Restaurant / guinée

Valoriser la cuisine avec BARRY YAYA

Redorer le blason de la gastronomie guinéenne

La cuisinière Barry Yaya a créé en 2016 l'école KAMY EGG à Conakry (KA et MY font référence aux prénoms de ses enfants ; tandis qu'EGG signifie "école guinéenne de gastronomie"), comblant un vide criant de formation en matière de cuisine en Guinée.

Nous avons pu lui rendre visite sur son lieu de travail, sis dans le quartier de Kipé, commune de Ratoma.

Comment le goût de la cuisine vous est-il venu ?

Barry Yaya : Le goût de la cuisine m'est venue vers l'âge de neuf ans, à côté de ma maman, et de mes mamans d'ailleurs, parce qu'il y avait d'autres mamans aussi qui cuisinaient. Maintenant je reconnais que c'étaient de grandes gastronomes. Elles faisaient de la bonne cuisine, et présentaient bien. On les voyait toujours en train de cuisiner, mais on ne se rendait pas compte de la valeur de leur travail.

Puis la maman m'envoyait au marché acheter des produits ; je découvrais le poireau, l'haricot vert, l'oignon, l'échalote - je connaissais tout ça déjà très petite. C'est pour ça que je la remercie : elle n'a pas fait l'école, mais elle m'a tellement appris de choses, je m'en rends vraiment compte maintenant. Ma maman avait aussi un champ où elle plantait de l'arachide, du maïs et de l'haricot.

Sinon j'avais aussi une copine, une libanaise, dont la maman passait tout son temps en cuisine. Elle me donnait envie avec les bonnes odeurs, les bonnes couleurs... C'étaient des chrétiens, ils préparaient Noël, et faisaient plein de gâteaux, de pâtisseries libanaises. D'ailleurs je fais encore des recettes héritées de ces mamans et de cette dame. 

De cette manière, j'ai commencé à aimer la cuisine ; après, à quatorze ans, j'ai quitté Labé pour venir à Conakry chez ma grande soeur. Là aussi je suis bien tombée, elle était également une grande gastronome. Elle avait des fiches de cuisine, souvent elle invitait, et, à chaque fois qu'elle invitait, elle m'appelait : "Fais-moi la petite vinaigrette", "Fais frire les bananes", et ainsi de suite.

Plus tard je suis partie dans le sud de la France. Avec des copines, on cuisinait énormément, avec de bons produits. J'ai commencé à y prendre vraiment goût et à créer des recettes ; je faisais beaucoup de cuisine africaine mais aussi internationale.

Comment avez-vous eu ensuite l'idée d'ouvrir une école de gastronomie en Guinée ?

Barry Yaya : L'idée ne m'est pas venue tout de suite. J'ai d'abord pensé faire des émissions de télé-cuisine ; surtout ouvrir un restaurant gastronomique, "Afro-Fusion", mon rêve ! Pour compléter mes connaissances en cuisine, je me suis inscrite à une formation en France, à l'AFPA. J'y ai suivi une formation "adulte" rapide, de dix-huit mois. Une fois revenue en Guinée, je n'avais pas encore les moyens pour ouvrir un restaurant gastronomique. J'ai donc ouvert un salon de thé, où je proposais quelques plats, sandwichs, et puis de la petite pâtisserie.

En voulant embaucher, je me suis confrontée à des jeunes qui venaient avec des CV plus ou moins faux, ou bien de vrais CV, mais ils n'avaient appris que la théorie. Après avoir visité toutes les écoles hôtelières à Conakry, je me suis rendue compte qu'il n'y avait ni structure aménagée - aucune école -, ni formateurs qui enseignaient la pratique. J'ai proposé de donner des cours pratiques, mais ça n'a pas marché. Finalement, je me suis dit que je détenais quand même beaucoup de connaissances et que j'allais les partager avec les jeunes Guinéens, ce qui m'a conduit à ouvrir une école dispensant au départ des formations rapides, parce que je visais pour commencer les jeunes qui suivaient la théorie dans les autres écoles - ce sont ces jeunes-là que je voulais aider.

Quand j'ai lancé mon annonce, avec 90 % de pratique et 10 % de théorie, j'ai vu, à ma grande surprise, des femmes qui avaient fini leurs études à l'université et ne trouvaient pas de travail. Des jeunes qui avaient terminé l'école hôtelière venaient aussi, ainsi que de jeunes femmes mariées très jeunes, qui avaient abandonné leurs études et voulaient à présent trouver un métier. J'ai compris qu'en Guinée une telle école manquait vraiment et j'ai été la première à en proposer une.

Quand vous faites le bilan de cette école, en êtes-vous plutôt satisfaite ?

Barry Yaya : Oui, très satisfaite. Actuellement, hormis les élèves qui viennent - filles et garçons -, et même les enfants auxquels je propose des cours pendant les vacances, des jeunes viennent aussi de la SCAD (Service Civique d'Action et de Développement) apprendre la cuisine, la pâtisserie, le service dans un bar-restaurant ainsi que l'hébergement pour ce qui concerne l'hôtellerie.

Parfois, j'ai envie de jeter l'éponge - parce que ce n'est pas évident -, mais je suis très satisfaite, car j'apporte quelque chose qui n'était pas en place. Sur plus de 300 personnes que j'ai formées - jeunes hommes et jeunes femmes confondus -, 40 % ont trouvé du travail et 10 % ont déjà créé leur entreprise, en ouvrant de petits restaurants, des pâtisseries, ou en proposant un service-traiteur. La demande augmente en plus ! Désormais - comme je ne prends pas plus de 18 élèves par classe -, on fait deux groupes, et les autres sont obligés d'attendre.

Des élèves viennent-ils aussi d'autres villes du pays comme Labé ou Kankan ?

Barry Yaya : Ces gens-là en effet m'appellent. Deux ou trois sont venus de Nzérékoré, une de Mamou, beaucoup aussi de Khamsar ou de Coyah. A Labé on me demande s'il existe une école similaire là-bas...

Comment expliquer que le cuisinier soit si peu valorisé en Guinée ?

Barry Yaya : Avant de créer cette école, je ne savais pas que c'était complètement ignoré. Le cuisinier apprend un peu sur le tas et se fait appeler "chef" après deux mois. Un autre de mes rêves serait qu'on ait un jour de grands chefs guinéens. Certes, on a, à Conakry, le chef Soumah qui fait tourner le Damier mais qui a appris en travaillant de restaurant en restaurant ; ou le chef pâtissier Issa, le plus grand traiteur ici actuellement, qui a fait une école professionnelle, mais avec beaucoup de théorie.

Mon combat consiste à faire en sorte qu'il y ait des chefs bien formés, avec un certain niveau. Là, avec les jeunes de la SCAD, on a vraiment espoir d'en faire des chefs. Un de mes jeunes travaille maintenant au Sheraton et y évolue bien.

Quels aliments ou quels plats préférez-vous dans la cuisine guinéenne ?

Barry Yaya : On en consomme plus ou moins dans les petits ou grands restaurants, dans lesquels on propose plutôt des plats importés comme le tchep ou le yassa, qui d'ailleurs est devenu international, ou l'attiéké, qu'on consomme le plus après le riz maintenant.

La Guinée cependant est dotée de beaucoup de mets à l'image du fonio avec la sauce tomate et le poulet bicyclette - une recette vraiment typique de la cuisine traditionnelle guinéenne ! Quand on recevait des hôtes, on égorgeait le poulet et on faisait mijoter une bonne sauce tomate avec plein de légumes et le fonio à la vapeur.

On peut citer aussi le tobogui à base d'haricots, ou la sauce konkoyé - très aimée aussi -, avec du poisson fumé et de l'huile de palme ; les sauces feuilles, manioc, patate douce et l'équivalent de l'épinard, qu'on mange avec du riz ou du tô. On peut également manger le tô avec une sauce gombo ; chez les peuhls, on trouve du couscous accompagné de lait caillé qu'on propose à chaque événement - mariage ou baptême -, et fait aussi de maïs à la vapeur très long à préparer.

Après, il existe plein d'autres recettes qu'on tend à oublier ; d'ailleurs j'ai un autre projet, un livre qui réunirait les recettes des quatre coins de la Guinée, parce que chaque région a aussi des spécialités. En Basse-Guinée, on trouve surtout du poisson ; et en Haute-Guinée surtout du tau. En forêt, des recettes à base d'haricots, d'aubergines, d'huile de palme...

On mange aussi ici la cuisine venue d'autres pays africains : le tchep, le riz gras - soit avec du poisson, du poulet ou d'autres viandes -, le yassa à base d'oignons et de citrons, la sauce gombo, ou les recettes ivoiriennes, nombreuses. Parmi elles, le foutou banane sauce graine ou l'attiéké - constitué de manioc, de céréales sans gluten, de légumes, de viande ou de poisson.  Bizarrement, on mange plus d'attiéké en Guinée que de fonio, alors que le fonio est guinéen - mais d'autres pays africains s'en sont accaparés.

Je suis en train de retravailler ces recettes, car il faut - comme on dit - moderniser, donner envie... Il est très important à mes yeux de valoriser les plats africains. J'ai ainsi sensibilisé de grands restaurants comme ceux du Millenium ou du Sheraton de Conakry à mettre au moins trois ou quatre plats africains ou guinéens sur leurs cartes.

ZOOM

La passion avant tout !

Arrivez-vous à expliquer pourquoi vous aimez tellement la cuisine ?

Barry Yaya : J'adore en tout cas la cuisine, même si ce n'est pas quelque chose de facile. Comme je dis à mes élèves : "Si vous n'aimez pas, ne venez pas", car beaucoup viennent pour essayer et se rendent compte que ce n'était pas ce qu'ils croyaient. Pour la cuisine, il faut avoir la passion. Puis j'aime bien manger, le bon goût, la cuisine raffinée. En plus on apprend et on découvre plein de choses avec la cuisine... c'est du partage.

Matthias Turcaud