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TALKING ABOUT TREES, réveiller la culture soudanaise
La promesse d'un cinéma, la promesse d'une vie meilleure
Réhabiliter le cinéma au Soudan...
En 1989, Suhaib Gasmelbari s'exile en France et étudie le cinéma à Paris VIII. Rapidement, le sort des vieux films soudanais le préoccupe fortement, alors que le pays a tourné le dos à la culture ; et que le pouvoir entend phagocyter entièrement l'espace visuel et sonore. Ensuite l'étudiant devient monteur et caméraman pour Al Qarra, Al Jazeera et France 24, lui donnant déjà un bon sens du réel et des idées pour les capter fidèlement.
Le réalisateur revient finalement dans son pays d'origine pour tourner un témoignage, un cri d'alarme, mais aussi un message d'espoir concernant la place du cinéma au Soudan. Pour ce faire, Gasmelbari a suivi l'épopée de quatre valeureux cinéastes soudanais octogénaires qui caressent justement le dessein de mettre sur pied une salle de cinéma digne de ce nom, pour y projeter des films de qualité, comme c'était le cas, lorsque le septième art jouissait encore d'un grand succès dans le pays et ne faisait pas l'objet d'interdictions ou de censure. Les quatre passionnés avaient jadis étudié en Russie puis créé un groupe de réalisateurs soudanais, et se montrent toujours aussi déterminés.
Le public, lui, répond bien présent, puisqu'à la suite de la programmation d'une projection dans une petite localité à laquelle le gouvernement n'a pas accordé d'importance, les spectateurs sont restés, et ce malgré une tempête de sable !
Entre 2015 et 2018, Gasmelbari a tourné Talking About Trees dans la clandestinité, sans autorisation, et mû par un besoin évident d'urgence. Les quatre rêveurs devront faire face à bien des écueils : des coupures d'électricité très fréquentes, une administration plus que rigide, un matériel délabré, une salle désaffectée, ou encore les appels des muezzins de six mosquées environnantes qui empêchent de bien suivre le son du film.
Eloquemment, le cinéma que les quatre amis veulent échafauder doit s'appeler "La Révolution", octroyant au film une couleur très politique. Fable poétique et vibrante, Talking About Trees s'impose comme une ode décidée à la résistance, et a glané les prix, à Berlin et dans de nombreux autres festivals prestigieux.
Citons-les, ces quatre figures de proue serties de convictions salutaires : Ibrahim Shaddad, Suleiman Mohammed Ibrahim, Manar al-Hilo et Al-Tayeb Mahdi. Dans Talking About Trees, Suhaib Gasmelbari prend le parti de s'effacer derrière eux, n'utilisant pas de voix-off, choisissant la sobriété, mettant sa caméra au service de ses personnages.
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Amjad Abu Alala, autre figure émergente du cinéma soudanais
Il faut espérer qu'après tant d'années de non-existence, le cinéma soudanais puisse enfin faire entendre sa voix et raconter toutes les histoires qu'il a à raconter.
Parmi les figures émergentes, on peut aussi relever le réalisateur Amjad Abu Alala, qui a réalisé des documentaires pour plusieurs chaînes de télévision arabes et occidentales, et quatre courts-métrages présentés dans des festivals internationaux, dont "Plumes d'oiseaux et Studio" (sous la supervision d'Abbas Kiarostami), et "Tina, Café et oranges".
Programmateur du Festival du film indépendant du Soudan, producteur, auteur pour le théâtre - son texte "Gâteaux aux pommes" a été primé en 2013 par l'Académie arabe du théâtre -, il a réalisé cette année son premier long-métrage, "Tu mourras à 20 ans".
Matthias Turcaud