INNOCENT(E), plaidoyer âpre et thriller haletant
Film multi-facettes, à la fois modeste et très ambitieux
"Innocent(e)", au titre bien choisi, entérine la consécration du jeune réalisateur camerounais Franck Thierry Léa Malle, qui avait déjà réalisé des courts-métrages, et signe ici un premier long très maîtrisé et prenant.
Coup d'essai, coup de maître pour Franck Thierry Léa Malle. Avec Innocent(e), Thierry Léa Malle signe un film très convaincant et impressionnant de maturité ; ainsi que d'originalité - surperposant les strates et se dérobant aux grilles de lecture trop faciles, ou aux étiquetages pré-mâchés et hâtifs.
Innocent(e), en effet, s'impose à la fois comme un film d'enquête, dont la résolution ne surviendra qu'à la toute fin, après plusieurs rebondissements et péripéties bien trouvés, et comme un plaidoyer à l'égard des femmes battues et maltraitées, et de toutes les femmes, par extension.
On y trouve également, de plus, un diagnostic, assez perspicace et courageux, de la société camerounaise, et, notamment, des petites villes, assez méconnues à l'échelle internationale, telle qu'Abong-Mbang, dans laquelle l'intrigue se passe, mais qui représente plusieurs autres bourgades de taille similaire.
Par son scénario complexe aux strates multiples, le film s'apparente même à un lointain cousin de "Memories of Murder" de Bong Joon-Ho et "Le Caire Confidentiel" de Tarik Saleh, auscultant toute une société par le prisme d'une enquête criminelle. Au coeur d'un ensemble dense et riche, on retient notamment quelques scènes très poignantes, dont, en particulier, une longue séquence de procès, où l'on voit les avocats des deux parties s'exprimer tour à tour, et où l'on sent surtout tout ce qui se terre derrière cette sombre affaire.
Il ne s'agit pas seulement, en fin de compte, de délibérer autour d'une jeune fille démunie et d'un homme politique influent briguant le poste de maire, mais, par extension, d'accuser toute une société, et, avant tout, à travers l'avocate de la jeune fille incriminée, de mettre l'accent sur l'ensemble des femmes et filles camerounaises victimes d'abus et de violence - octroyant une large portée symbolique et globale à cette affaire précise.
Logiquement, Innocent(e) propose d'ailleurs plusieurs figures de femmes fortes et mémorables, au premier rang desquelles l'adjudante Joséphine Mbuntcha, brillamment interprétée par Virginie Ehana. Son personnage doit s'acquitter d'un métier exténuant et exigeant, tout en subvenant seule aux besoins de sa famille - son mari sans emploi s'adonnant sans trêves à la boisson alcoolisée, avant un ultime revirement.
En plus d'Ehana, très convaincante et plus vraie que nature pour interpréter ce personnage de policière consciencieuse malgré tous les écueils, on retiendra aussi Fidèle Ngo Bayigbedeg, qui avait déjà travaillé avec Léa Malle sur son court-métrage, "Angles". Bayigbedeg émeut, et s'avère même criante de justesse - déjà, lors d'une première confrontation, mais aussi durant le procès en tant que tel. L'avocate et la juge d'instruction sont aussi des personnages de femmes vaillantes et bien écrites par Léa Malle.
Du côté des hommes, Noël Ferdinand Tiognou se montre aussi très investi dans le rôle du politique incriminé. La qualité détonante des interprètes sublime évidemment encore un scénario travaillé et déjà passionnant. Ajoutons à cela une mise en images soignée sans prendre trop de place, ainsi qu'un accompagnement musical bien senti.
ZOOM
Les courts-métrages de Franck Thierry Léa Malle
Promoteur de la maison de production "Inception Art & Com", Franck Thierry Léa Malle a réalisé et produit des courts-métrages très bien accueillis en festivals, notamment à "Ecrans Noirs".
Son court-métrage "Angles", déjà, diagnostiquait les maux du Cameroun par le biais du "polar".
Avec "Innocent(e)", Léa Malle a transformé l'essai, et on lui souhaite une carrière très longue et heureuse.
Matthias Turcaud