Depuis 2009, le Festicab (Festival International du Cinéma et de l'Audiovisuel au Burundi) s'évertue à rendre visible des films dans ce pays et à développer le secteur de l'audiovisuel, faisant naître des vocations et transmettant à travers ces supports des messages positifs, concernant des valeurs morales fondamentales, le vivre-ensemble ou des enjeux sociétaux.
Cette année, la manifestation se place sous l'égide des thèmes "Jeunesse et santé".
« Nous avions commencé à projeter dans les écoles de Bujumbura, avant de nous lancer dans les collines du pays. Derrière ces projections, il n'y a pas de distinctions ethniques, sociales, ni de conflits familiaux. Le public est côte à côte, échange, et apprend en se divertissant » déclare le directeur du Festicab, Léonce Ngabo.
Après des projections en plein air organisées du 10 au 16 juin dans les chefs-lieux de sept zones urbaines - Buyenzi, Kinama, Kanyosha, Citiboke, Musaga, Buterere et Nyakabiga -, une tournée plus importante lui succède dans les quarante provinces du pays du 24 juin au 9 août.
Il s'agit de faire connaître des productions burundaises à un public élargi, et de montrer comment le cinéma peut se révéler vecteur de paix et de cohésion sociale.
Projection dans la zone Mihigo de la commune Buhiga
"I Mashoka" de Jean-Marie Ndihokubwago et Pascal Capitolin, a ainsi été projeté, le soir du 25 juillet, au terrain de football de la paroisse Kibumbu, située sur la colline Saswe, dans la commune de Kayokwe, qui fait partie de la province Mwaro.
Le film, ambitieux, mêle romance, science-fiction - se déroulant en partie en 2058 - et réflexion environnementale, nous rendant attentifs à de grands dangers qui nous guettent de plus en plus.
L'intrigue de départ nous confronte à une contamination de l'eau survenant en l'année 2017, et ayant comme dramatique conséquence que plus rien, désormais, ne peut être ni cultivé ni consommé. Cette alarmante situation alimente des luttes intestines entre deux clans antagonistes ; d'un côté les Bagabuzi, de l'autre les Banyamazi. Or, les deux amants de l'histoire, Njimbere et Kamikaei, proviennent justement de l'une et l'autre communauté, dans une sorte de réécriture burundaise de "Roméo et Juliette".
L'oeuvre nous fait réfléchir sur des thèmes intemporels, nous transporte, et magnifie les collines magnétiques du Burundi, en l'occurrence dans la région de Mumirwa.
Cette importante tournée projette aussi d'autres films burundais, à savoir les courts-métrages sociétaux et dénonciateurs "Joshua" de Ferdinand Niyongere, "Le profiteur" d'Alice Ndemeye, ainsi que "Kiki" et "Intimba y Ipfuvyi" d'Asmani Gahungu - ce dernier ayant d'ailleurs remporté le prix du meilleur film burundais. "Théo" a, quant à lui, reçu le prix spécial du Développement de la Jeunesse.
Dans les catégories internationales, "Le Cimetière des Éléphants" d'Eléonore Yaméogo, "Un air de kora" d'Angèle Diabang et "Fatwa" de Mahmoud Ben Mahmoud ont été récompensés, respectivement dans les catégories du documentaire, du court-métrage et du long-métrage de fiction.
Pour accompagner la 11ème édition de ce festival, une formation a de même été dispensée, en parallèle, à onze journalistes locaux, par le biais d'Espéra Donouvossi, journaliste culturel et critique de cinéma béninois avec quinze ans d'expérience, et Djia Mambu, journaliste sur TV5 Monde, crtique de cinéma belgo-congolaise et marraine de cette présente édition. A l'issue de cet encadrement, chaque participant devait rédiger au moins une critique de film.
ZOOM
" Gito l'ingrat "
Premier film burundais, d'ailleurs présenté comme tel lors du générique de début, et réalisé en 1992 par Léonce Ngabo, Gito l'ingrat narre l'histoire d'un étudiant burundais qui vient de décrocher, dans hexagone, un diplôme en droit international et se trouve tiraillé entre deux femmes, l'une française, l'autre burundaise.
Son retour au bercail se fait non sans difficulté, et le film en rend compte avec un mélange d'humour et de lucidité, jusqu'à une fin imprévue. Ngabo met en scène un personnage acclimaté déjà à la vie en France - utilisant par ailleurs un éclaircissant de teint -, et qui se retrouve comme un étranger dans son propre pays.
Pêle-mêle, la comédie douce-amère aborde aussi les questions du conflit entre tradition et modernité, le chômage et les conditions de vie très critiques à Bujumbura et au Burundi en général, comment choisir sa voie professionnelle et s'y épanouir...
Le long-métrage a été plusieurs fois distingué, aux Journées Cinématographiques de Carthage ainsi qu'au Festival de Namur et au Fespaco où il n'obtint pas moins de trois prix. Gito, l'ingrat a, de surcroît, été récompensé aux Festivals de Cannes, de Lisbonne, et de Vues d'Afrique de Montréal.
Matthias Turcaud