Romans / guinée

JULIANA DIALLO, la Guinée au-delà des clichés

L'Harmattan Guinée

"Raconter ce cheminement que beaucoup ne font jamais"

A la faveur d'une proposition du club littéraire de Conakry, nous avons pu rencontrer Juliana Diallo, d'origine hongroise, engagée dans le développement en Guinée, et également autrice de deux ouvrages.

Comment, venant de Hongrie, en êtes-vous arrivée à vous intéresser à la Guinée ?

Juliana Diallo : La Guinée est mon pays adoptif depuis 28 ans. Je suis arrivée en 1991, en suivant mon mari, qui est Guinéen, et je suis venue pour y vivre. Nos enfants sont nés ici, sauf l'aîné. Une bonne partie de mon parcours professionnel, je l'ai vécue ici, donc la Guinée m'a appris beaucoup.

A quel point votre deuxième livre, "Entrée dans la tribu" est-il autobiographique ? 

Juliana Diallo : Ce livre n'est pas autobiographique, mais, bien sûr, je me suis beaucoup inspirée de mon vécu et le vécu de beaucoup d'Européens et, disons, beaucoup d'étrangers même des Guinéens de la diaspora qui ont de la méfiance et même de l'incompréhension vis-à-vis du village et du monde rural. Je voulais faire réfléchir le lecteur sur tous ces préjugés qui nous empêchent de voir les réalités.

Julianna-Diallo

Qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire ce livre ?

Juliana Diallo : Mon premier roman était autobiographique, et c'est vrai que, depuis que je suis toute petite, j'écrivais, des poèmes, des contes, j'avais une âme vraiment littéraire, mais, avec mes études universitaires et ma vie professionnelle, j'ai mis tout de côté. Et puis la naissance de notre dernière fille m'a donné un déclic, j'ai vécu une expérience très bouleversante. J'ai écrit mon premier roman pratiquement en trois semaines, ça coulait tout seul. Ça m'a montré que j'ai quand même la plume et que c'est important de partager, c'est un moyen de toucher les coeurs et de faire réfléchir.

Les sujets d'Entrée dans la tribu, ce sont les différences culturelles, l'incompréhension, la rencontre de deux façons de vivre tellement différentes ; ça, je l'avais en moi. Je voulais raconter ce cheminement que beaucoup ne font jamais, parce que beaucoup qui voient cette autre façon de vivre s'arrêtent au premier pas et déclarent que c'est trop différent, et donc mauvais, inaccessible, et ils la repoussent. Tout le monde ne franchit pas ce pas et se remet en cause, tout le monde ne cherche pas à connaître véritablement l'autre - c'est de ça dont je voulais parler.

Lorsqu'on fait ce pas et qu'on se défait de ses préjugés, lorsqu'on ose accepter ces différences, on ouvre des univers avec tellement de valeurs ; et tout est humain. Donc j'avais ce thème en moi, et je me suis dit que c'était important de le mettre par écrit. 

nene-sale-juliana-dialloCela dit, mon premier roman Néné Salé - Récit d'une naissance, je l'avais écrit en français, et je m'étais rendue compte que le français est une langue étrangère pour moi. J'ai reconnu que les idées profondes, les expressions particulières me viennent dans ma langue natale, alors, cette fois-ci, j'ai pensé que j'allais tenter d'écrire dans ma propre langue. Seulement, j'avais passé 20 ans en Guinée, et je ne pratiquais pratiquement pas ma langue natale, comme je suis presque la seule hongroise ici !

J'étais en train de perdre un peu ma langue natale en faveur du français, mais j'ai quand même écrit en hongrois. Ça m'a fait un grand bien, et ce livre est donc d'abord paru en hongrois - sous le titre "Viraszdo Eden", 'Paradis en veille'. Ça a été un petit succès en Hongrie, et ça m'a donné l'opportunité de parler de la Guinée, de d'écrire un village africain, et d'inviter les Hongrois à voir autrement l'Afrique.

Ensuite, il fallait traduire le livre en français, ce qui m'a pris une année de labeur ; je me suis rendue compte que la traduction était quelque chose de très délicat et difficile. Il y a des expressions, des images dans ma langue natale que je n'ai pas pu traduire facilement ; mais j'ai quand même pu aboutir à une traduction en français.

Le personnage principal est très arrogant au début de "Entrée dans la tribu"...

Juliana Diallo : Oui, c'est le regard de beaucoup. C'est le regard de l'homme moderne qui est fier de ses avoirs matériels, de sa réussite individuelle. Le défi pour moi était de cerner l'évolution de ce personnage, emblématique du regard de l'étranger.

Comment le livre a-t-il été reçu en Guinée ?

Juliana Diallo : En Guinée, il n'y a pas beaucoup d'événements littéraires, et l'accessibilité aux livres n'est pas toujours facile. Un livre qui se vend à environ 200 000 francs guinéens est un luxe pour beaucoup de familles. Néanmoins, le livre circule ; j'ai eu quand même quelques occasions de le partager avec des lecteurs, il y a eu des rencontres au niveau de certains lycées aussi, je pense que, petit à petit, ce livre fera son chemin.

Vous êtes-vous intéressée à des auteurs guinéens ? En avez-vous lu certains ?

Juliana Diallo : Oui, bien sûr, et je suis même en contact avec certains auteurs. Chez l'Harmattan, nous sommes plus de cent, donc il y a un vivier d'écrivains, de poètes, de scénaristes ; et nous sommes solidaires, nous nous encourageons entre nous, parce que c'est important que le vécu guinéen soit raconté.

Nous sommes réunis grâce à une initiative du club littéraire dont les membres s'engagent à titre bénévole et exercent des métiers ou poursuivent des études dans des secteurs très différents, mais adorent la littérature. Que vous inspirent-ils ?

Juliana Diallo : Je suis ravie de voir ces jeunes qui militent pour le livre, qui sont prêts à créer des liens avec des écoles, des auteurs ; qui essayent de créer des évènements culturels, littéraires. Si j'accepte aussi, c'est pour les encourager, et je trouve que c'est formidable. Bravo à eux. 

Vous n'êtes pas seulement écrivaine, vous travaillez également dans le développement. Avez-vous cependant un autre projet d'écriture actuellement ; et pouvez-vous nous parler de  l'école que vous avez créée ?

Juliana Diallo : En 2014, avec mon époux, nous avons avons créé une école, et nous gérons cette école qui nous donne beaucoup de bonheur, et beaucoup de travail aussi ; c'est un projet de vie pour nous. Mes projets d'écriture sont donc un peu en hibernation, parce que toute mon énergie est mobilisée vers cette école ; mais je pense que je reviendrai vers l'écriture un jour. 

Avez-vous déjà une bibliothèque relativement fournie ?

Juliana Diallo : Nous avons un coin lecture, nous en sommes fiers, depuis trois ans, bien qu'on n'ait pas beaucoup d'ouvrages, mais il y en a suffisamment pour que nos classes de primaire y passent chaque semaine à tour de rôle, et nous organisons aussi régulièrement des rencontres avec des auteurs que nous invitons, on fait des ateliers d'illustration de contes. C'est essentiel, parce que c'est à cet âge qu'on peut encore montrer aux enfants le plaisir de lire. Nous y croyons fermement, nous nous battons pour ça.

A l'époque, nous avions déjà constitué un petit stock de livres pour lancer le coin de lecture, et ensuite L'Harmattan est venu nous appuyer, dans le cadre de "Conakry, capitale mondiale du livre", nous avons reçu un appui important, qui nous permet aujourd'hui d'avoir environ mille livres. 

ZOOM

Casser des clichés sur la Guinée

Avez-vous contribué à casser des clichés sur la Guinée en Hongrie ?

Juliana Diallo : C'est un travail continuel à faire. Chacun apporte sa contribution, mais le défi est très grand.

Souvent, dans les médias, on continue à montrer cette face souffrante de l'Afrique, on met l'accent sur les besoins matériels, et on ne parle que rarement des valeurs traditionnelles positives que l'on trouve dans ces villages reculés, pas seulement en Afrique, mais partout où il y a encore une vie communautaire, où la solidarité a de la valeur, où l'entraide et le respect des aînés sont primordiaux, où chacun est important, personne n'est laissé pour compte, parce qu'on a le temps et l'attention pour l'un et les autres.

Il faut donc montrer cet aspect au monde, parce qu'avec la modernité, on perd de plus en plus ces valeurs, et on nous entraîne dans une course aux choses matérielles, une compétition individualiste, et c'est dommage.

Je crois qu'il faut préserver ces valeurs, qu'il faut revenir aussi vers ce que la nature nous enseigne, vers plus d'humilité, de simplicité, plus de respect de l'un et des autres. 

Matthias Turcaud