"Partir n'est pas la bonne solution", rencontre avec l'essayiste guinéen MAMADOU ALIOU BARRY
Descartes & Cie
"Il vaut mieux se battre"
L'essayiste guinéen Mamadou Aliou Barry donne sa vision de l'immigration et de la Guinée dans son nouvel ouvrage intitulé "Revenir - l'Afrique au coeur", paru aux éditions Descartes & Cie.
Comment en êtes-vous arrivé à écrire ce livre ?
Mamadou Aliou Barry : J'ai écrit ce livre après mille réflexions. J'ai effectué tout mon parcours universitaire et professionnel en France. Jeune produit de l'exil, j'ai quitté la Guinée de Sékou Touré, donc j'ai passé trente ans en exil. C'est le résumé de tout ça.
Quand je suis rentré, j'ai vu l'engouement des jeunes guinéens pour partir, au vu de la mal gouvernance. J'ai voulu faire ce livre pour leur dire que je comprends leur désir de partir, mais partir n'est pas la bonne solution. Il vaut mieux se battre.
C'est vraiment avec l'expérience que je peux le dire. J'explique dans le livre que, bien sûr, en exil, on peut gagner en confort, en matériel, en épanouissement culturel, intellectuel, mais qu'on perd beaucoup en attachement au pays, à ses valeurs et à sa culture.
J'explique aussi la difficulté pour les migrants à s'intégrer, à trouver une place, en France notamment, si on n'est pas sportif ou musicien. Il ne faut pas que les jeunes rêvent en pensant que c'est l'Eldorado ! J'ai eu un parcours honorable, mais, malgré ça, beaucoup d'entraves professionnelles. Il y a des places qui ne sont pas accessibles aux personnes issues de l'émigration. J'ai fait l'armée, mais, bien que j'ai servi la France de manière loyale, un doute subsistait toujours.
Ensuite, j'ai travaillé dans un ministère. C'est rare d'obtenir des postes dans un ministère quand on vient de l'immigration. C'est très difficile de tourner la page du pays d'origine, ce serait mieux d'oeuvrer sur place.
Pourquoi êtes-vous tellement attaché à la culture guinéenne ?
Mamadou Aliou Barry : C'est un pays béni par la nature, un petit condensé de l'Afrique : on y trouve la montagne, la savane, la forêt. Sur le plan culturel, le pays est très riche. Malheureusement la Guinée a connu 26 ans de Sékou Touré. Jusque dans les années 1970, on parlait beaucoup de la musique guinéenne. En Basse-Guinée, la culture baga est unique. Hélas, les dirigeants n'ont pas su entretenir ce patrimoine culturel très important.
Conakry a été capitale mondiale du livre en 2017. Cela a-t-il eu un impact positif ?
Mamadou Aliou Barry : Il faudrait surtout amener le livre aux Guinéens, il n'y a pas de centre de lecture dans les quartiers. Des efforts ont été faits, mais, dans beaucoup de quartiers encore, les jeunes ont du mal à accéder aux livres.
Tout est problème de gouvernance, même au niveau local. Les communes et les quartiers devraient être dotés des infrastructures permettant aux jeunes d'accéder à la lecture. On peut regretter que, malgré quelques activités à Labé et Kankan, l'intérieur du pays a quasiment été oublié dans cet élan de promotion du livre.
Vous faites partie de l'association des écrivains guinéens...
Mamadou Aliou Barry : Ils nous ont annoncé une bonne nouvelle lors de la première assemblée générale. Pour la première fois en Guinée, la rentrée littéraire se déroulera à partir du mois d'octobre. Il y aura des séances de dédicaces au centre culturel franco-guinéen, dans les universités, dans les quartiers... Ce sera une autre manière de faire connaître les auteurs guinéens. C'est une répercussion positive de "Conakry, capitale mondiale du livre".
Rencontrez-vous souvent des jeunes désireux de se lancer dans l'écriture ?
Mamadou Aliou Barry : Je rencontre tous les jours des jeunes qui ont des manuscrits. Ils ont une double difficulté. D'abord, ils n'ont pratiquement pas de bureautique ; ensuite, ils n'ont pas accès à la filière de l'éducation, et ne connaissent pas les maisons d'édition guinéennes comme Ganndal. C'est vrai que "Conakry, capitale mondiale du livre" a permis aussi aux Guinéens qui veulent écrire de se manifester.
Au niveau de l'édition en Guinée, qu'en est-il ?
Mamadou Aliou Barry : Principalement, il y a Ganndal avec M. Aliou Sow, spécialisé dans les livres de jeunesse ; M. Djibril Tamsir Niane, le grand historien, qui a lancé sa propre maison d'édition, et L'Harmattan Guinée. Des jeunes viennent aussi de créer une maison d'édition.
Au niveau de l'édition, le pays est encore à la traîne par rapport à d'autres pays. Il y a à la fois la difficulté d'éditer et la difficulté de vendre. Il est très difficile d'avoir des retours. On se heurte à un vrai problème de distribution. Les réseaux de distribution ne sont pas très développés. J'avais d'ailleurs proposé au gouvernement de détaxer les livres quand je suis arrivé. Les livres ne sont pas à la portée du Guinéen, bien qu'on puisse rétorquer que des Guinéens achètent un portable à 2 ou 3 millions de francs guinéens (l'équivalent de 200 ou 300 euros environ).
La gouvernance locale devrait se préoccuper d'amener le Guinéen à la lecture. Je me souviens avoir vu circuler des bibliothèques ambulantes au Burkina Faso il y a dix ans. Cela m'avait impressionné. Chaque fois que le bus venait, les jeunes accouraient, l'accès était gratuit, le bus restait là pendant un mois. Les gens veulent lire, la question est : comment leur faciliter l'accès à la lecture ?
ZOOM
Le règne du livre numérique en Afrique ?
Mamadou Aliou Barry : J'organise souvent des débats dans les universités, et je pense que le numérique peut jouer un grand rôle.
Ça me fait toujours sourire de voir mes oncles au village faire des transferts avec leurs portables. La dernière fois, j'ai vu un de mes oncles parler par vidéo avec son fils aux États-Unis.
Je pense que l'Afrique, et notamment la Guinée aurait intérêt à développer aussi la version numérique des livres, et à les rendre accessibles ; je pense notamment aux livres scolaires.
Il faut impliquer les opérateurs téléphoniques, et il faut une vraie politique du livre. On en parle d'ailleurs avec mon éditeur, au sujet de mon dernier livre...
Matthias Turcaud