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L'ENTERREMENT DE KOJO, fascinant premier film du ghanéen Blitz Bazawule

Un essai transformé

Le rappeur "Blitz The Ambassador" réussit totalement son passage au grand écran !

A bien des égards, L'Enterrement de Kojo détone. Mêlant des genres divers, le premier film du ghanéen Blitz Bazawule se dérobe à toute catégorisation hâtive. Jugez-en plutôt : sur le récit d'apprentissage à travers les yeux de la petite Esi se greffe une histoire de fratrie compliquée, une réflexion sur l'imaginaire, et une fable socio-politique dénonçant les conditions de vie plus que précaires de nombre de travailleurs au Ghana, et l'invasion de la Chine dans ce pays, entre autres. 


Le réalisateur était d'ailleurs parti d'un fait divers sur des mineurs enterrés vivant - ce qu'on retrouve ensuite dans le film. Oui, L'Enterrement de Kojo parle bien du réel, mais fait aussi la part belle aux rêveries dilatées d'Esi ; et propose sans cesse des images fantasmagoriques ou hallucinées, aux couleurs luxuriantes ou insensées.

Blitz Bazawule a d'ailleurs minutieusement préparé en amont la mise en images de son long-métrage aux côtés de son chef opérateur Michael Fernandez, préparant un storyboard très élaboré et exhaustif, recensant en deux cent pages les six cent plans de son film à venir ; et on ressent au visionnage cette application aigüe ; tant chaque image ressemble à un tableau, et se révèle (très) souvent visuellement époustouflante.


A l'arrivée, on se retrouve avec un film éminemment libre, riche, original et créatif, sans beaucoup de mots, mais où chaque dialogue a son importance. La comédie, le mélo, le film de famille et de vengeance, l'âpre chronique sociale, le brûlot politique, l'expérimentation débridée, des références bibliques assez appuyées et même une télénovelas (créée spécialement pour l'occasion) s'additionnent de manière étonnamment fluide et naturelle, dans un même flot, dans un même flux, un même élan gourmand et généreux ; celui, peut-être, de la vie. La musique aussi, cela s'entend au vu de l'autre métier de Blitz Bazawule, s'avère très bien choisie et marquante, sans devenir non plus envahissante.

En somme, L'Enterrement de Kojo questionne les dysfonctionnements spécifiques au Ghana tout en convoquant des thèmes résolument universels ; tel que l'enfance, la jalousie entre frères, un amour commun qui aimante des tensions intestines, et des drames en puissance. 

Auréolé du Grand Prix à l'Urban World Festival à New York au 2018, mais aussi au festival du film africain de Louxor en 2019, L'Enterrement de Kojo est désormais également accessible sur Netflix, et diffusé par Canal +.

Storyboard-l-enterrement-de-kojo

Storyboard pour le tournage du film "L'enterrement de Kojo"

Financé à l'origine sur Kickstarter, l'existence même de cette pépite, qui se démarque tellement des films catastrophistes qui abondent d'ordinaire quand il est question d'Afrique, tient en fait d'un petit miracle. On espère qu'un public très nombreux viendra découvrir cet authentique bijou. En un film, le rappeur Blitz Bazawule a déjà trouvé sa voix (au cinéma). 

ZOOM

L'African Film Society

En parallèle de ses nombreuses autres activités, Blitz Bazawule fait partie de l'African Film Society, qui vise à mettre en valeur le patrimoine du cinéma africain, via un grand travail de restauration et de diffusion de ces oeuvres, encore trop méconnues et négligées.

Il lui importe que les spectateurs puissent avoir une meilleure connaissance de l'histoire du cinéma africain, en (re)découvrant des cinéastes majeurs tels qu'Ousmane Sembene, Djibril Diop Mambéty, Safi Faye, Knaw Ansaw...

Matthias Turcaud