quel point Jack est amoureux malgré le côté extrême de la situation – le bateau qui coule... Les humoristes voient les choses sous un angle assez différent, et j’ai cherché les choses que les Africains ne feraient pas dans un film, par exemple ce qui est de l’ordre de la galanterie... Comme l’appétit vient en mangeant, les idées sont également venues en écrivant. C’est aussi une manière de parodierTitanic...
Que pouvez-vous nous dire du festival Toseka, qui a aussi été un tremplin pour vous ?
Ronsia Kukiel : C’est un très grand rendez-vous d’humour international à Kinshasa, qui rassemble plusieurs artistes. En ce moment le festival est en pause. Son géniteur, Ados Ndombasi, a voulu aider les jeunes artistes qui évoluent indépendamment. Il m’a repéré grâce aux petites soirées que j’organisais dans mon quartier, il a entendu parler de ce que je faisais, et il m’a invité. Je suis parti le voir, et il m’a proposé de suivre une formation qui m’a permis de faire encore beaucoup mûrir mon écriture humoristique – aux côtés de grands cadors du genre comme Michel Gohou et Mamane, mais aussi Patson ou Omar Defunzu. Ce fut une très belle aventure ! A présent, j'ai été nommé directeur artistique de ce festival.
En tant que directeur, quelle dynamique voudriez-vous insuffler à ce festival ?
Ronsia Kukiel : On aimerait apporter une nouvelle vague. L’humour change de jour en jour, et on aimerait inviter beaucoup d’artistes très jeunes. Nous allons organiser beaucoup d’ateliers, car il faut compenser le manque d’école d’humour.
En 2015, vous créez le collectif « Les Salop’arts » avec huit autres humoristes. Comment cette initiative a-t-elle germé ?
Ronsia Kukiel : Cela me gênait que le Congo Kinshasa n’ait pas beaucoup d’humoristes connus sur la scène internationale. J’ai invité d’autres jeunes et j’ai partagé mon vécu et mes expériences avec eux.
Vous avez également collaboré, par exemple pour « Subliminal », avec Fiston Sai Sai. Comment avez-vous vécu cette collaboration ?
Ronsia Kukiel : Quand on enseigne et qu’on transmet, on apprend doublement. C’était une très belle expérience, assez difficile et stressante, mais j’ai beaucoup appris – notamment au niveau pédagogique. Vu d’ailleurs que j’ambitionne d’ouvrir une école d’humour, il faut que j’acquière une maîtrise pédagogique et mes capacités à mettre en valeur d’autres personnes. De ce point de vue-là, cela a été d’autant plus bénéfique pour moi. Il fallait que je m’adapte à l’univers de Fiston Sai Sai, qu’il m’invite dans ses pensées, et cet exercice m’a beaucoup aidé.
Vous avez reçu plusieurs prix, dont le prix RFI du meilleur humoriste africain en 2017 ?
Ronsia Kukiel : Je me suis dit que ce n’est que le début et j’étais quand même très content. Je ne pouvais pas savoir que les choses allaient se passer ainsi pour moi, j’étais très fier de moi, et en même temps cela m’a stressé d’avoir quitté un niveau pour un autre. Il fallait garder le cap, rester les pieds sur terre, et travailler davantage encore, car les gens en demandent toujours plus, ils deviennent très sévères avec vous, quand vous avez un titre, et il faut sans cesse se montrer différemment.
Toutes ces pensées me sont passées par la tête, mais cela ne m’a pas empêché de profiter du moment. Des opportunités un peu plus grandes que ce que je pensais, se sont ouvertes, et avec comme corollaires une augmentation du travail et de la tension, entre autres. Actuellement je suis une personne très sollicitée en matière de spectacles d’humour et j’en suis très content.
Pensez-vous que l’humour peut faire changer les mentalités ?
Ronsia Kukiel : Oui, bien sûr, nous véhiculons des messages, et pouvons faire prendre conscience de certaines réalités. Cela dit, il ne faut pas confondre l’humour avec un théâtre d’intervention. L’artiste peut faire des sketchs de sensibilisation et de l’humour engagé, mais nous sommes là aussi pour soulever des questions et laisser le public en tirer des enseignements.
Comment avez-vous vécu le confinement ?
Ronsia Kukiel : J’ai failli me pendre déjà deux fois (rires). C’était un moment très compliqué, pour nous également qui sommes là pour partager avec un public en direct. On a cependant beaucoup appris aussi, et cette période m’a permis de travailler et d’évoluer positivement. J’ai pu créer un concept avec la page Canal +, « T’as jamais r’marqué » sur des choses insolites du quotidien, qui passe tous les vendredis.
Mais pour les artistes Le Marrakech du rire et plusieurs voyages ont été reportés, économiquement ça n’a pas du tout été rentable.
Avez-vous donné envie à d’autres jeunes de devenir humoristes ?
Ronsia Kukiel : Oui, aujourd’hui, je suis content d’avoir aussi aidé des jeunes. Beaucoup disent que je leur ai donné envie de se lancer dans l’humour, et cela me touche énormément. Voir des Nyota (ndlr : un duo de comédiennes très prometteuses, appelé "Les jumelles") sur la scène internationale, je me dis que c’est ce qu’on voulait. Avec « Les Salop’arts » nous nous impliquons également dans un centre de création d’artistes. Beaucoup m’écrivent depuis les provinces congolaises, depuis la Guinée ou le Burkina.
ZOOM
L'Institut National des Arts de Kinshasa
Vous avez étudié à l’Institut National des Arts de Kinshasa. Qu’y avez-vous appris ?
Ronsia Kukiel : Je pense que pour être un bon humoriste, il faut être un bon comédien. Maîtriser la formation de l’acteur était très primordial pour moi. Par manque d’école d’humour, cette formation-là m’a paru d’autant plus obligatoire.
L’INA m’a apporté cette formation d’acteur, pour me permettre de faire mes propres mises en scène, pour être à l’aise sur scène, avoir une très bonne diction et déclamer les textes dans l’émotion qu’il faut au moment qu’il faut. L’INA a donc joué un rôle très important dans ma carrière, me prodiguant une formation non seulement de comédien mais aussi de technicien de spectacle, et ça m’a aussi aidé pour être un peu différent des autres.
Matthias Turcaud