Comment êtes-vous devenue chanteuse et musicienne ?
Syna Awel : Ma grand-mère était conteuse, mon père auteur-compositeur et guitariste. Nous étions neuf enfants, tout le monde faisait de la musique dans la famille. J'ai commencé à intégrer des groupes de reprises, avant de composer mes propres chansons. Sinon, j'ai pris des cours de chant, y compris de chant lyrique, de solfège, de guitare et de piano.
Comment en êtes-vous arrivée à l'afrojazz ?
Syna Awel : J'ai toujours voulu une musique mixte, qui parle de moi - je suis de la biculturalité. C'était très important que j'aille puiser dans mes racines, mais je suis aussi née en France, donc je voulais quelque chose qui me représente. Le jazz est venu beaucoup plus tardivement. J'ai travaillé dans une salle de concert qui ne faisait que du jazz, et je l'ai découvert de cette façon. J'ai ensuite rencontré mon compagnon de vie, un grand passionné aussi du genre, qui m'a passionné avec lui. Je me suis rapprochée de musiciens issus du jazz, et on a fait ce mélange.
Vous êtes une grande voyageuse. Sont-ce principalement les voyages qui vous inspirent ?
Syna Awel : Les voyages m’inspirent énormément, comme ils inspirent ma vie de manière générale, et depuis longtemps. J’ai toujours été attirée par des cultures et des manières de vivre différentes. A la base, c’est l’être humain qui me passionne : la façon de penser, de fonctionner, de vivre. Quand j’ai vu qu’il y avait différentes cultures et qu’on pouvait appréhender les choses et la vie différemment, en fonction de la culture, j’ai eu cette attirance particulière. J’adore rencontrer des gens différents, leur apporter un peu de moi et qu’ils m’apportent un peu d’eux.
Comment la chanson « Jailer » a-t-elle vu le jour ?
Syna Awel : Cette chanson a beaucoup voyagé. J’ai composé la mélodie à l’âge de 13-14 ans, dans les montagnes de Kabylie. J’adorais m’asseoir autour de la maison familiale, qui donne sur des grandes collines et ça résonne. Une mélodie m’est venue comme ça, je la chantonnais. Quelques années après, cette mélodie me revient, donc je la garde. Une fois avec mon groupe, je leur ai parlé de cette composition qui n’avait pas encore pris forme. Finalement, je l’ai jouée de manière funky, presque pop, toujours avec ce mélange de genres. Puis, quand j’ai rencontré Yoro Ndiaye à Dakar, il me propose de jouer une de mes compositions, et une qui me vient c’est celle-là – ma première composition !
Comment expliquez-vous que cette chanson soit restée de manière si têtue dans votre mémoire ? Le cadre y est pour quelque chose sans doute ?
Syna Awel : Oui, le cadre et mon histoire – c’est vraiment là-bas que tout a commencé – la musique, la parole, les contes berbères de ma grand-mère, et j’ai aussi appris à chanter et à jouer des percussions là-bas, petite. Ce contexte particulier, la force de mon histoire là-bas et cette envie de la transmettre à travers le monde. Pour moi l’échange de cultures est la solution à bien des maux.
Comment votre rencontre avec Yoro Ndiaye s’est-elle passée ? Le connaissiez-vous déjà ?
Syna Awel : Non, je ne le connaissais pas. Il a un studio, c’était le sien, je ne le savais pas au départ. Comme je suis restée quinze jours, on a eu le temps de bien se connaître. Au bout d’une semaine, il me propose de faire un morceau avec ses musiciens. La demande venait aussi de ma production, qui avait pensé à notre rencontre musicale. Yoro est d’une générosité incroyable, et a directement proposé qu’on fasse une de mes compositions, alors qu’on aurait soit pu essayer de créer quelque chose ensemble, soit reprendre une de ses compositions. J’étais ravie, et il est vraiment adorable.
Qui a eu l’initiative du clip de la chanson, où l’on vous voit dans une voiture traversant Dakar ?
Syna Awel : Pour le clip, j’ai simplement validé une proposition. Quand j’étais là-bas, comme souvent quand je suis à l’étranger, on me filme sans savoir ce qu’on va faire de ces vidéos-là. Et là, mon manager a proposé de les utiliser comme clip pour un résultat réaliste et très humain. J’ai approuvé, bien que j’étais un peu anxieuse de l’image que j’allais dégager. Quand j’ai vu la vidéo, j’ai trouvé ça très sympa et naturel. Quand ils ont filmé, je ne m’attendais pas à ce qu’ils en fassent un clip, donc j’ai vraiment vécu normalement. On n’a pas joué de rôle, et ça m’a beaucoup plu.
Avez-vous pu découvrir la scène musicale de Dakar lors de vos séjours dans la capitale sénégalaise ?
Syna Awel : Oui, j’ai par exemple pu discuter avec les responsables du théâtre national pour des projets d’organisation de concerts incluant des artistes d’origine différente. Je suis aussi allée jouer dans différents bars…
« Awel » veut dire « parole » en kabyle. Comment avez-vous choisi ce nom ?
Syna Awel : Syna est un surnom dérivé de mon prénom Sabrina. On m’appelait souvent comme ça, mais quand j’ai enregistré mon album à la Sacem, on m’a dit que le pseudonyme « Syna » existait déjà. Il fallait donc rajouter un autre nom. Mon nom de famille, « Agoun », veut dire « muet » en berbère : j’ai choisi le contraire !
Quels artistes ont-ils pu vous inspirer principalement ?
Syna Awel : Par sa poésie, Idir, le représentant de la musique kabyle à travers le monde, qui nous a malheureusement quittés il y a quelques semaines. Ayo, surtout pour la partie acoustique de ses premiers albums ; Aretha Franklin. Actuellement, j’écoute beaucoup A-wa, des chanteuses yéménites qui chantent dans leur langue mais avec des percussions africaines et une musique très électro. J’adore Orange Blossom, surtout pour leurs compositions orientales ; les filles de Illighhadad, le groupe turc Altin Gün, Toumani Diabaté, la chanteuse Buika, Ali Farka Touré, Geoffrey Oryema, Bonga et beaucoup d’autres…
Pour résumer, que la musique vous apporte-t-elle dans votre vie ?
Syna Awel : La musique me permet de vibrer, de vivre, et de sentir les vibrations de la vie !
ZOOM
Le confinement et ce qu'il implique...
Le confinement, pour vous, c’est plutôt frustrant ou inspirant, finalement ?
Syna Awel : Au début, ça a été vraiment frustrant. On nous a demandés de nous confiner la veille de notre départ pour le Maroc, où cinq dates de concert étaient prévues. On était prêts à repartir, on venait de rentrer du Sénégal. Ça, c’est un peu dur pour un artiste en pleine saison…
En rentrant du Maroc, on se serait reposés un peu, et puis on serait repartis pour les festivals à partir de juin. Là, tout a été annulé jusqu’à octobre, cela représente vingt dates, ça c’est frustrant.
Le confinement m’a cependant aussi fait du bien. Je revenais d’une tournée qui m’avait beaucoup fatigué, et là je me suis retrouvée à la maison, avec tout le travail qu’il me restait à faire au niveau des compositions et des arrangements. De ce point de vue, j’ai adoré le confinement !
Matthias Turcaud