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ALPHA PETULAY la pétulante
On ne la surnomme pas "Energia" pour rien !
Jonglant une fois encore avec les styles, Alpha Petulay entame une série de concerts à l'occasion de la sortie de son album "Right Now Byangu Rock". Rencontre avec une artiste inclassable, versatile, et insatiable.
Quand avez-vous pris la décision de vivre de votre musique ?
Alpha Petulay : Depuis l'âge de dix ans mon rêve a toujours été de partager une belle énergie avec la musique et de vivre de ça... On peut dire que, depuis mes 17 ans au Brésil, je vis de ma musique.
A quel point avez-vous été influencée par vos parents, la rumba zaïroise et des rythmes traditionnels africains, quels rythmes précisément ?
Alpha Petulay : Je suis née et j'ai baigné dans la musique. Je n'ai jamais oublié mes tantes au Congo en répétition pour chanter à l'église, surtout le son de la basse ! Mes parents, en dehors de leurs métiers, sont aussi musiciens. Il y a toujours eu beaucoup d'instruments chez nous (au Brésil) et un grand partage musical en famille. Je suis fan de plusieurs rythmes, mais mon artiste préféré sera toujours Tshala Mwana.
Vous mélangez un grand nombre de styles. Ce cocktail se fait-il consciemment ou inconsciemment ?
Alpha Petulay : Ca reste un peu des deux. A chaque composition je reste le plus proche possible de la belle énergie, je fais tout pour partager juste ce que j'aime et qui me touche. Depuis toute petite, on m'a toujours appris à ne pas faire aux autres ce que tu n'aimerais pas qu'on te fasse... Je ne peux donc pas donner aux autres quelque chose que je n'aime pas.
Voila pourquoi à chaque fois que je compose, j'écoute d'abord plusieurs fois jusqu'à ce que je sente monter les frissons et la joie. Si je ne le sens pas à ce moment-là, je mets la chanson de côté et je prends le temps de voir avec l'inspiration ce qui manque pour décider si le titre peut faire partie de mon cocktail...
En 2001, vous autoproduisez au Brésil, à l'âge de vingt ans, votre premier album, "Delight Tribal", après y avoir suivi vos parents, et entourée de musiciens brésiliens. Pouvez-vous nous parler de cette première création ?
Alpha Petulay : Ça a été un long chemin, entre la difficulté de réunir l'argent, faire comprendre à mes parents mon choix de vivre de la musique, trouver les bons musiciens et plusieurs autres choses sur le chemin qui peuvent ralentir un projet ou une envie...
J'avais la détermination, l'envie, la persévérance et beaucoup d'aide de plusieurs personnes, j'ai donc pu entrer en studio au Brésil avec mes super musiciens de l'époque.
La plupart de mes compositions dans mon premier album datent de la période entre mes 10 ans et mes 20 ans, grande période d'observation et changement. Ce projet était pour moi le moment de dire que la femme ne se résume pas à la maternité, la cuisine et l'église... Je voulais aussi exprimer mon manque de l'Afrique et de ma maman.
Cet album a été bien accueilli, et vous a ensuite permis de vous produire lors de festivals le Recbeat ou Recife Rock. Quels souvenirs en gardez-vous ?
Alpha Petulay : Le Brésil sera pour toujours mon pays. Partout où je suis passée avec ma musique, l'accueil a toujours été vraiment super. Par exemple, j'ai découvert que je pouvais faire pleurer le public rien qu'avec ma voix.
Et puis, avec le temps, quelques personnes ont commencé a m'appeler " ENERGIA" et, pendant certains concerts, le public pouvait soulever les mains en les secouant et en criant : ENERGIA ! Tout ça a représenté beaucoup d'encouragement sur mon chemin.Je garde les souvenirs de cette belle énergie toujours présente !
Vous avez dirigé la direction musicale de la pièce de théâtre "Karma", écrite par Betito Tavares et mise en scène par Caio Blat. Pouvez-vous également nous parler de cette expérience ?
Alpha Petulay : Ca a été une période pleine d'émotion et d'évolution de ma musique au Brésil. Je n'oublierai jamais le jour où j'ai recu cette invitation. Je suis aussi actrice et ça m'a fait plaisir de l'être avec cette pièce mais en mode "musicienne". Ce fut une très belle expérience de travailler avec des personnes que, au départ, je ne voyais qu'à la télé !... La pièce abordait un thème très important, LE KARMA !
Une expérience qui m'a appris que j'étais aussi capable de gérer la direction musicale d'une pièce de théâtre, chose que je n'avais jamais envisagée. Ca m'a apporté beaucoup de fierté. Au niveau artistique et professionnel, ça m'a ouvert plusieurs portes à Rio de Janeiro et permis de faire des belles rencontres professionnelles et amicales que je garde encore aujourd'hui.
Quelques mots, à présents, sur "Ni shye project" en 2009 ?
Alpha Petulay : "Ni shye" veut dire "c'est nous" ou encore "on est ensemble". Ca été très émouvant pour moi de travailler aux côtés de Sir Jean dans ce projet en faisant l'union de notre couple avec la musique. Nous avions les mêmes musiciens mais chacun notre bassiste...
Ce projet n'a pas beaucoup duré mais l'important ce que j'y ai beaucoup appris dans plusieurs domaines, que ce soit artistiquement ou personnellement. Ca m'a fait comprendre que, quand on veut vraiment quelque chose et qu'on fait tout pour y arriver, tout est possible !
Pouvez-nous parler de vos autres collaborations avec Sir Jean ?
Alpha Petulay : Notre première collaboration a eu lieu au Brésil en 2005. Moment magique ! Et, jusqu'à aujourd'hui, je peux dire que c'est une collaboration bénie par la belle énergie !
Nous avons toujours notre projet duo et Sir Jean a également collaboré à l'album "Take Me" ; sur l'album "Right Now", il a aussi participé à 3 magnifiques chansons.
Vous avez collaboré à la Biennale de la Danse de Lyon, en 2010, comme parolière et interprète dans "Les Mélodies du Bonheur" pour la Compagnie Guesmé ?
Alpha Petulay : J'ai été invitée par Nadia Suzanne à cette période. C'est toujours important pour chaque être humain de voir que certaines personnes nous font confiance. Voilà les mot-clé pour moi sur ce travail. En plus ça, ne faisait pas longtemps que j'étais arrivée en France ! J'ai honoré l'invitation, beaucoup appris et ça reste une magnifique expérience !
Cette aventure m'a ramenée un peu à l'expérience avec la pièce KARMA, je me sentais prête et capable et ça m'a beaucoup apporté au niveau organisationnel et aussi sur le travail en équipe... Encore un projet qui m'a ouvert quelques portes avec ma musique et qui m'a apporté des nouvelles amitiés et collaborateurs musicaux...
L'année suivante, en 2011, sort votre quatre-titres "Uhuru". Que veut dire "Uhuru" et de quoi parlent ces quatre morceaux ?
Alpha Petulay : "Uhuru" signifie "la liberté". Dans mon cas, il s'agissait de la liberté d'esprit. Avec ce projet, je suis entrée dans une réflexion sur le temps chronologique et spirituel. Le 4 titres "Uhuru", pour moi a symbolisé la découverte de moi-même et, à travers ce thème, le monde autour de moi et l'univers...
Vous avez joué en première partie de Susheela Raman, des Staff Benda Bilili, de Jacques Higelin. Quels souvenirs en gardez-vous ?
Alpha Petulay : De superbes moments, tous ces featurings ! Des sensations différentes à chaque fois.
Avec Susheela, j'ai été agréablement surprise par le public qui ne connaissait pas du tout mon projet, un moment inoubliable !
Avec les Staff Benda Bilili, c'était la joie de me retrouver en première partie de personnes de mon pays, pays que j'ai quitté à l'âge de 10 ans... Ensuite de partager un super moment avec eux avant et après le concert (jusqu'à aujourd'hui, nous sommes restés en contact !).
Avec Higelin, je n'oublierai jamais, qu'en sortant de la scène, il m'attendait juste au pied de scène, pour me dire qu'il faisait une sieste dans son camping-car et que, quand il a entendu ma voix, il est venu voir et a été très touché ! Il m'a même demandé : " Comment ça se fait que je n'ai jamais entendu parler de toi ?" J'ai eu l'honneur de faire tout ça !
Votre album "Take Me", avec onze titres, sort en 2013 - comment le présenteriez-vous ?
Alpha Petulay : Je dirai que "Take Me" est une suite de "Uhuru", comme "Right Now" est une suite de "Take Me"... Je me sentais prête à dévoiler dans un album plusieurs styles, comme la pop, le blues, le mélange de ma culture africaine et brésilienne. Je peux aussi dire que j'avais "inconsciemment" la suite de tout ça... Je voulais que mon projet et mon message soit pris et porté par chaque être humain ! Voilà pourquoi "Take Me" !
"Right Now Byangu Rock", votre nouvel album, contenant aussi onze titres, sort le 5 avril 2019, et on y retrouve toujours le beau dénominateur commun de cette diversité qui vous est propre. Cet album a-t-il mis longtemps à voir le jour, depuis quand l'aviez-vous en tête ?
Alpha Petulay : Oui Right Now ! Cet album pourrait devenir un film !
En gros, "Right Now" est un grand mystère. Je savais juste qu'il sortirait quand ça serait le moment... J'ai commencé "Right Now" en 2014, mais ce n'était pas encore ce que je voulais. La même année, j'ai rencontré David Fantastique (il vient tout juste de quitter ce monde. grande douleur !) à qui je confie l'arrangement en mode rock des mes titres. En 2015, j'essaye à nouveau et, non, ce n'était toujours pas le bon moment ni le bon son !
En 2016, j'entre en studio avec une super équipe de musiciens avec comme producteur Canem Circus (Fodil Berrah), sous la direction artistique de Germain Samba (Meï Teï Shô). Même si tout se passait bien, je sentais quelque chose me dire que "Epa !!!", ce n'était toujours pas le bon moment.
Début 2017, on commence à prévoir la sortie et à envoyer à quelques pros. Là, je me rends compte qu'il manque quelque chose : il manquait le côté Afro pour faire Afro/Rock. Byangu Rock (qui veut dire "mon Rock à moi").
Ensuite fin 2017, retour en studio avec une autre équipe très orientée Afro, je sens enfin la belle énergie me confirmer que c'était le bon chemin, en tout cas niveau son, le moment "Right Now" est proche, mais pas encore tout à fait "Right Now" !
Fin 2018, je trouve ce qui manquait et là, en 2019, "Right Now" est prêt pour être là car c'est le moment !
Comment les choix pour la composition, l'ordre des chansons, la structure générale vous sont-ils venus ? Pourquoi ce titre ?
Alpha Petulay : Pourquoi "Right Now" ? Je ressens de plus en plus qu'il est temps de passer mon message au monde et que c'est le bon moment, voilà pourquoi. Entre plusieurs de mes compositions, je sentais que c'était le bon choix surtout par rapport à l'histoire et au message de chaque titre.
Comment l'inspiration vous vient-elle ? Différemment, selon les chansons ?
Alpha Petulay : Je ne sais jamais quand elle vient l'inspiration, mais quand elle est là, elle arrive avec force ! Et elle prend le temps qu'il lui faut...
Vous chantez à la fois en anglais, en swahili, en portugais, en français... Comment faites-vous le choix de chanter plutôt dans une langue, ou plutôt dans une autre ?
Alpha Petulay : Ça dépend du moment où je compose et de comment je ressens la mélodie... D'habitude, quand je crée une chanson, je compose d'abord la musique et après je l'écoute pendant un moment. C'est la ligne de basse qui me dira l'énergie de la musique et donc les paroles ; ensuite la langue vient aussi...
Votre chanson "Je suis qui je suis", et le clip afférent sont très entraînants et séduisants, grâce, notamment, à toute la liberté qui s'en dégage. Comment l'idée de ce montage très effréné a-t-elle surgi ? Comment le tournage s'est-il passé ?
Alpha Petulay : Le titre "Je suis qui je suis" est une composition de mon guitariste David Fantastique (qui sera toujours avec moi en esprit). Il a fait cette musique pour moi et il l'avait appelé Alpha Petulay ! Il m'a invitée à écrire les paroles et m'a demander de ne penser, pour une fois, qu'à moi en écrivant les paroles !!
C'est Quentin Berthinier, mon ami et cameraman, qui a fait le montage et il est vraiment doué ! Thomas Pradet était le réalisateur. Tous deux connaissaient bien mon énergie. Le tournage était super, avec l'aide de tous mes amis qui ont fait les figurants, quelques jours de répétition et un grand moment de bonheur avec la présence de tous les enfants aussi !
Quelles sont, finalement, les principales raisons qui vous font chanter ?
Alpha Petulay : Je considère que, de tous les dons que je peux avoir, il y en a deux pour lesquels je remercie la belle énergie : le chant et la cuisine ! Il n'y a pas vraiment de raison, je suis juste le don et je suis ma mission : je suis heureuse à chaque fois que je chante.
Avez-vous des projets en lien avec le Congo ou l'Afrique prochainement ?
Alpha Petulay : Ça reste dans l'envie et le rêve ! Tant que je suis encore en vie, je peux dire que ça sera pour bientôt et je l'espère...
ZOOM
Quelques morceaux de "Right Now"
"Kuku Penda", "Dunya" et "Tu Ingye"
Alpha Petulay : "Kuku Penda" signifie "aimer quelqu'un". J'y parle de l'amour sous toutes ses formes : sentiment amoureux, l'amitié, l'amour entre les êtres humains... Complicité et foi, jusqu'à l'aube, oublier tout de la cruauté et vivre dans l'amour !
"Dunya" signifie "le monde". Cette chanson parle de la manière destructive dont l'être humain mène le monde et le titre nous invite à rester dans le droit chemin et à laisser la jalousie de côté.
"Tu Ingye" signifie "Entrons". Cette chanson est une invitation à entrer et rester dans le cercle du bonheur, malgré les mauvaises choses qui peuvent survenir autour de nous ou en nous...
Propos recueillis par Matthias Turcaud