Films / cameroun

LES ARMES MIRACULEUSES, ambitieuse réflexion sur la désaliénation

"Ce désir permanent d'exploser les limites"

Cinéaste atypique et engagé, Jean-Pierre Bekolo a battu en brèche avec ses films un certain nombre de clichés inhérents à l'Afrique.

Nous le rencontrons pour parler de son dernier film, "Les armes miraculeuses", et de sa vision du cinéma...

Quand et pourquoi avez-vous décidé de faire des films ?

Jean-Pierre Bekolo : Mon désir de m'exprimer. Je ne peux pas vivre sans m'exprimer, j'avais juste besoin d'un medium... Et le cinéma est arrivé à moi... Heureusement par le "montage" ce qui est mieux que si ça avait été par la littérature... je pense. Je ne peux vivre sans m'exprimer, les deux chez moi vont de pair. Maintenant s'ex-primer c'est aussi simple que sortir ce qu'il y a dedans dehors...


Vous avez étudié la physique, puis la production télévisuelle et la sémiotique. Que vous a apporté ce parcours si polyvalent ?

Jean-Pierre Bekolo : L'un m'a donné la maîtrise des outils, l'autre m'a donné la maîtrise du langage. Il n'y avait que le cinéma pour utiliser ces deux connaissances...

Vous aimez à jongler entre les genres et les supports. Êtes-vous encore à la recherche du genre ou du support idéal ? Ou voulez-vous ainsi toucher le plus large public possible ?

Jean-Pierre Bekolo : En effet, j'ai le sentiment que le support est une limite. Car, comme vous savez, le cinéma a à peine 120 ans... un peu plus vieux que le plus vieil être humain vivant... donc relativement jeune comme forme d'expression. Et avec les technologies en pleine mutation et nos vies qui ne sont plus les mêmes que celles de nos parents, il y a en moi comme ce désir permanent d'exploser les limites... Ai-je raison ? Cela va de pair avec le désir d'expression. Ne dit-on pas que "the medium is the message" ?

Votre œuvre a été saluée par de très nombreux prix et distinctions. Est-ce plus facile pour vous de monter vos projets qu'à vos débuts ?

Jean-Pierre Bekolo : Pas du tout, car personne ne veut suivre mes chemins considérés comme trop risqués. Le saut vers l'inconnu fait toujours peur surtout à ceux qui manipulent l'argent. Je m'ennuierais tellement à faire ce qui est prévisible, ce qui est attendu. Je dois être un aventurier dans l'âme.

LES-ARMES-MIRACULEUSES-Jean-Pierre-Bekolo

Comment l'idée des "Armes miraculeuses" a-t-elle germé dans votre esprit ? Le scénario et la maturation du projet vous ont-ils demandé beaucoup de temps ?

Jean-Pierre Bekolo : L'idée d'un film sur un condamné à mort m'a été inspirée par une personne très sensible que je ne vois pas beaucoup, mais qui m'a toujours inspiré Natasha Krenbol, une artiste qui a suivi un condamné à mort, évidemment j'ai pris une voie qu'elle ne pouvait pas comprendre... L'idée de femmes qui lutte pour sauver la vie face à la mort infligée par les êtres humains m'a semblé un thème important.

On comprend que Djamal entretient un rapport de longue date avec Laurence, mais comment est-il exactement entré en contact avec elle ?

Jean-Pierre Bekolo : Vous savez, les condamnés à mort ont beaucoup de correspondants. Beaucoup de personnes s'y intéressent et font ce qu'ils peuvent pour les aider. Natasha qui m'a donné envie de faire ce film est un exemple. J'ai toujours admiré son humanité...

Vous avez choisi de ne pas révéler le motif qui vaut à Djamal sa détention de quinze années, et finalement sa condamnation à mort. Pour quelles raisons ? Dénoncer un système judiciaire absurde et arbitraire, à la manière de Kafka ?

Jean-Pierre Bekolo : Il fallait avant tout par principe condamner la peine de mort. Car les mobiles pour lesquels il est dans le couloir de la mort nous auraient fait nuancer notre perception sur la question... Genre s'il a fait quelque chose de grave il mérite d'être tué...

Xolile Tshabalala, qui interprète Lesedi - l'épouse de Djamal - produit également le film. A quel point a-t-elle été importante ?

Jean-Pierre Bekolo : J'ai rencontré Xolile au festival de Durban. Je me rappelle qu'elle venait d'être virée d'un plateau quand je lui dis sans trop y croire "nous pouvons produire nos propres films" , sauf qu'elle me croit. Elle me demande si j'ai un scénario, bien sûr que si, j'en ai toujours trois ou quatre sous le coude. Elle le dévore en un temps record et pense à une dame ministre je crois qui lui a promis de l'aide.

L'idée géniale a été de faire le film là où elle est née à Vrede dans le Free State. Contrairement aux autres noirs sud-africains qui montent à Johannesburg, nous on s'est replié sur la campagne. Tout le monde (les blancs comme les noirs) s'est mis en quatre pour aider cet enfant qu'on a vu grandir avec son grand-père et qui est maintenant une star à la télévision.

 

La photographie, la lumière comme la musique (et même le titrage du générique d'ouverture) s'avèrent très caressants et doux - pour atténuer la si grande violence du propos ? Ou de dire qu'il reste de l'espoir ?

Jean-Pierre Bekolo : Tout est une affaire de sensibilité humaine, de beauté des âmes et surtout de fragilité. L'image et le son devaient rendre cette sensibilité.

Quels cinéastes ou films du continent vous ont-ils inspiré en particulier ?

Jean-Pierre Bekolo : Djibril Diop Mambéty ... plus pour sa compréhension de ce que j'essayais de faire... plus que l'inspiration, il a été un silencieux parrain qui a eu confiance en moi peut-être plus que moi-même... Il me faisait asseoir à côté de lui et je devais rester là, juste comme ça, il ne disait rien. Et après avoir vu le délire cinématographique qu'était "Touki Bouki", j'ai compris ce qu'il me restait à faire. Mais si je dois parler d'inspiration, Spike Lee m'a donné le mode d'emploi, le comment... son livre sur "She's Gotta Have It" était mon livre de chevet.

Comment décririez-vous les cinémas africains de manière un peu générale et résumée ?

Jean-Pierre Bekolo : Trop scolaire... Voulant trop se faire comprendre... Pas assez libres pour réinventer le cinéma...

Concernant la réception des oeuvres africaines, la reconnaissance vient souvent du "Nord", peut-on penser. Le voyez-vous aussi ainsi ?

Jean-Pierre Bekolo : C'est une vieille histoire, pour réussir en Afrique il faut souvent être coopté par Paris, peu importe le domaine. C'est Macron qui choisit qui va faire le rapport de la restitution des oeuvres africaines et les Africains célèbrent. C'est le festival de Cannes qui décide quel cinéaste africain est intéressant...

Les fausses indépendances ont produit deux types d'Africains ceux que le blanc aime et ceux que les Africains aiment. Fela et Sankara ont tout fait pour l'Afrique et non pour se faire aimer par l'Occident. La question que je me pose toujours est celle de savoir quel type d'Africain je suis.

ZOOM

Jean-Pierre Bekolo, un cinéaste précieux

A travers son oeuvre, Bekolo a fait preuve d'une constante capacité de renouvellement.

Après "Quartier Mozart", chronique fantastique en 1992, il a proposé, quatre ans plus tard, "Le Complot d'Aristote", film très malicieux sur le cinéma africain.


Dans sa filmographie, on trouve également de la science-fiction - "Les Saignantes" -, un brûlot politique - "Le Président" -, ou encore un documentaire sur le penseur Valentin Mudimbe - "Les Choses et les Mots de Mudimbe".

Matthias Turcaud