Ouvert en décembre 2018, le Musée des Civilisations Noires contribue à réparer une injustice aussi criante qu'inexcusable ; et, pour cela, on ne saurait trop lui en savoir gré.
Appelé de ses voeux par Léopold Sédar Senghor, puis Abdou Diouf, à l'initiative des Biennales de Dakar, ou encore Abdoulaye Wade, soucieux de mettre sur pied "les sept merveilles de Dakar", ce fameux musée est finalement devenu réalité.
Ambitieuse et massive, son imposante forme circulaire rend hommage à la grande ellipse zimbabwéenne, tout en évoquant les cases à impluvium de la Casamance.
Dans l'entrée trône un énorme baobab en acier bétonné découpé au laser, de plus de dix mètres de long, d'une base de quatre mètres et demi, et pesant pas moins de sept tonnes - une création inventive et justifiée de l'artiste haïtien Édouard Duval Carrie. Le baobab, sous cette morphologie-là, fait écho au malgache, bien qu'on retrouve évidemment l'arbre emblématique dans différents pays d'Afrique, avec différentes variantes.
Cette salle d'accueil du rez-de-chaussée nous rappelle également que les premières traces de vie humaine ont été constatées sur le continent africain : le premier australopithèque ayant été décelé à Taung en Afrique du Sud, en 1924 ; l'on estime "Lucy", retrouvée en Ethiopie en 1974, vieille d'environ 3,2 millions d'années ; tandis que le Toumaï tchadien, apparu voici sept millions d'années de cela, s'impose comme le plus ancien fossile jamais émergé.
Un panneau nous rend là aussi attentifs à l'art rupestre africain, très ancien - dans le Tassili N'Arjier il y a 9000 ans et dans l'Ennedi il y a 7000 ans. De manière sobre, claire, la visite exhume des faits oubliés ; nous interpellant entre autres sur le fait que le fer a été inventé en Afrique.
Dans le sillage des travaux de Cheikh Anta Diop, le Musée des Civilisations Noires insiste sur la "négritude" des Egyptiens ; mentionnant au passage que les Askia, souverains songhaï du Mali se sont inspirés des pyramides au XVIème siècle. Diop souligne de surcroît un nombre de similitudes conséquent entre le wolof et la langue copte.
Contrant fermement le cliché indéfendable selon lequel la science serait étrangère à l'Afrique, les penseurs de l'institution ont, de même, jugé bon de mettre en lumière l'os d'Ishongo, créé en ancienne République Démocratique de Congo il y a 25 000 ans, et constituant un outil précieux pour la numérotation. Au niveau de la médecine, une notice nous fait souvenir que la tétracycline, présente dans les os des momies, contenait déjà de l'antibiotique. Autrement, un document témoigne de l'effectuation d'une césarienne par un chirurgien Banyora en Ouganda en 1879.
Des photos commémoratives portent elles l'accent sur plusieurs figures africaines notables, toutes origines et champs d'activités confondus : du chef d'état haïtien Toussaint Louverture au militant William Du Bois, en passant par l'abolitionniste Frederick Douglass ou le panafricaniste Modibo Keita.
Au premier étage du Musée des Civilisations Noires, des femmes marquantes d'Afrique bénéficient au même plan d'un traitement de faveur flatteur. On peut, à ce titre, citer Annette Mbaye D'Erneville, première journaliste femme du Sénégal ; Ramson Kuti, féministe éprouvée ; Ndatté Yallah Mbodj, héroïne vaillante de la lutte contre la colonisation française ; Rose Lokossimi, première tireuse d'élite du Tchad.
D'ailleurs, en parlant de femmes, la civilisation Nok du Nigéria convoque, parmi tant d'autres, le souvenir du matriarcat, très longtemps en vigueur sur le sol africain. On peut voir ainsi une femme avec un bébé se tenir debout sur la tête d'un homme !
On peut voir, de surcroît, certains bronzes de Bénin City ; des tenues de chasseurs dogons du Mali ; des textiles authentiquement africains tels que le bogolan ou le baoulé qu'Aïcha Diome a choisi de valoriser en particulier.
Dans les salles du musée assez denses et riches, le passé dialogue sans cesse avec le présent ; et le vainqueur de la Biennale, Olanrewaju Tejuoso, sollicite de fait notre attention, via son travail "Goldies and Oldies" au besoin de recycler urgemment des déchets innombrables, une problématique on ne peut plus actuelle en Afrique.
ZOOM
Un appel à la complétude
Évidemment, on pourrait reprocher une ambition trop prométhéenne à un musée en effet doté d'un intitulé aussi large que "Musée des civilisations noires" ; selon le proverbe "Qui trop embrasse mal étreint".
Certes, le musée demande à être étoffé ; peut-être encore un peu plus structuré aussi, puisqu'il passe si facilement de domaine en domaine et de pays en pays ; l'initiative, cela dit, de redonner aux "civilisations noires" tout l'éclat, qui leur appartient de droit, mérite cependant des applaudissements nourris et chaleureux.
Matthias Turcaud