Théâtre / somalie

IFRAH MANSOUR, le théâtre pour cautériser ses plaies

La performeuse somalienne très acclamée Ifrah Mansour fait son devoir de mémoire, aussi créative que bouleversante.

Ifrah Mansour a trouvé différentes voies d'expression pour se faire la voix des réfugiés comme de toutes les vies brisées de son pays d'origine.

A côté des arts visuels et de l'écriture, c'est notamment grâce à ses performances scéniques, nombreuses et remarquées, qu'elle a pu faire entendre son témoignage.

L'art peut parler de la réalité de manière bien plus prégnante et forte qu'un journal télévisé, et on peut s'en convaincre une fois encore avec la nouvelle pièce d'Ifrah Mansour, un seul en scène intitulé "How to Have Fun in a Civil War", qu'elle porte en elle depuis 2014.

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Pour écrire cette pièce actuellement en tournée dans le Minnesota, Ifrah Mansour a puisé dans ses souvenirs du début de la guerre civile quand elle était âgée de moins de cinq ans, en 1991.

"How to Have Fun in a Civil War" épouse ainsi le point de vue de l'enfant qu'elle fut, tandis qu'une poupée géante de couleur rouge et or représente sa grand-mère.

Les performances d'Ifrah Mansour émeuvent beaucoup, parce qu'on sent qu'elles sont les fruits de la nécessité. Rilke le disait bien, dans ses "Lettres à un jeune poète" : "Une oeuvre d'art est bonne quand elle est née d'une nécessité."

L'artiste somalienne avait besoin de s'exprimer, de se livrer au nom de tout un peuple, de tout un pan d'histoire méconnu hors des frontières de son pays.

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Même si elle rend compte d'événements violents, traumatisants, innommables, la prometteuse artiste permet aussi de dire que la Somalie ne se réduit pas à un pays de guerre, qu'elle peut abreuver de grands talents.

On constate, dans ses performances et spectacles, à quel point ce qu'elle raconte l'habite, à quel point son travail rejoint l'intime, et ce constat bouleverse.

Mansour ne tombe pas non plus, heureusement, dans l'écueil regrettable du misérabilisme, ou du pathos boursouflé, conférant à ses propositions scéniques distance, humour et poésie - comme l'atteste le simple titre de sa dernière création : "How to Have Fun in a Civil War".

Ce nappage artistique salutaire et bien senti, cet écrin de choix permettent mieux de nommer, justement, l'innommable, de dire l'indicible, ce que le peuple somali a enduré, et tant d'enfants comme elle l'était.

Les réactions très positives de nombreux spectateurs somalis couronnent avec justice son beau travail, et le dialogue inter-générationnel qui a suivi les représentations, montrent éloquemment qu'Ifrah Mansour a initié une voie très louable : celle de la guérison.

ZOOM

De la nécessité de l'humour

"L'humour fait partie de la vie, et je veux en rendre compte au même titre que les injustices, les horreurs et les peines qui nous entourent.

Selon moi, c'est plus fidèle à la réalité de la condition humaine : à un moment on rit, et l'instant d'après une extrême tristesse nous envahit.

En tant que réfugiés, musulmans, membres d'une minorité, montrer notre aspect humoristique et joueur nous confère une autre dimension.

En fait, je veux me présenter sur scène comme je veux être vue dans la vie."

Matthias Turcaud