Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand : la sélection REGARDS D'AFRIQUE 2019
Une quinzaine de films africains pour une 41ème édition. Petit tour d’horizon de la création africaine audiovisuelle vue dans la ville auvergnate du 1er au 9 février 2019.
Destins brisés et trajectoires de vies qui se télescopent, ces douze films africains sont autant de récits des fantasmes et espoirs formant ce continent contrasté.
De cet ensemble de films, si l’on n’y prend pas garde, on serait vite tenté de voir un simple et triste diaporama de la misère du monde, version son et image. Et si l’on s’attarde sur les thématiques abordées : famine, mariage de raison, deuil, misère sociale, polygamie contrariée, luttes de pouvoirs d’Imams, ennui et désœuvrement d’une femme d’ambassadeur, inceste, ... le constat ne serait pas plus vaillant.
Et pourtant. Ce qui est indubitablement intéressant avec le cinéma africain - aussi valable pour le cinéma dans son ensemble - est lorsque les réalisateurs s’emparent de sujets non consensuels et qu’ils en font tout autre chose. Et c’est absolument le cas avec cette sélection Made in Africa 2019 du festival clermontois.
A noter, tout d’abord la qualité des images et des cadres de tous ces films. Tout particulièrement Razana tourné à Madacascar par le réalisateur quarantenaire Haminiaina Ratovoarivony. Un délice de couleurs et de formes induites par une photographie très travaillée.
Lucia No Céu com semaforos d’Ery Claver et Gretel Martin, à la poésie et au récit étonnant (parfois d’ailleurs à la limite du compréhensible), dessinant des personnages fantasmagoriques, effrayants, éparpillés ou disloqués dans les lumières d’une ville scintillante, la capitale de l’Angola probablement.
Et enfin, The ambassador’s wife, réalisé par Theresa Traoré Dahlberg (Ouaga Girls, 2017), raconte la vie et le désœuvrement d’une femme d’ambassadeur à Ouagadougou. La caméra est par moment bienveillante, parfois doucement impertinente. Les cadrages sont judicieusement étudiés pour servir le récit et pour séduire l’œil amateur de jolies images.
Enfin, pour ce qui est de la qualité des histoires contées, plusieurs films se démarquent. I had to bury cucu de Philippa Ndisi-Hermann tourné au Kenya, est un récit dans le récit. Les personnages, l’histoire abordée sont sans caricature. Ni fard ni dramatisation malgré des thèmes (deuil, inceste) dramatiques.
The ambassador’s wife est également un récit fort autour d’une femme charismatique et drôle. Entre humour, regard attendrissant et vacuité de l’existence, notre cœur balance et est ravi.
Blue bird des franco-tunisiens Rafik Omrani et Suba Sivakumaran parvient en seulement 15 minutes à dépeindre l’histoire en forme de poupées russes d’une presque dizaine de personnages. Tous se croisent l’espace d’une soirée au restaurant l’Oiseau bleu situé en bord de mer de Tunis.
Mention spéciale également pour le scénario drôle et à rebondissement de la tunisienne Kaouther Ben Hania (La belle et la meute, Sélection un certain regard au Festival de Cannes 2017) avec son film Les pastèques du Cheikh, relatant les aventures épiques d’un Imam de village.
ZOOM
Le festival : un événement militant et artistiquement exigeant !
En 1979, à la création du festival, le premier film français des frères Lumière avait beau être un court, ce format était l’enfant pauvre des salles de projections hexagonales.
Il a donc fallu un militantisme chevronné et une passion sans borne pour le 7ème art pour se lancer dans l’aventure.
Aujourd’hui, plusieurs décennies plus tard, le court, en odeur de sainteté, apparaît partout, sur les petits comme les grands écrans. Il est une voie d’accès noble et légitime pour les jeunes réalisateurs au monde du cinéma.
Chaînes de télévision et professionnels internationaux se retrouvent ainsi chaque année à Clermont-Ferrand pour faire leur marché de films inédits et orignaux. Aussi, découvrir les talents de demain avec qui s’acoquiner.
Le militantisme perdure néanmoins dans cet événement clermontois aux 162 000 entrées et 3 500 professionnels accrédités. Les tarifs de projection sont extrêmement attractifs, la gratuité est toujours proposée à de nombreuses catégories de public.
Professionnels, festivaliers aguerris et public lambda se côtoient dans une ambiance décontractée induite, choix politique oblige nous supposons, par les nombreuses salles de projections situées au sein de bâtiments universitaires à la déco surannée pullulant d’étudiants studieux ou désoeuvrés.
La qualité et l’exigence restent pour autant toujours une priorité pour le festival qui reste fidèle à ses engagements de la première heure.
Jean-Pierre Lecocq